"J'arrive de passer 2 jours (que du bonheur) chez Victorino. Aucune funda à l'horizon"
19 mars 2011 16:39 de RenéArles
19 mars 2011 16:39 de RenéArles
Derrière le grillage, c’est Tchernobyl. Y’a plus d’herbe, les arbres voudraient se foutre en l’air. Ils peuvent pas. Même les briques sont contaminées. Y’a plus d’herbe, y’a pas de place, y’a pas d’air. Tout manque d’air. Je veux pas m’approcher. Je veux pas muter. Pour eux c’est foutu. Le mal est fait. Ils sont radioactivés pour une arène de première, énooormes, noirs, ils vont plaire à tous les tarés qui veulent du gros et de la sensation. Ils ont mutés, cornes mortes, fundas, corne mute. Tchernobuffalobyl. Ne plus écrire. C’est mort !
Ce 25 juin 1995, comme chaque année à pareille époque, la petite ville de Coria se dévergonde sous un soleil de plomb. Echouée là, non loin du Portugal à une soixantaine de kilomètres au nord de Cáceres, à flanc de colline au bord du Río Alagón, la cité extremeña célèbre avec ferveur les fêtes de la San Juan pour peut-être rappeler une fois l'an au monde qu'elle existe. Pierre angulaire de cette catharsis populaire : le toro, vers lequel convergent tous les regards — et les dards expédiés à l'aide de sarbacanes* —, que l'on vienne se faire peur au bout des cornes sous les yeux d'une foule bigarée et surchauffée, ou manifester son dégoût et sa colère.
Dans la vie, il y a les cow-boys, et les indiens. Et moi, du fond de ma cour de récré, je me sentais généralement l'âme du bon, du pur, du rasé de près, mèche blonde parfaitement ondulée sur mon front de visage pâle, plus à mon aise dans le rôle de la sainte nitouche puritaine, au colt pas feignant et plutôt habile, que dans le rôle de l'infâme sauvage, hurlant comme un veau, à peine frusqué d'une peau de raton laveur en guise de cache-burnes, trois plumes d'aigle dans une tignasse hirsute et grasse, avec pour seule ouverture sur le monde extérieur, le scalp frais d'un yankee...
Lorsque JotaC nous présenta sa très belle galerie sur l'embarquement des Yonnet pour Cenicientos, un « détail » me sauta aux yeux : les toros portaient encore leurs boucles d'identification (crotales en esp.). Ce dimanche matin, Arse&Azpi ont posté sur le sujet ; qu'ils en soient remerciés.
En février, il n'était pas là où on l'attend — Vistalegre, vous connaissez, vous ? Bientôt, il sera de nouveau fidèle au poste, discret, à déambuler, observer, viser, déclencher, puis grimacer — fichue lumière ! Bientôt, il sera de nouveau bloqué dans son burladero, toujours aussi mal placé, pour immortaliser une suerte de vara que l'écrasante majorité des bêtes choisies pour Las Ventas par l'empresa Taurodelta snobe superbement.
Le périph' sous la neige, Colmenar sous la neige, Soto del Real ensevelie. Rendez-vous au bar du restaurant à l'entrée du bled, comme toujours ou presque. Ici Madrid, pas loin, mars 2010, il neige comme vache qui chierait du coton. Et toutes les dimensions ont changé : le bruit, les distances, la perspective même d'un retour, de la suite du voyage. Il neige et la côte qui mène aux cercados devient vertigineuse au camion et les toros hypothétiques. Nous passons tout de même. Les jeunes sont agglutinés, au loin, les vieux éparpillés ici et là, calmes, comme patients. La neige qui tombe colle à tout ce qu'elle trouve, la pierre des murs, les branches, les clôtures, le premier plan de l'autofocus parfois. Tout est blanc, unanimement. Seuls les Veraguas d'Aurelio Hernando résistent encore. Au froid, à la pensée monochrome du jour : negros, colorados, et tous les savons sont sales ce jour. Le long poil d'hiver colle en mèches mouillées à la peau des novillos, il fait aussi froid entre les quatre murs de la salle de réception où l'on expose les souvenirs de la ganadería. C'est insolite mais pas plus pour Aurelio et son fils, viscéralement liés à ce campo et ces toros, à leur miracle "Veragua puro". Un lien sans l'ombre d'un doute, difficile mais obstiné. Les añojos ne sont pas plus rassurés que leurs aînés dans leur cercado enneigé, ils hésitent même à courir quand on le leur demande. Nous partons pour la deuxième finca, celle de Colmenar, plus bas, où nous attendent les vaches. La neige est plus anecdotique, la colline au loin semble simplement givrée et, sous les roues, la boue est familière. Le jour a légèrement bleui, tout va bien. Le poil humide dessine des arabesques sur les vaches, la végétation buissonneuse éclôt toujours çà et là, les branches noircissent les pensées torturées des arbres.