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28 mai 2013

Même pas drôle


Veuillez bien vouloir excuser la qualité médiocre de cette image capturée lors du visionnage, sur le site Las-ventas.com, de la vidéo(surveillance) de l’apartado de la course d’El Ventorrillo qui sera combattue ce soir à Madrid.

On y voit ‘Bromista’* le lourdaud negro emplâtrer méchamment et sans raison apparente un des trois colorados du lot, et ‘Cañamón’ le beau castaño, qui n’a jamais vraiment apprécié les facéties du frangin — avec ou sans fundas —, et qui sent peut-être son tour arriver, amorcer un pas de côté afin de gagner un coin de corral moins agité. Du haut de ses cinq ans et dix mois, ‘Bromista’ fait la loi et montre à qui veut l’entendre qu’ici c’est lui le roi.

‘Cañamón’ (n° 17, né en décembre 2007, guarismo 8, 556 kilos) et ‘Bromista’ (n° 58, né en août 2007, guarismo 8, 626 kilos) sortiront respectivement en quatrième et cinquième positions ; je serai, n’en doutez pas, devant mon écran pour les surveiller de près.


* Farceur, plaisantin, blagueur, rigolo — bromista pesado : mauvais plaisantin.

17 août 2012

À pile ou face


Ángel Otero Céret, 15 juillet 2012 — Florent Lucas

Je me promène parmi les chevaux de pique lorsque le fourgon gris aux vitres teintées fait son apparition dans l'arrière-cour des arènes de Céret. Soudain, c'est l’effervescence, et la meute des photographes et d'admirateurs s'avance à la rencontre du torero. Fernando Robleño descend du véhicule. Il ne pourra pas faire plus de dix mètres. On somme au torero et à la cuadrilla de poser pour la postérité, ici même, dans ce terrain vague sans âme, bien rangés en rang d'oignions. A-t-on peur qu'il ne s'en aille en courant ? N'y a-t-il pas meilleur endroit pour faire poser les braves ? Je m'approche du groupe de cyclopes, me cale sur un côté et décide de ne pas faire la photo qu'une bonne vingtaine de personnes va répéter à satiété. Une brochette de toreros dans un terrain vague, la classe.

J'abandonne la scène et me réfugie à l'ombre du patio de cuadrillas. Ici, je compte bien figer le portrait de Robleño. Au moins un, pour capter son regard bleu azur, y déceler la peur, la détermination, ou tout autre sentiment différent d'un sourire forcé devant une troupe de paparazzi. Au moins, je tenterai ma chance. Ángel Otero, le banderillero d'Emilio Huertas, engagé pour ce « seul contre six », me rejoint. Le savoir à mes côtés me fait plaisir. Je le connais, le salue, rien de plus ; il n'est pas nécessaire d'en faire davantage dans ces moments-là. Je préfère le laisser à ses pensées, à ses étirements et, tel un lion en cage, à ses va-et-vient dans le tunnel. D'autres banderilleros arrivent et, peu à peu, l'étroit patio de cuadrillas se remplit. Je cherche une place et commence à être mal à l'aise, à ne pas savoir où me mettre. Je songe même à abandonner l'idée du portrait au moment où Ángel me tape sur l'épaule :
— Flo, t'as une pièce ?
Je reste interloqué, Ángel ayant plutôt l'habitude de me demander une cigarette, une dernière petite blonde avant d'entamer le paseíllo. Je lui demande étonné :
— Une pièce de combien ?
— De cinq cents euros !
— Quoi ?
— Une pièce quoi ! Peu importe le montant du moment qu'il y a une pile et une face.
Je fouille dans ma poche et extirpe péniblement une pièce de vingt centimes.
— Tiens !
— Non, garde-la.
Ángel se retourne vers Jesús Romero, un autre banderillero, et, d'un hochement de tête, lui fait signe de choisir le premier. Ce sera pile pour Jesús et face pour Ángel.
— Vas-y, Flo, lance la pièce.
Je ne connais pas l'enjeu, mais je lance la pièce au milieu du patio de cuadrillas. Si j'étais réalisateur de cinéma, je vous raconterais que cette pièce s'est envolée, que sa parabole m'a semblé interminable, que je l'ai vue tourner sur elle-même au ralenti, que Jesús et Ángel ne l'ont pas quittée des yeux, qu'ils paraissaient prier au fond d'eux-mêmes pour gagner le tirage au sort… Eh bien non. Rien de tout cela. Je me suis contenté de ne pas l'envoyer trop haut, de me concentrer pour la rattraper et, surtout, de ne pas la laisser tomber par terre. Cela aurait fait tache, et Dieu sait quel signe du destin ces deux-là y auraient vu.

Ça y est, je tiens la pièce dans mon poing fermé. Voilà le moment de la retourner pour découvrir qui a gagné le tirage au sort. Je souhaite que ce soit Ángel, car je soupçonne que le jeu doit en valoir la chandelle. Je plaque la pièce sur le dos de ma main gauche et je relève doucement la droite. Les deux banderilleros ont les yeux rivés sur mes mains afin de prévenir tout litige. Merde, c'est pile. Je confirme l'évidence à haute voix. Jesús n'hésite pas une seconde : « Le deuxième ! »

Ángel, lui, ne dit rien, pas nerveux pour un sou et bon perdant. Il se retourne, regarde maintenant le ruedo cérétan. Je ne demande pas mon reste, je fais deux pas en arrière. Plaqué contre le mur, je commence à gamberger sur le pourquoi de la chose. Je rage un peu d'avoir été parti prenante de ce petit jeu qui avait tout l'air d´être sérieux — putain ! ça me chiffonne pour Ángel. Et si je proposais une revanche ? Je suis con ou quoi ? J'en suis à ces réflexions, seul dans mon monde mais désormais entouré par toute la cuadrilla et la petite horde des photographes, lorsque je sens une main se poser sur mon épaule.
— Flo, t'as une clope ?
Je respire, me détends — ça doit se voir —, et lâche dans un souffle :
— Carrément !
Je tends à Ángel le paquet entier accompagné de tout le contenu de ma poche.

Fernando Robleño est dans le tunnel. Je fais ma photo, la photo que je voulais, et me sauve. Quand Ángel salue l'ovation du public après avoir posé les banderilles au deuxième toro, je suis aux anges. Je dois avouer que je n'ai pas fait attention à la prestation de Jesús au cinquième, qui s'avéra le plus dangereux de la course. Coup du sort…

Trois semaines plus tard, je retrouve Ángel à Soustons. La question me brûle les lèvres, et je finis par lui demander l'enjeu de ce tirage au sort. Dans un sourire, il me dit qu'ils ont joué la brega de ‘Caralegre’ et d'‘Artillero’, deuxième et cinquième toros, qui revenait à Jesús ou Ángel.
— Le deuxième, ‘Caralegre’, était cinqueño. Tu comprends, aucun de nous deux n'avait envie de lui poser les banderilles.

Je lui ai fait promettre de ne plus me mêler à leurs petites affaires.

05 novembre 2010

'Remendón' n'a pas eu de chance


L'autre soir, je visionnais une vidéo de La Cabaña Brava montrant le combat de Domingo López Chaves face à 'Remendón' de Cuadri lors de la dernière Feria del Pilar de Saragosse, quand, une fois n'est pas coutume, l'émotion traversa l'écran pour me secouer. Un tremblement dû à la caste déversée à gros bouillons par un toro noir qui propagea la peur, agressant à tout-va et obligeant les toreros à ne jamais quitter ses cornes des yeux. La caste qui se passe d'épithète ; la caste qui vous grandit un homme — celle qui légitime la Fiesta.

Mais 'Remendón' n'eut pas la chance d'un 'Feudal' et s'en alla avec quelques-uns de ses secrets : 'Remendón' ne fut présenté que deux fois au cheval ! Comment est-il possible qu'un toro de la trempe de ce Cuadri n'ait pas, malgré la sempiternelle et affligeante première pique1, bénéficié d'une troisième rencontre ? Fallait-il que la présidence fût à ce point incompétente, voire irresponsable, pour laisser López Chaves — qui, ironie de la lidia, faillit se mettre en danger en voulant, à reculons, ôter sa montera pour réclamer le changement ! — en découdre avec un toro-toro maître du ruedo depuis l'ouverture du chiquero ?

Put... de bor... de m... ! est-ce que quelqu'un va enfin pouvoir me dire à quoi rime cette manie débile, cette logique absurde, ce principe à la con d'envoyer un toro, quelle que soit sa condition, à deux reprises au cheval avant d'en venir aux banderilles2 ? Je ne sais quelle aurait été ma réaction si j'avais été présent sur les tendidos du « Coso de Pignatelli », mais une chose est certaine : le palco aurait entendu parler du pays...

1 Ah ! si seulement le peón était venu au quite pour l'abréger comme il sut magnifiquement le faire pour la seconde.
2 Et si par un étrange hasard — une absence de la présidence ? un matador ne sachant pas compter sur ses doigts ? la demande du public ??? — un toro devait y aller trois fois ; qu'adviendrait-il au juste ? Les Pyrénées se soulèveraient-elles ?... Il est des moments où j'apprécie d'autant mieux le travail effectué par de « petites » plazas comme Céret, Orthez ou Parentis. Espagnoles ou françaises, par leur décadence, les arènes dites de première catégorie me font peine.

Image 'Remendón' était cinqueño © Campos y Ruedos

03 octobre 2010

Foire d'automne à Madrid


Ce samedi 2 octobre, 'Fumador' s'invita à la « corrida del arte » de Torrealta. Corralero depuis un bon bout de temps, il en savait beaucoup trop — par les portes entrebâillées et autres bruits de couloir. Cuajado, il pesait 580 kilos et il les portait bien — comme son toupillon fourni. Il avait une allure furieusement inquiétante avec ses yeux de perdrix et son regard de braise, son museau baveux rosé-blanchi et son morrillo saigné, ses oreilles entières et en alerte, son armure dirigée vers l'arrière et couleur caramel. Il était rouge, colorado, mais d'un rouge intense et brillant, de feu... ¡Batacazo! Marqué du guarismo cinq, 'Fumador' avait l'âge de son numéro moins un mois, et un tío de six ans, même de Martín Lorca, ça impressionne.

J'aime la Feria de Otoño madrilène car elle réserve toujours son lot de surprises et d'étrangetés : ce sobrero de quasiment six ans donc, le capirote et ce « faux girón » de Pereda, le jabonero sucio de Torrealta, ces deux utreros adelantados du Puerto de San Lorenzo (guarismo 7, nés en septembre 2006) dont l'un sortira avec ses boucles d'identification (!), ou bien encore l'écart de poids plus que conséquent (139 kilos) entre le second de ces jeunots (649 kilos !) et un de ses frères aînés (510 kilos)... Sans parler d'un Juan Mora qui aurait toréé par naturelles (pléonasme ou redondance, à vous de choisir) avec l'instrument ayant servi à faire rouler sur le sable la bête d'un coup d'estoc loyal et efficace. Et d'aucuns de titrer : « El toreo es grandeza ». J'aurais aimé voir ça.

Images 'Fumador' © Juan 'Manon' Pelegrín pour Las-Ventas.com (y compris les liens ci-dessus).

03 juillet 2010

Un morceau de toro et une moitié d'Atanasio


Ce morceau de toro portait le fer de José Ignacio Charro, propriété de José Ignacio Charro Sánchez-Tabernero. Avec un nom pareil, inutile de lui demander d'où il vient et ce qu'il fait ; si vous le pensiez Finlandais et travaillant dans le nucléaire alors vous avez tout faux — quoique le nucléaire... José Ignacio, donc, toujours accompagné de son fidèle boxer, un qui marque son territoire en bavant sur quiconque débarque à « Llen », est surtout connu comme ganadero de Charro de Llen, fer officiellement propriété de sa mère, sorti à Vic et à Céret ces dernières années — 'Velonero', ce nom vous dit sans doute quelque chose.

José Ignacio Charro... En consultant Terre de toros, j'apprends que cet élevage fut créé en 1995 avec du bétail maison, origine Atanasio Fernández par Charro de Llen, parce que l’on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même. Mais l'an dernier, notre cow-boy charro, piqué par je ne sais quelle mouche maléfique, aurait liquidé de l'Atanasio pour le remplacer par du... Domecq par Daniel Ruiz ! Bigre ! Sale temps pour Atanasio...

Plusieurs scénarios peuvent être imaginés :
1/ José Ignacio Charro, qui aime trop l'Atanasio pour l'enlever du fer homonyme, convainc sa mère, en mettant en avant l'imparable argument économique, de remplacer l'Atanasio à la devise rouge et jaune par du Domecq ;
2/ José Ignacio Charro, qui aime trop l'Atanasio pour l'enlever du fer historique, sacrifie celui qui porte son nom en remplaçant l'Atanasio à la devise bleue et blanche par le Daniel Ruiz ;
3/ José Ignacio Charro, qui aime parfois faire compliqué quand il peut faire simple, élimine l'Atanasio d'un des deux fers au profit du Domecq en faisant basculer l'autre moitié d'Atanasio sur l'un des deux fers — vous suivez ? ;
4/ José Ignacio Charro aime trop l'Atanasio pour que cette histoire de Daniel Ruiz ne soit qu'un cauchemar et tout, à « Llen », continue comme avant.

PS1 Non, non et non, les « LL » des fers de José Ignacio Charro et Charro de Llen n’ont rien mais alors strictement rien à voir avec les initiales de Laurent Larrieu et/ou de Laurent Larroque.
PS2 Nous apprenons la mort de l'ONCT, première victime officielle des fortes chaleurs venant de sévir dans le pays.

Images Combattu à Las Ventas le 27 juin dernier par Fernando Robleño, 'Cantador', n° 18, negro salpicado bragado corrido, né en novembre 2004 (guarismo 5), 527 kilos. 'Cantador' a porté des fundas au campo © Manon José Ignacio Charro Sánchez-Tabernero © Jérôme 'El Batacazo' Pradet

04 juin 2010

JC : « On m'aurait menti ? »


Le pauvre JC n'en est toujours pas revenu. Quand on lui a parlé de Madrid, il a tiqué. Quitter Málaga et monter à la capitale c'est sympa pour faire les boutiques, assister à un spectacle flamenco, sortir en boîte ou participer à une séance photos, mais pour y combattre deux toros, pfff... On lui a dit qu'il serait entouré de Juan Mora et de Curro Díaz*... mais que les plus belles Madrilènes n'auraient d'yeux que pour lui — rassuré, JC s'est fendu d'un sourire ultra bright. Quand, avec insistance, on lui a annoncé qu'il allait avoir affaire à des Domecq, il s'est tout de même méfié — pourquoi diable ont-ils pris la peine de le préciser puisque JC n'a jamais accepté autre chose que des Domecq ? Le matin de l'apartado, il était bien trop occupé par ailleurs pour en être. Lorsqu'il a retrouvé sa cuadrilla au restaurant de l'hôtel, JC a ressenti comme un malaise — pourquoi diable ont-ils baissé les yeux ? Il est parti illico aux toilettes se mirer dans la glace pour constater que, oui sa gomina était impeccable, que, non ses sourcils n'étaient pas en bataille — bataille ? En revanche, il avait bien une crotte de nez qui pendouillait, ce qui a fini de le rassurer sur la vraie raison de l'accueil réservé, au propre comme au figuré. JC s'est signé. De retour à table, se voyant probablement déjà, une rose aux lèvres, sur les épaules d'un gars baraqué en train d'envoyer des baisers aux groupies en délire, il n'a pas remarqué l'interruption soudaine de la conversation... Dans le calme d'une douce et radieuse après-midi de printemps, JC s'est vêtu de noir et d'argent — tout en sobriété, le JC — et s'est longuement entretenu au téléphone avec sa muse, son étoile, la si bien nommée Estrella.

A las siete de la tarde, il n'a pas bien vu Mora, celui-ci caché par son opposant la plupart du temps, et a demandé le nom du sien, le prochain. « 'Colombino' » lui a répondu son péon de confiance à qui il aurait glissé un « très mignon » — tout en sensibilité, le JC. L'homme au panneau, dans son affreux costume, s'est avancé et a tourné, tourné et JC avait la tête qui commençait gravement à l'imiter, l'homme au panneau. JC avait chaud, affreusement chaud. JC s'est signé. « 'Colombino', de Vellosino, n° 14, 11/04, 593 kilos » affichait le panneau. 'Colombino' de Vellosino, il savait déjà ; du numéro, il s'en fichait — et puis 14 n'est pas 13. Il a calculé, recalculé et calculé encore : 5 ans et demi ! « On ne devrait pas avoir le droit », a-t-il pensé tout bas... Colorado ojo de perdiz ne précisait le panneau, pas plus que bociblanco : 'Colombino' était un pavo et JC a eu chaud, affreusement chaud. Le Domecq parlait moldave, norvégien, turc, hindi et même mongol et JC n'a rien compris — l'essentiel étant pour lui, comme toujours, de finir debout sous la bronca et non au sol les bras en croix.

A las ocho y media de la tarde, il n'a pas bien vu Díaz et Mora, ceux-là cachés par leurs ennemis aussi grands qu'ils sont petits, et a demandé le nom du sien, le prochain. « 'Guasón' » lui a répondu son peón de moins en moins de confiance à qui il aurait lancé un « je l'sens pas » plein de méfiance — tout en lucidité, le JC. L'homme au panneau, dans son affreux costume d'oiseau de mauvais augure, s'est avancé et a tourné, tourné et JC a commencé à avoir de la température. JC avait froid, terriblement froid. JC s'est signé. « 'Guasón', de Vellosino, n° 10, 08/04, 610 kilos » informait le panneau. 'Guasón' de Vellosino, il savait déjà ; du numéro, il s'en fichait — et puis 10 n'est pas 13. Il a calculé, recalculé et calculé encore : 5 ans et 9 mois ! « Ils veulent ma peau », a-t-il grommelé tout bas... Negro ne précisait le panneau, pas plus qu'astifino : 'Guasón' était con toda la barba et JC a eu froid, terriblement froid. Le Domecq a dégommé Pepillo Hijo à la pique ; il parlait tchèque, pachto, tadjik et hindi, lui aussi, et JC n'a rien compris — palmas nourries pour l'inusable 'Guasón' et almohadillas en pluie pour l'inénarrable Andalou. A las nueve y cuarto de la tarde, le beau brun ténébreux cherchait du regard son apoderado qui avait quitté les lieux depuis belle lurette...

* Il semblerait que l'Artiste ait particulièrement souffert de la comparaison avec ces deux matadors pétris de torería, eux.

Images 'Colombino' & 'Guasón' : deux des six Domecq de Vellosino (quel lot !). Y'a Domecq et Domecq... © Juan 'Manon' Pelegrín

01 juin 2010

La mort du toro de 5 ans ?


Vic-Fezensac 2010


En tauromachie, il y a les livres et les arènes. Le papier et le sable. L’encre et le sang. D’un côté la théorie et de l’autre la pratique. S’il est bien connu qu’il y a ordinairement un pas entre les deux, une trop grande déconnexion est troublante, voire inquiétante, sonnant le faux. Mais qui a tort ? Les épitaphes rédigées tranquillement dans un bureau ou les gestes dessinés avec sueur devant des cornes ?
Suivant votre sensibilité vous pencherez d’un côté ou de l’autre. Faisant prévaloir, suivant votre tendance, l’intelligence et le sens des écrits, aboutissements de siècles d’expérience, sur la difficulté de la mise en situation d’êtres vivants, ou le contraire. Je dirais, comme bien souvent, que la vérité est entre les deux. La raison est sûrement du côté de ceux qui n’utilisent pas aveuglément le livre comme une bible et qui ne prennent pas les premières apparences pour vérité, mais tentent de croiser les deux. Mélanger le savoir au voir pour croire. La raison est peut-être du côté de ceux-là. De ceux qui valorisent ou dévalorisent la prestation des hommes en interprétant les textes sans s’y référer dogmatiquement.
Cette Pentecôte vicoise fut la parfaite illustration de l’écart abyssal entre le « il faut faire » et le « on fait ». Et le public ne sut peut-être pas toujours interpréter les différences entre le visible et les livres, se réfugiant trop radicalement dans l’une ou l’autre de ces deux tendances. La distance des raies, l’emplacement des piques, la durée des rencontres, le placement des banderilleros, la localisation des banderilles et des épées, ou encore la difficulté des toros furent autant de sujets de discorde. Mais si je devais retenir un sujet entre tous, ce serait la lidia du toro de cinq ans.
Un sujet peu coutumier, généralement délaissé faute de matière. La féria vicoise bien au contraire nous proposa non seulement 9 toros totalement cinqueños (5 ans), mais une moyenne approchant cet âge sur les 4 corridas (4,9 pour être précis). Des 24 toros présentés, les plus jeunes étaient (4 ans un mois) 'Ratón' de Fidel San Román et 'Relator' de Rehuelga, le plus âgé 'Macetero' de María Luisa Domínguez y Pérez de Vargas (5 ans et 8 mois). De mémoire, je ne me rappelle pas avoir vu une telle concentration de toros de 5 ans et j’en remercie vivement le CTV. Alors que ce toro est habituellement absent du quotidien de l’aficionado, il fut (presque) notre quotidien le temps d’une féria. Il y avait bien des choses à retenir de cette féria vicoise, mais celle qui m'a marqué le plus est la présence du toro âgé et des conclusions que nous pouvons en tirer.
La littérature fait l’éloge du toro cinqueño. D’ailleurs, si on s’attache aux écrits, notre toro actuel, âgé de 4 ans, n’est en fait qu’un novillo ! Et notre novillo un utrero (3 ans), mais fermons la parenthèse. À regarder de façon basique les résultats, on peut se demander pourquoi tant d’éloges. Pourquoi « el toro cinco y el torero veinticinco » ? Pourquoi s’embêter à conserver un toro un an de plus à grands frais pour un tel résultat ? Certains ont trouvé rapidement la réponse : « Parce qu’il ne les ont pas vendus, pardi ! » Et le toro cinqueño est passé en un instant d’un statut de louange à celui de rebut. En quelques secondes, il était aberrant de lidier des toros âgés. La démonstration était faite : le toro cinqueño était un toro impossible. Sentence aussi rapide que définitive. Il fallait abolir le toro de cinq ans, l’éradiquer et ceux qui osaient encore le présenter se moquaient bien de nous. Je ne suis pas de ceux-là et je ne pense pas qu’on puisse juger aussi radicalement le toro de cinq ans en se fondant sur de simples apparences. Bien au contraire, jauger un toro de 5 ans est une tâche ardue, très délicate tout autant que passionnante et les avis divergent souvent. La présence du toro âgé en cette féria n’a rien d’un hasard, il s’agit d’une démarche. Une démarche qui mérite qu’on s’y attarde, alors grattons un peu.
Tout d’abord le trapío. Je me rappelle encore de mon premier campo. Qu’est-ce qu’on apprend au campo ! Ce jour-là mon professeur s’appelait Louis Tardieu. Après la visite de la camada, des cuatreños bien entendu, nous allâmes dans un petit cercado voir les quelques cinqueños qui restaient. En un regard je compris les milliers de lignes que j’avais pu ingurgiter à ce sujet. J’avoue que j’avais du mal à comprendre avant d’avoir vu, mais là, la démonstration parlait d’elle-même. L’image du réel illuminait la théorie. Lorsque sortit en piste 'Macetero' de María Luisa Domínguez y Pérez de Vargas, il en fut un peu de même. La beauté du toro cinqueño était là. Pas besoin de longs discours, il suffisait d’ouvrir les yeux, d'observer et de contempler un spectacle rare. Je pense que tous les aficionados auront pu profiter de ces instants précieux, qu’il soit connaisseur ou néophyte. C’est la magie du toro brave qui par son émotion nous unit tous. Face à un tel adversaire le torero est grand, pour peu qu’il soit loyal.
Mais une corrida n’est pas une foire. La présentation est une chose, primordiale certes, mais elle perd tout son sens sans contenu. Et si le contenant est bien différent entre 4 et 5 ans, le contenu l’est tout autant. La corrida concours en fut une belle démonstration. Je ne vais pas vous faire croire que les toros étaient bons, là n’est pas mon intention, mais j’aimerais vous faire remarquer à quel point toutes les caractéristiques de ces toros âgés étaient marquées. Comme un négatif qui se révèle au fil des secondes, le toro développe avec les années ses qualités et ses défauts. Malheureusement, nous eûmes plutôt droit à cette seconde révélation. Mais il est peu fréquent de voir des toros si contrastés et j’ai trouvé à cela beaucoup d’intérêt. Un intérêt dans la mansedumbre, allant crescendo, de l’Alcurrucén, un intérêt aussi dans le caractère vite renfermé des Victorino.
Car il y a un autre facteur majeur de l’âge : l’intelligence. Et son corollaire en matière taurine : la lidia. Face à un toro cinqueño, il faut commettre encore moins d’erreurs qu’avec le toro de 4 ans. Il ne faut pas se tromper sinon il apprend et ne se laisse pas leurrer deux fois. C’est vrai s’agissant des passes, mais également dans les autres domaines, comme les banderilles ou les piques. Comment ne pas penser qu’une première pique, longue et ôtant toute chance au toro, comme les ont subies 'Macetero' (MLDPV) et 'Caracorta' de Dolores Aguirre ou quelques Victorino Martín, n’influent pas sur leur comportement à venir ? Comment ne pas penser qu’avec des rencontres leur permettant de s’exprimer plutôt que de les casser, ses toros ne se seraient pas grandis ? La lidia est une chose fondamentale dans la tauromachie, mais encore plus lorsque l’âge de l’opposant avance. Ainsi, la lidia d’une corrida est plus exigeante que celle d’une novillada. Et qu’avons-nous vu ? Point de lidia. Comme il est malheureusement habituel, nous avons vu des toreros débuter leur travail lors de la faena, se désintéressant totalement de tout ce qu’il y avait avant. Ce fut particulièrement criant lors de la corrida de Victorino Martín où Rafaelillo eut beau mettre tout son cœur à l’ouvrage, il ne put soumettre la caste piquante de 'Borreguero'. Il n’y arriva pas car c’était impossible, non pas que le toro était impossible mais parce qu'il était trop tard. Le labeur d’une simple faena ne pouvait suffir à contraindre sa caste. Pour y parvenir il eût fallu s’y prendre dès sa sortie en piste. Au capote, puis au cheval, avec des quites et des mises en suerte pour tenter d’allonger sa charge, récidiver encore aux banderilles, puis poursuivre muleta en main. Mais seule, une muleta ne pouvait vaincre 'Borreguero'. Il est bien rare de voir ce genre de toro et il n’est sûrement pas un hasard si le meilleur toro cinqueño fut 'Banderito' de Palha lidié par Alberto Aguilar. Oui, 'Banderito' fut bien lidié. Bien mis en suerte au cheval, puis aux palos. Et son comportement durant la faena ne fut sûrement pas un hasard. Ces combats illustrent l’importance de la lidia, l’influence qu’elle peut amener sur le comportement du toro brave et c’est précisément cela qui, en dépit du résultat artistique, m’a intéressé et a fait que la présence du toro cinqueño fut pour moi le principal événement de cette féria vicoise 2010.
Si je remerciais en avant-propos le CTV de nous avoir présenté des toros cinqueños, je mettrais toutefois un bémol, ou tout du moins une interrogation, quant à la taille de la piste. Je ne suis pas sûr qu’un ruedo d’un diamètre si modeste permette une lidia correcte de ce type de bétail. Le toro cinqueño, par sa présence, donne l’impression d’être partout à la fois et sa lidia paraît à certains moments totalement impossible. Comment blâmer alors les quelques peones qui échappent le toro ? Tant le fait de garder à tout instant le toro cinqueño dans les capotes peut s’apparenter à un exploit.
De même, il est facile d’imaginer que la taille de la piste brime certains toros, en les étouffant, comme étouffent certaines muletas. Comment ne pas penser que ce petit ruedo "intériorise" la bravoure au lieu de l’extérioriser. Mais les Vicois rétorqueront que s’ils ne le font pas, qui va le faire ? Je les entends d’ici : mieux vaut voir des toros cinqueños dans de mauvaises conditions que ne pas les voir du tout, non ? Rendons donc hommage aux petites arènes qui nous proposent ces spectacles authentiques, puisque les grandes, celles qui le peuvent, ne nous les proposent pas. Et lors du bilan, ne nous contentons pas d’un simple « ils étaient impossibles » ; derrière se cachent peut-être bien d’autres choses.

Image Toro de María Luisa Domínguez y Pérez de Vargas © Camposyruedos

30 avril 2010

Toros con edad


J'avais envie de vous raconter un truc à peine croyable, un truc arrivé le week-end dernier, pas forcément près de chez vous mais pas non plus à l'autre bout du globe. Je vous donne un indice ; ça s'est passé à Madrid — non, ce n'était pas du foot et Benzema n'a rien à voir dans cette histoire-là. Parce que je suis bon prince, je vous en donne un autre. Ça s'est passé à Las Ventas — non, la Coupe Davis c'était en 2008... ... ... Alors le week-end dernier, et si je fais durer le plaisir c'est bien parce que la chose est rarissime, le week-end dernier, disais-je, les matadors José Calvo, Fernando Cruz et Álvaro Ortega ont certes combattu des toros, mais des toros qui portaient tous le guarismo 5 ; des toros qui étaient donc tous adultes. Eh oui, les Partido de Resina étaient adultes1, c'est-à-dire qu'ils avaient tous 5 ans révolus lorsqu'ils sortirent en piste : 2 étaient nés en mars 2005 (4 herbes) et, tenez-vous bien, 4 étaient nés en novembre 2004 ! Ces quatre-là comptaient par conséquent 5 herbes2... ... ... Ça fait tout drôle, hein ? Rassurez-vous quand même, ce n'est pas près de se reproduire. Pensez-vous, une corrida de toros...

1 Je ne voudrais pas tirer de conclusions hâtives, d'autant plus que je n'ai pas assisté à la course, mais de toutes les reseñas que j'ai pu lire, aucune ne fait mention de l'« éternelle » faiblesse des pablorromeros...
2 Et non 6, le sevrage intervenant normalement 8 à 10 mois après la naissance... À ce sujet, si vous avez un peu de temps et beaucoup de courage, j'avais commis « 5 años 5 » fin janvier 2009.

Image Casta Gallardo © François Bruschet

22 janvier 2009

5 años 5


En visite chez des amis entre Noël et le 2e jour de l’an, vous arrivez avec un ensemble pour le petit dernier et vous repartez à regret avec... une année complète de Toros ! En rentrant, vous les ouvrez un à un et vous placez dans quelques-uns des marque-pages — ainsi, vous saurez lesquels prendre en priorité le moment venu.
Le premier numéro de l’année 1989 (n° 1344 du 15 janvier) m’interpelle en proposant un papier d’El Tío Pepe, « Cinq, oui ; quatre, non », sur un sujet rarement abordé, et qui me tient à cœur tout autant qu’il me turlupine : l’âge des toros. Extraits :
« Dans un hebdomadaire taurin espagnol un revistero connu a publié récemment un article qui se résume en substance à préconiser le retour au toro de quatre ans à peine. Il aggrave son cas en précisant : « un utrero adelantado de quatre herbes ». [...]
D’abord parce qu’un toro de quatre herbes cela ne fait pas un toro de quatre ans ; tout au plus un utrero (trois ans) allant sur ses quatre ans, et ce n’est pas la même chose. [...]
La transition s’effectuera au moyen de deux questions : premièrement, le toro allant sur cinq ans est-il impropre au toreo moderne ? ; deuxièmement, comment le retour au cuatreño serait-il accueilli ? [...]
Je n’étaierai pas ma démonstration sur des exemples puisés dans un passé plus ou moins lointain, mais tout simplement sur la récente feria d’automne 1988. [...]
Enfin, le 3, les beaux Victorinos : au troisième (avril 1984) notre « Nimeño » sculpte l’une des plus belles faenas de la temporada madrilène ; J. A. Campuzano est vaillant, surtout à son premier (décembre 1983) et Ruiz Miguel s’envoie avec son courage légendaire d’abord le premier (décembre 1983) mais surtout l’énorme, le monstrueux « Pobretón » (décembre 1983) l’un des toros les plus imposants et mieux armés qu’on puisse voir. Relire la relation de Joël Bartolotti.
Et alors, c’est ça qu’on voudrait supprimer, et le remplacer par quoi ? Par des corridas plus faciles qui se dérouleraient uniformément dans l’euphorie, avec oreilles et queues tombant du palco ? Une palinodie qui nous mènerait tout droit à la décadence de la Fiesta ? Au misérable retour de l’utrero ?
Ne touchez pas au toro de lidia. »

Ces lignes d’El Tío Pepe, en particulier celles des deux premiers paragraphes, appellent, me semble-t-il, quelques précisions, rappels et/ou remarques :
1# Tout toro naît entre le 1er juillet et le 30 juin de l’année suivante (année ganadera) ;

2# C’est ainsi que lors de la prochaine temporada 2009, tout toro né entre le 1er juillet 2003 et le 30 juin 2004 portera le guarismo 4 (marque au fer rouge apposée généralement sur l’épaule droite et correspondant au dernier chiffre de l’année où se terminent les naissances, ici 2004) et sera donc cinqueño... à l’exception de ceux nés en juillet 2003 et qui ne pourront être combattus en juillet 2009 — et ainsi de suite — puisqu’ils auront 6 ans ! ;

3# On appelle becerro (veau) aussi bien l’animal qui vient de naître que celui de 2 ans allant sur ses 3 ans — noter que certains « toros » n’auraient que 13 mois de plus que certains veaux... :
becerro mamón (de la naissance au sevrage — destete en esp. — le petit n’aura ingéré que le lait maternel1) ou veau de lait (en esp. recental : « se dit de l’animal, mâle ou femelle, qui n’a pas encore paît, et qui par conséquent, sauf circonstances aberrantes, se nourrit toujours en tétant sa mère. À compter de la naissance, cette période dure approximativement 8 mois. » Alfonso Navalón) ;
becerro choto (moins de un an, on pourra utiliser le terme pour qualifier les veaux dans la période comprise entre le sevrage et 1 an) ;
becerro añojo (entre 1 et 2 ans) et
becerro eral (entre 2 et 3 ans).
L’eral a la particularité d’appartenir à deux tranches d’âge : celle du becerro et celle du novillo. Au même titre que l’eral (2 ans) qui sort en novillada non piquée, l’utrero est un novillo de 3 ans combattu en novillada piquée, et qui sera toro (corrida) entre ses 4 ans (de 4 à 5 ans, cuatreño) et ses 6 ans (de 5 à 6 ans, cinqueño) — 6 étant l’âge limite, celui de la « réforme » ;

4# Les naissances s’effectuent dans leur grande majorité entre les mois d’octobre et de mars (automne/hiver), avec un pic assez net entre décembre et février, mais on constate aussi qu’elles s’étalent désormais sur toute l’année2 : certaines naissances — pas toutes bien entendu — ont lieu en juillet (Carmen Segovia ou Victoriano del Río), en août (Marqués de Domecq, Salvador Domecq ou Samuel Flores), en septembre (Bucaré, Garcigrande ou Peñajara), en avril (Partido de Resina ou El Pilar), en mai (Juan Luis Fraile ou San Martín) et même, fait rarissime, en juin (Juan Pérez Tabernero ou Carmen Segovia) — y’a plus d’saisons ma p’tite dame !3 ;

5# Nous en arrivons maintenant à la notion qui fait débat : la notion d’herbe(s). S’il y a un consensus autour de la définition — au singulier, elle équivaut au printemps que le veau a passé à paître, et au pluriel au nombre de printemps que le veau a passé à paître —, il y a un malentendu quant à son interprétation. Et attention, paître c’est paître, c’est-à-dire « manger l’herbe sur pied » selon Le Petit Robert ; ce qui n’est pas la même chose que se nourrir du lait de la mère qui paît... Sinon il faut revoir la définition.
Bref, après une courte introduction, El Tío Pepe débute son papier en écrivant : « Dans un hebdomadaire taurin espagnol un revistero connu a publié récemment un article qui se résume en substance à préconiser le retour au toro de quatre ans à peine. Il aggrave son cas en précisant : « un utrero adelantado de quatre herbes ». »
Pourtant, d’un certain point de vue, un toro peut tout à fait avoir 4 ans bien tassés et avoir passé 4 printemps à paître (4 herbes). Prenons l’animal né en janvier 2005 (guarismo 5) et sevré à la fin de l’été. Il ne passera son 1er printemps à paître qu’en 2006, le 2e en 2007, le 3e en 2008 et le 4e cette année. S’il est combattu au mois d’août prochain, il le sera à 4 ans, 7 mois et 4 herbes !
Choisissons un autre exemple et appliquons cette fois-ci la logique d’El Tío Pepe qui renvoie clairement à l’aspect « temporel » de la notion (merci Laurent) plutôt qu’à sa « valeur nutritionnelle » ; ou le nombre de printemps pris en compte sans se soucier de savoir si le veau a réellement pu goûter cette si riche et importante herbe de printemps (?)4. Notre toro naît en novembre 2004 (guarismo 5) et compte ainsi déjà 1 herbe en 2005 (alors qu’il ne sera sevré qu’en plein été et n’aura donc pas brouté l’herbe de printemps), puis 2 en 2006, 3 en 2007 et 4 en 2008 (5 en 2009). Mais en avril 2008 il est utrero, d’où la traditionnelle (et curieuse) formule : « compter une herbe de plus que d’années »4. En revanche, le toro né en avril 2005 (guarismo 5) aura effectivement 4 ans lors de sa sortie dans l’arène en mai/juin 2009, mais toujours 4 herbes ; nous sommes bien en présence de l’utrero adelantado (de 4 ans et 4 herbes) évoqué par le revistero espagnol et qui agaçe tant El Tío Pepe ;

6# Par conséquent et du fait (liste non exhaustive) :
de l’étalement des naissances sur toute l’année ganadera, et partant de là des sevrages — intervenant selon les élevages entre 5 et 10 mois après la mise bas ;
des périodes de sécheresse (plus longues et plus fréquentes ?) ;
des différences de quantité et de qualité des pâtures (en fonction de la localisation des ganaderías et de leur géographie) ;
de la variété (lait maternel, herbe, foin, paille, pienso5...) de l’alimentation du toro ainsi que
de sa plus ou moins bonne maîtrise ;
la notion d’herbe faisant référence à la « saison d’herbage » ou à l’« année de pâture » apparaît somme toute assez aléatoire, tandis qu’elle devient presque obsolète lorsqu’elle est employée comme synonyme de « printemps » — à rapprocher de la notion d’âge ;

7# Car les dates de naissance (mois et année) sont connues ; aussi, calculer l’âge d’un « toro » ne devrait pas causer de souci. Quoique... Prenez 'Billetito' du Puerto de San Lorenzo, né en mars 2004 (guarismo 4) et sevré à l’automne ; il trépassa à Madrid sous l’épée de M. A. Perera... le 23 mars 2008 ! Le doute est ici permis car le jour de la naissance des toros ne figure pas sur la fiche sorteo... 'Billetito', certifié utrero adelantado, devait tout juste avoir 4 ans (et 4 herbes selon El Tío Pepe) ou, tout juste 4 ans et 3 herbes si l’on tient compte de son premier printemps consacré à se nourrir du lait de sa mère ;

8# Un veau né en hiver, par exemple en février 2005 (guarismo 5), et sevré entre 5 et 7 mois (entre juillet et septembre) pour certains auteurs, ou entre 8 et 10 mois (entre octobre et décembre) pour d’autres6 (plus nombreux) ; ce veau ne connaîtra sa première herbe (de printemps) qu’en 2006, et n’en comptera donc que 4 au moment de sa sortie dans l’arène en juillet 2009 (4 ans et 5 mois), voire seulement 3 s’il est combattu en mars (4 ans et 1 mois = utrero adelantado) !
De fait, tous les veaux nés entre janvier et mars (et plus tard a fortiori) et sevrés tôt à 6 mois (entre juillet et septembre), ou nés entre octobre et décembre et sevrés plus tardivement à 8/9 mois (entre juin et août/septembre), ne profiteront pas complètement de « l’herbe qui croît de toute part au printemps tandis qu’elle végète en hiver ou pendant un été sec. »7 Seuls les veaux nés à la fin de l’été et sevrés 6/7 mois plus tard brouteront leur première herbe le printemps suivant (de l’année suivante of course !) ;

9# Nous avons vu que les herbes équivalaient au nombre de printemps que le toro a passé à paître. Soit, mais peut-on accorder une herbe au veau qui aura été sevré en mai/juin, ou au toro qui sortira dans le ruedo à cette période de la temporada ? J’avoue ne point trop savoir quoi en penser... De même, il y a sans nul doute des coins d’Espagne où le printemps est autrement précoce, et où l’été prolonge avec force générosité les bienfaits printaniers sur une durée plus ou moins longue ;

10# Enfin, quid du célèbre (ou légendaire ?) « toro de 4 ans et 5 herbes » ? Ou tourné différemment, quel toro devant être lidié lors des prochaines San Fermín pourra prétendre répondre à ce profil ? Entendons par là ceux qui auront 5 années de pâture (printanière) complète... À Pampelune en 2009, seront « toros de 4 años y 5 hierbas » uniquement :
ceux nés en août 2004 (ou entre la mi-juillet et la fin juillet puisque la féria se déroule la première quinzaine de juillet) et sevrés à 6 mois (février), 7 (mars) voire 8 en avril 2005 ;
ceux nés en septembre 2004 et sevrés à 6 mois (mars) et 7 (avril) ainsi que
ceux nés en octobre 2004 et sevrés à 6 mois en avril...
Ceux-là et ceux-là seuls auront bénéficié du printemps 2005 dans sa quasi totalité ! Ces toros auront bien 4 ans, 11 mois (ou 10 ou 9) et 5 herbes (2005, 2006, 2007, 2008 et 2009) en juillet 2009. Mais comme on peut le constater, l’expression « toro de 4 ans et 5 herbes » ne concernera à Pampelune qu’un nombre faiblissime de bêtes, vu qu’une toute petite minorité d’entre elles sera née en août, une très faible proportion en septembre, et que celles nées en octobre auront probablement été sevrées à 8 mois plutôt qu’à 6 !

Une conclusion s’impose : si Pampelune souhaite présenter des toros de 5 herbes ou de « 5 años de pasto », ceux-ci devront « nécessairement » avoir 5 ans... De toutes les façons, les gars de la Casa de Misericordia ne doivent pas être du genre à se prendre la tête à compter les herbes ! Vous non plus ?…

À l’instant précis où je me laissais aller à écrire ce grossier mensonge, je saisissais le marque-page du n° 1347 du 19 mars 1989, dans lequel Marc Roumengou, réagissant à un autre article d’El Tío Pepe paru fin 88 dans la « vieille dame », apportait heureusement de l’eau (limpide) à mon moulin :
« Sur 5 ans, âge du taureau de combat, alors que 4 ans est celui du novillo8, il faut insister sans cesse malgré les affirmations réitérées depuis des décennies sur la précocité de cette catégorie de bovins, affirmations que n’est venu étayer aucune preuve et dont le principal objectif était de faire accepter du bétail jeune lorsque l’on n’avait que l’examen de la denture pour apprécier son âge.
À l’inverse de cette propagande et dans l’étude qu’il a publiée en 1977, le docteur-vétérinaire J. A. Ramagosa Vila expose que « le taureau de combat espagnol appartient au groupe des races tardives ou autochtones... son ossification osseuse et cartilagineuse (brides) ne s’achève pas avant 4 ans accomplis et ce, en bonnes conditions de conduite de l’élevage et d’alimentation ». Ceci a pour corollaire une certaine « fragilité » des bêtes plus jeunes ou dont l’alimentation aura été imparfaite. »

Mes très chères sœurs, mes très chers frères, sachez-le, il va falloir (beaucoup) prier — eh oui, il est des situations compromises où il ne reste plus guère que la prière — si vous souhaitez voir (beaucoup) plus fréquemment le toro de 5 ans... Car si vous aimez, comme je l'aime, le toro con toda la barba y con sentido, alors il y a fort à parier que le cinqueño vous offre davantage de promesses que son cadet.

NB Vous je ne sais pas, mais moi je le sens bien le rectificatif...

1 Des marques spécialisées dans la production d’aliments industriels pour ganado de lidia et destinés aux éleveurs proposent, outre des piensos, des « compléments alimentaires » censés favoriser la transition entre le lait maternel et la nourriture dite « solide » (sevrage) pour des veaux non encore sevrés. Business is business...
2 Merci à Las-ventas.com et à sa section « Apartados » (2008). Une curiosité, les dates de naissance du lot madrilène de Palha affichaient 6 mois différents. Autre curiosité, Martelilla amena 2 lots : les toros étaient tous nés entre octobre et février, tandis que les novillos l’étaient entre juillet et septembre.
3 L’un des objectifs est clair : le gros des courses ayant lieu entre avril et septembre, en programmant des naissances d’avril à septembre, les éleveurs peuvent tout au long de la temporada proposer aux empresas des utreros adelantados (de seulement 3 herbes).
4 Logique « parfaitement » explicitée par Pierre Mialane dans La Tauromachie, Histoire et dictionnaire, Robert Laffont, Collection Bouquins, 2003. : « HIERBA, parfois YERBA. L’usage ganadero veut que l’âge des animaux soit exprimé en primaveras pasadas (printemps vécus) ou mieux en nombre d’« herbes » broutées au printemps. Les bêtes naissant en hiver, elles commencent à brouter dès le printemps. Elles ont donc une herbe alors qu’elles n’ont encore que quelques mois. Ce qui fait qu’un animal de deux herbes aura un peu plus d’un an, un de quatre herbes sera âgé de trois ans. L’âge exprimé en herbes est donc supérieur d’une unité à celui exprimé en années ». Bizarre, vous avez dit bizarre ?
5 À ce propos, lire attentivement les lignes sur le passage d’un mode d’élevage extensif à un mode semi-intensif, voire intensif lorsqu’il s’agit de préparer une course... Quelques semaines avant de sortir en piste, les toros, soumis au régime pienso et parqués dans des cercados caillouteux, brouteront des yeux, et seulement des yeux, l’herbe de printemps qui pousse effrontément et à foison derrière des palissades en tôle.
6 Luis Fernández Salcedo (El Toro bravo, Ministerio de Agricultura, 2e éd., 1993 & La Vida privada del toro, Egartorre, 3e éd., 1996) penche pour 8 mois. D’ailleurs, Salcedo préconise en substance ceci : les sementales couvriront les vaches au printemps (de mars à juin), qui mettront bas leurs veaux en hiver (de décembre à mars), lesquels passeront leur premier printemps à téter leurs mères, puis seront séparées d’elles (sevrage) 8 mois plus tard, d’août à novembre, mois au début duquel ils subiront l’épreuve du fer (herradero).
7 Michel Ots, Plaire aux vaches, Atelier du Gué, Villelongue d’Aude, 2001.
8 Oui, oui, vous avez bien lu !

Images Toros du Marqués de Albaserrada en train de se chauffer les oreilles dans les corrals de Vic en 1988, photo © Gilles Cattiau (Toros n° 1350 du 7 mai 1989) Trop occupé à savourer le lait maternel… Chez Pablo Mayoral (Madrid, mai 2008) © Campos y Ruedos  ‘Peluquero’, 5 ans, 6 mois (janvier 2003) et 5 herbes (de 2004 à 2008), un Cebada Gago avec la tête d'un à-qui-on-ne-la-fait-pas, dans les Corrales del Gas à Pampelune © Campos y Ruedos Fin 2006, herradero chez les Héritiers de Christophe Yonnet où, une fois n’est pas coutume, le fer du guarismo (7) brûle l’épaule gauche © Campos y Ruedos Né en novembre 2002 (guarismo 3), lidié à 5 ans, 11 mois et 5 herbes (de 2004 à 2008) le dimanche 12 octobre dernier à Las Ventas par Hernán Ruiz ‘El Gino’, ‘Garabato’ du Conde de la Maza fut ovationné à l’arrastre © Juan Pelegrín