01 septembre 2010

Navalón


Une dernière photo, en fin de journée, avant de prendre congé.
Alfonso Navalón, apaisé, au milieu de ses toros. Une ultime vision, le dernier souvenir d’une journée inoubliable. Un mois d’octobre ni chaud ni froid, l’automne comme on l’aime.
Le grand Navalón, tellement décrié, détesté, commenté, tellement lu.
Trois jours avant nous étions à Salamanca, en compagnie de Carlos Manuel Perelétegui, correspondant d'El País et collaborateur de la revue Toros.
Il a souri lorsque nous lui avons dit avoir rendez-vous à Fuentes de Oñoro.

— Il exagère maintenant. Son temps est passé, même s’il ne veut pas l’admettre. Alors ses histoires, les femmes, tout ça, c’est fini. Ce n’est plus pour lui. Nous avons tous eu notre péridode, mais quand c'est fini, c'est fini. Vous verrez, la semaine prochaine, dans le journal, il utilisera votre venue pour s’inventer des histoires... Passez-lui mon bonjour.

Carlos Manuel a souri. Tout ceci n’avait déjà plus guère d’importance dans le fond.
Trois jours plus tard, dans sa cuisine, de retour de Bilbao, les cheveux en bataille, Navalón nous dévisage en coupant sa pomme. Il vient de se réveiller, contrarié.

— Mes coqs, où son passés mes coqs ? Vous vous rendez compte ? Je m’absente trois semaines, je reviens et plus de coqs... Si ce n’est pas malheureux.

Sa pomme avalée, Navalón se lave les mains, se débarbouille, se recoiffe. Il attrape une grosse boîte en carton dans laquelle il empilait ses vieux articles, ses souvenirs, des morceaux de sa vie.

— Celui-là, c'est celui sur le Cordobès ! Ça les a rendus furieux. Mais je suppose que vous savez...

Navalón égrène quelques-uns de ses vieux articles, les commente en évoquant des choses lointaines.

— Celui-là je l’aime beaucoup, vraiment beaucoup. C’est un hommage que j’avais rendu aux putes... Bon, nous allons au campo ?

Je n’ai jamais lu l’hommage de Navalón aux prostituées. Nous sommes allés au campo, nous y avons passé la journée entière. Nous l’avons laissé au soleil couchant, juste après l’averse, presque la nuit. Direction Fuentes de Oñoro, puis Salamanca, pour finir à Madrid. Je ne l’ai jamais revu.