25 septembre 2010

Lucas


Jeudi 16 septembre 2010, 22 heures 30, SMS : "Rendez-vous demain à Nîmotel, 9h30."

Vendredi, 9h20. J'ai dix minutes d'avance, Lucas aussi. Nous pénétrons quasi simultanément dans le hall de l'hôtel.

Lucas a d'abord été aficionado. Il est aujourd’hui valet d'épée, avec Juan del Álamo, après avoir été celui d'Alejandro Talavante et quelques autres.
Lucas est français, du Sud-Ouest. Il vit en Espagne, à quelques kilomètres de Salamanca, dans un tout petit village, au campo, à côté de la grande route, celle qui va jusqu’à Fuentes de Oñoro, puis le Portugal. Vu d’ici, une sorte de fantasme, mais sur place, une situation pas toujours évidente, parfois le mal du pays, la famille, les amis, pas si loin mais quand même. Heureusement, les gens de là-bas sont accueillants et gentils. Lucas malgré ses doutes a finit par s'y plaire dans ce Campo Charro. Et c’est au village qu'il se plaît. A Salamanca, la grande ville, ce serait sans doute différent.

J'ai croisé Lucas pour la première fois après la présentation époustouflante de son Juan del Álamo à Arles. Il m'avait demandé une photographie pour une publicité.
Lucas vit dans un monde, vous et moi dans un autre. Vu de l'extérieur on pourrait penser qu'il s'agit du même. Vu de l'intérieur, ce sont évidemment deux mondes très parallèles. "Entre eux et nous il y a un abîme invisible. Cet abîme a la forme, la force, l’odeur, la masse, la lourde respiration, d’un toro…" *

9h40. Lucas me propose un café. Je n'en ai pas envie, lui encore moins que moi. Il me demande l’heure toutes les trois minutes.
Dans quelques instants nous rejoindrons Juan del Álamo, chambre 59, au rez-de-chaussée. Lucas se crispe. Les nerfs, la tension, le regard qui se fait plus noir. Tout cela est très perceptible.

— Tu sais, nous avons une toute petite chambre, rien de très luxeux.
— Ah, pas de problème.
— Il faut que tu saches, l'habillage de Juan, c'est quelque chose de très simple, pas de grand cérémonial.
— Oui, bon, pas de problème, ne t'inquiète pas.

Lucas insiste, s'excuse presque, de la chambre petite, de la simplicité des choses. Il ne sait pas à quel point je le préfère ainsi.
La chambre est effectivement petite, Juan del Álamo en survêtement, réservé, intimidé ou intrigué. Il n’a pas l’habitude des photographes, pas encore, mais il me parle de la photo, la demie véronique pieds joints. Il l’adore.
Lucas s'affaire, m'explique son organisation, comment il préfère laisser la chaquetilla sur la chaise plutôt que sur le dossier, pour ne pas trop l’ouvrir. Lucas se ronge les ongles. Le novillero semble serein.
Nous discutons assez longuement de cette organisation. Vu de l’extérieur ceci peut paraître anecdotique. Ici, de l’intérieur, la chose prend une autre dimension. Deux mondes parallèles finissent par se croiser.
10h. Un dernier passage dans la salle de bain, et la métamorphose s’opère, lente et méticuleuse.

* Jacques Durand, in prologue du livre Peajes de Joséphine Douet.