02 juin 2009

Le chemin d'Aguilar


C’est bien connu, « de toros no saben ni las vacas ». Les toros, même les vaches n’y comprennent rien. Ce vieux dicton dont j'ai oublié l’origine nous dit la difficulté du toreo, la complexité pour un professionnel de se mettre les toros dans la tête, de les comprendre.
L’expression a perduré. Elle a d’autant plus perduré qu’à bien y réfléchir elle est très pratique pour faire taire les aficionados.
Étant donné que les vaches n’y comprennent rien, et les toreros forcément pas davantage, imaginez donc les aficionados… Ça en arrange bien quelques-uns, finalement, que personne n’y comprenne rien.
Ceci étant, il est vrai que pour qui ne s’est jamais mis devant, cette chose étrange et merveilleuse qu’est le toreo, restera à jamais un mystère.
Et encore, lorsque j’écris "se mettre devant", il faudrait là aussi préciser et nuancer. Et probablement, nous arriverons à la conclusion que del toreo no saben ni los toreros. Ou alors très peu d’entre eux, un peu comme pour les vaches, quoi.
Je me suis fait cette réflexion dimanche soir à Vic en regardant Sergio Aguilar suivre, sans broncher, et sans douter, le difficile chemin qu’il a décidé d’emprunter pour arriver au sommet de la hiérarchie de la profession qu’il a choisie.
J’ignore évidemment si l’avenir lui donnera raison, et les pronostics ne sont pas ma tasse de thé. Mais à le voir, froid, plein d’aguante, longiligne, presque raide, on se dit que si un jour il devient figura del toreo ça pourrait nous donner quelque chose entre le Cid et José Tomás.
Pour l’heure, Sergio Aguilar poursuit son but avec ce courage froid dont peu peuvent se prévaloir.
Lundi soir donc, son second, de La Quinta, se décompose en cours de faena et ne confirme pas les bonnes dispositions manifestées à la cape.
Il n’y aura pas, de toute évidence, réédition du triomphe de 2008. Ça ne l’empêche pourtant pas de s’exposer, par manoletinas, et oui, d’aller au carton, sans fioriture, sans ostentation, simplement suivre la voie qu’il s’est tracée.

Sergio Aguilar va essuyer deux volteretas, spectaculaires et effrayantes, noires. Une sorte de big bang pour annoncer la naissance de quelque chose. Le plus terrible peut-être est de le voir impavide, ne jamais se décomposer et poursuivre ce à quoi il se destine, sans doute apparent.
J’ai raté les dernières photos. Je n’ai pas vu le peón trébucher, je l’ai juste deviné. Pas très loin de moi, un intellectuel connu et reconnu chez les aficionados se met à hurler comme une gonzesse : « Arrêtez ça ! Mais arrêtez donc ça ! ». Il m’a tellement fait sursauter que j’en ai oublié de lui demander ce qu’il voulait arrêter au bout du compte. Quelques secondes plus tard déboule dans le coin un organisateur bien connu. Il est visiblement excédé. Il trouve qu’il faut être complètement abruti pour se laisser ainsi attraper. J’avoue ne pas avoir osé, mais j’ai presque eu envie de lui demander si de son point de vue José Tomás était aussi abruti qu’Aguilar.

En conclusion, pas plus le taurin que l’intellectuel n’ont pu se mettre la personnalité d’Aguilar dans la tête. Je n’aurai pas la prétention de devoir m’en faire une idée plus juste ou d’en avancer une compréhension plus éclairée, simplement dire mon émotion. Les vaches ne savent rien des toros. Mais qui peut prétendre savoir des toreros ?
J’étais simplement pétrifié. Pendant ce temps, Aguilar, impavide, a tué son toro, sans sourciller, poursuivant son chemin.