Il y a quelques jours, à Alicante, Enrique Ponce a gracié une bête à cornes, semble-t-il non piquée. Ladite bête portait le fer de Juan Pedro Domecq, un des plus grands fossoyeurs qu’aura connu la cabaña brava espagnole, malgré une intense production industrielle. Rien de nouveau sous le soleil serait-on tenté de commenter, et en terminer là avec ce qui n’est ni un événement ni une nouvelle, rien, juste la constatation de plus en plus quotidienne de la dégénérescence de la fiesta telle que la conçoivent encore de moins en moins d’aficionados.
Rien de nouveau sous le soleil sauf que cette fois-ci quelques voix ont osé s’élever. Evidemment, il faut rester prudent. Tenez, par exemple, peut-on se fier aux critiques du portail Burladero punto com qui, avant Alicante, a grassement fermé les yeux sur d’autres événements tout aussi risibles ? Difficile à dire lorsqu’on sait que Burladero est le principal concurrent de mundochoto et que ledit mundochoto est financé en partie par ledit Juan Pedro Domecq. On peut légitimement s’interroger sur les raisons profondes de cette subite montée critique de l’indulto d’un toro non piqué.
Vous allez me dire que vous vous en foutez. Nous aussi figurez-vous. Non, ce qui a attiré mon attention c’est la présentation de la chose : Ponce indulte un toro.
Il paraît même que ce serait son quarantième, ou pas loin. Vous vous rendez compte ? Quarante toros indultés, quarante toros au panthéon et au firmament de la race brave. Je ne sais pas si vous prenez bien la mesure de pareille performance : un record, un mythe, une légende même. El Guerra, Lagartijo, Belmonte, Joselito, à côté d’Enrique Ponce, mais c’est Oui-Oui à la plage !
Quarante toros historiques… Je viens subitement de réaliser que je suis passé à côté de ça. Pauvre de moi. Et, ne riez pas, je suppose que vous aussi. Car, très sincèrement, là, comme ça, à brûle pourpoint, seriez-vous capable de me citer ne serait-ce que trois ou quatre noms de ces quarante toros historiques graciés par Monsieur Ponce ?
Ponce indulte un toro, Mengano indulte un toro, Fulano indulte un toro…
Ce ne sont pas les toros qui se gagnent le droit d’aller couvrir quelques femelles andalouses, ce sont bel et bien les toreros qui leur offrent, ou pas, cette opportunité, pour peu que leur noblesse imbécile soit à la hauteur de leurs exigences et de leur convenance.
Quand je songe qu’ils ont chipoté la vuelta à 'Clavellino', que nous nous sommes interrogés sur 'Bastonito'…
Au bout du compte, ces grâces sont un pas de plus dans la démagogie de l’attribution des trophées. Dans certaines arènes, de moindre catégorie, la chose a atteint de tels degrés que plus personne n’y prête attention. Alors il faut bien trouver autre chose, aller plus loin encore pour faire parler. L’indulto est parfait pour cela. Car outre un degré de plus dans le triomphalisme populiste, il met un terme à l’heure de vérité, celle de l’estocade, et participe donc parfaitement à la propagation d’une certaine idée de l’humanisation de la fiesta. L’indulto, la pique andalouse, avant celle de tienta, le toro monopiqué. N’en doutez pas, l’évolution est en marche. Et nous n’y pourrons malheureusement rien. Et ce n’est pas innocemment qu'un taurin andalou a déclaré il y a peu qu’un indulto serait la meilleure chose qui pourrait arriver à la Maestranza de Séville. Histoire de bien enfoncer le clou sans doute et précipiter un peu plus les choses. Les antis ont de beaux jours devant eux.
NDLR – Si rien ne nous a échappé, Monsieur Poooonce a remis ça quelques jours plus tard avec un zalduendo ! Les antis ont vraiment de beaux jours devant eux…