22 septembre 2010

Par là-bas


Comme passe le temps. Mourrait octobre à la fêtes des morts. L’Espagne se saoulait d’un soleil bas ; le soir, la fraîcheur de la nuit à venir s’annonçait du pas léger de l’élégance.
Baignée de soleil bas, la province de Jaén se diluait dans les bleus horizon. Il fallait plisser les yeux pour se l’imaginer, là, sous nous, devant nous, jusqu’aux montagnes bleu foncé, elle parmi l’infini de chênes verts ou lièges et de creux de la terre.
Mais la nuit avait-il dit, un silence solennel avait précédé, la nuit, la province se voit. On l’embrasse des yeux la nuit la province de Jaén, pas qu’un bout, pas qu’un sein, elle, une, de Baños jusqu’à Linares, même Jaén s’abandonne... la nuit.
La nuit.
La nuit, on ne voit pas les toros. Sauf si la lune. Mais la lune n’est pas là. La nuit les toros se cachent. Que font-ils la nuit les toros ? Se battent-ils ? Regardent-ils s’alanguir la province de Jaén sous leurs sabots de rustres ? La nuit, on ne voit pas les toros et la lune n’est pas là.
Le jour non plus. En tout cas pas ici. Le jour non plus on ne voit pas les toros... chez Jacinto Ortega.
Ils sont par là. Ils sont loin a-t-il baragouiné en chargeant le fusil qui indiquait les collines touffues. Par là. Nous venions de le saluer. Il achevait de charger le fusil. Vous comprenez, la semaine dernière on cherchait un toro par là-bas (chez eux le "par là-bas" est extrêmement vague) et tout d’un coup il a surgi de derrière un arbre et a foncé sur le 4x4. Il a fini par monter dessus. Il voulait le détruire. Alors depuis, on part par là-bas avec un fusil. Je le charge et le mayoral va venir le récupérer. Il est à cheval le mayoral mais c’est mieux avec un fusil tout de même. Vous comprenez ?

Ici les barbelés sont l’horizon. C’est à croire en tout cas. Attendez-moi à la maison. Vous verrez c’est joli de là.
La maison est jaune et regarde par là-bas comme si elle cherchait les frontières de son monde mais l’horizon n’est pas une frontière. Les toros sont par là-bas. Un chien gentil se fout des frontières à l’ombre d’un muret.
Qu’est-ce que vous faites ici ? Qui êtes-vous ? Mal rasé, mal attifé, la mine hirsute, il doit être fou. Un pec cloîtré dans un monde sans limite, il a dû grandir ici, il devra y mourir. Le chien le suit. Sans attendre de réponse, il se poste, le chien le suit, l’œil hagard surveille les mamelons fleuris d’arbres et ce qu’il y a dessous. Les toros. Les toros ne se voient pas d’ici. Lui peut-être les voit. Il est fou. Il observe. Il reste là de longues minutes, le soleil dans la gueule, des mots que lui seul entend déforment son visage, le chien au pied, les toros par là-bas.
La maison est vide. Personne n’y vit plus. La vaisselle verte envahit les étagères. La poussière leur donne une dernière utilité. Le fer est gravé dessus. Un O sur un J ou un J sur un O. Jacinto Ortega.
Le mayoral est revenu. Le fusil n’a pas servi. Les toros sont par là-bas. Des restes de Veragua mélangés à d’autres bizarreries du campo de Jaén. Des bestioles invisibles sans frontière de sang surveillées par un fou du bout d’un fusil bien chargé. Et Jaén pour royaume...

>>> Retrouvez sur le site www.camposyruedos.com une galerie consacrée à la ganadería des Herederos de Jacinto Ortega Casado, rubrique CAMPOS.
>>> Pour en savoir plus sur les origines troubles de cet élevage, rendez-vous sur www.terredetoros.com.

Photographies Un toro de Jacinto Ortega par là-bas et la vue de la placita de tienta © Laurent Larrieu/Camposyruedos.com