Depuis quelques jours, il est question de Palha, de Luis Francisco Esplá et de Las Ventas. Pour ne pas être en reste, je vais moi aussi vous parler de « ces trois-là ». En octobre 2003, je ne me rends pas à Madrid pour la première fois et uniquement pour visiter l’exposition consacrée à Manuel Padorno. Non, je viens voir les toros de Palha et le matador Luis Francisco Esplá, à Las Ventas.
Ce dimanche 5 (tiens un 5), j’assiste à ma première corrida madrilène et ce malgré — ou surtout à cause — une précédente course de Palha (le 5 juin 2002 lors de la San Isidro, tiens un 5 juin) malmenée lors des reconocimientos vétérinaires (trois toros refusés), sortie incomplète (un carmen borrero complétait le lot), très inégalement présentée (certains protestés dès leur entrée) et si catastrophique de comportement que d’aucuns soupçonnaient les palhas d’être malades... Et dire que la légendaire ganadería portugaise faisait son retour à Madrid en corrida formelle1 après quelque chose comme une trentaine d’années d’absence. Au soir de ce 5 juin funeste, João Folque de Mendoça, le propriétaire de l’élevage à la devise bleue et blanche, broyait du noir ; il était pour un temps devenu la risée du monde des toros et son fer n'avait jamais aussi bien porté sa croix que ce jour-là. À cause disais-je de cet incroyable rendez-vous mille fois manqué, je me promis d’être présent sur les tendidos venteños quand sonnerait l’heure du rachat. « Folque » avait lui-même programmé le réveil au... dimanche 5 octobre 2003. À 17 heures 30.
Avant de revenir sur cette tarde, permettez que je jette un coup d’œil appuyé dans mon rétroviseur portugais — oui, j’ai un rétroviseur portugais. Dimanche 31 mai 1998 à Nîmes, toros de Palha : je ne me souviens de rien ! Ça commence bien. Le 13 septembre de la même année, l’amphithéâtre arlésien, géré par Hubert Yonnet, voyait débarquer six tigres féroces pour autant de combats d’un autre temps. À Vic, lors de la première Pentecôte de ce siècle, un curieux fourgon publicitaire vantait, à grand renfort d’images vidéo, d’affiches et de tracts, la corrida d’Aire du 18 juin 2000 organisée par Folque de Mendoça — vieille et sauvage affiche tirée des archives de l’élevage, photos des six rustres « buffles », débarquement public et longue lettre2 un brin mielleuse adressée « À l’afición française », rien de moins. Le dimanche 16 juillet suivant à Céret, les palhas exhibaient des flancs, des cuisses et des épaules ornés de marques et de signes surprenants : six estampes pariétales chassées pour leurs oreilles. À Nîmes, le 30 mai 2004, deux toros de Palha officiellement déclarés aféités3 provoquèrent dans le mundillo français une polémique sans fin au cours de laquelle João Folque de Mendoça et son entourage ne ménagèrent pas leur peine pour noyer le poisson. Enfin, le 31 mai dernier à Vic-Fezensac, ‘Camarito’ (ci-dessous)...
Après cette parenthèse, revenons sur la course du 5 octobre 2003. Je voulais voir Esplá à Madrid, à la Feria de Otoño ; et puis le proprio n’avait pas encore ouvert la « grosse » caisse à outils... Pris dans la cohue de l’apartado matinal, je me rappelle seulement avoir entraperçu du bois, beaucoup de bois, rien que du bois... et des poils noirs aussi. Comme évoqué plus haut, la dernière course madrilène du fer fut un petardo ganadero majuscule et « Môsieur » avait à cœur de se racheter. Sauf qu’il prit une nouvelle fois les aficionados pour des pommes en se disant qu’à Madrid ils aimaient les cornes ; alors il rassembla toutes les cornes de sa ganadería et les posa sur les têtes des toros qui devaient sortir ce 5 octobre ! Ceux-là portaient certes des armures à faire frémir mais question trapío... Bref, ceci dit et sauf à vouloir à tout prix chercher des poux, la présentation d’ensemble du lot se montrait digne de Madrid.
Las Ventas se remplissait lentement, sûrement et bruyamment jusqu’à afficher « No hay billetes ». Il n’y avait peut-être plus de billets mais il y avait du vent, un vent frais et violent poussant des nuages gris et menaçants. Il ne manquait que la pluie... et les palhas à qui il ne restait plus qu’à sortir en piste, bien sagement, les uns après les autres. Quand Luis Francisco Esplá, Eduardo Dávila Miura et Jesús Millán finirent de défiler, un rayon de soleil réchauffait encore l’atmosphère. Pour un court instant car il ne s’agissait que d’une brève piqûre de courage avant l’orage, avant que les six masses sombres surarmées des bords du Tage — ‘Gradilho’, ‘Zamaro’, ‘Mejicano’, ‘Cigala’, ‘Peluquero’ et ‘Lagarto’ — viennent chacune à leur tour assombrir le tableau. Et lorsque, en éclaireur, ‘Gradilho’ déboula du toril avec ses 120 (135 ? 150 ?) centimètres de pointe à pointe, nous comprîmes tous vite qu’il n’était là ni pour éclairer quoi que ce soit ni pour nous tricoter une petite laine ! Dommage, parce que moi j’avais froid ; d’ailleurs, et veuillez m’excuser par avance pour cette lamentable transition, je suis certain que Joël Bartolotti eut froid lui aussi...
De retour en France, l’actuel directeur de la revue TOROS prit sa plume clairvoyante et écrivit ce qu’on ne lit plus guère de nos jours, extraits4 : « Solides, forts, armés (voire très armés), de trapío et braves même si l’on excepte le quatrième, manso et surtout distrait. [...] Face à ces toros de respect, nous vîmes trop de toreros d’irrespect, particulièrement ceux à cheval qui se comportèrent honteusement, perpétrant à dessein des puyazos en arrière propres à tuer la plupart des toros modernes et la fiesta elle-même. Vous aurez compris que cette course, brave au premier tiers, fut délibérément massacrée par les hommes au castoreño, lors de la première rencontre mais aussi lors de la deuxième, voire encore lors de la troisième pour les trois cornus qui la subirent. En ces temps de picotazos pour la forme, cette odieuse sangría n’eut que plus de relief. 15 varas longues, dures, traseras et en carioca furent la réponse à des assauts souvent vifs, fiers et braves. Les cuadrillas, à la dérive, supportèrent, comme elles purent, accrochages des leurres, accélérations et poursuites, angoisses et fatigues auxquels elles ne sont plus habituées. Le maestro L. F. Esplá lui-même, pourtant à son affaire par gros temps, en perdit le sourire et subit même deux désarmés au capote, deux autres à la muleta avant de sauter même dans le callejón au quatrième. Rien de tout cela ne pouvait rassurer une torería absente. [...] Les palhas avaient tous cinq ans ou presque et les idées de leur âge. Un était de la race ancienne et un de Torrealta, deux issus d’un croisement B. Ibán et deux purs Ibán dont ‘Peluquero’. »
La suite : un tonnerre d'applaudissements pour ce « grand brave » de ‘Peluquero’ sorti en 5 (tiens un 5) et le mayoral appelé à saluer à trois mètres du burladero en signe de réconfort...
Le reste : les bregas et banderilles supérieures de Domingo Navarro et El Boni mais aussi la terrible impuissance de Dávila Miura et la peur panique de Millán.
Pour finir : le plaisir rare d’avoir vécu une course de toros importante et vu un Luis Francisco Esplá chef de lidia égal à lui-même. ¡Gracias y adiós Torero!
1 Donc hors « concours ».
2 Dans laquelle il était beaucoup trop question d’éthique pour que cela sonnât vrai...
3 Voir le rapport d’expertise effectué par le professeur Sautet à l'École Nationale Vétérinaire de Toulouse le 28 juin 2005 (source ANDA).
4 TOROS n° 1713 du 9 octobre 2003.
En plus La galerie de la tarde du 5 octobre 2003, signée Burladerodos, et le site de l'association culturelle Círculo Amigos de Palha méritent une visite...
Images Le recto d’un montage photo personnel (Madrid – 05.10.2003) ● ‘Camarito’ passant de l’ombre à la lumière (Vic – 31.05.2009) © Camposyruedos ● Le verso... Yo no soy fotógrafo...
Images Le recto d’un montage photo personnel (Madrid – 05.10.2003) ● ‘Camarito’ passant de l’ombre à la lumière (Vic – 31.05.2009) © Camposyruedos ● Le verso... Yo no soy fotógrafo...