24 juin 2009

Juin 1933, « Le Toril »


En juin 1933, Le Toril n’est pas content et le fait savoir. Il veut connaître les poids des novillos de Moreno de la Cova combattus à Vic et les réclame aux Gersois. Mais quelque chose cloche et Le Toril, qui goûte peu la plaisanterie, fronce ses sourcils broussailleux, enfile les gants et cogne. Chaud devant !

« Nous avons de nombreux sujets à traiter depuis plusieurs semaines et nous sommes obligés de faire une sélection afin de ne pas prendre trop de place.
À moins d’événements imprévus, nous les épuiserons peu à peu.
Nous avons voulu connaître le poids des novillos lidiés à Vic-Fezensac, le 4 juin.
On nous répondit que les six avaient fourni 1.830 kilos de viande, soit une moyenne de 305 par animal. Cherchant avant tout à renseigner exactement nos lecteurs, nous avons insisté et fait remarquer qu’à notre avis, le lot ne pouvait donner un poids pareil. On nous a alors affirmé que le bulletin de l’octroi de la ville où furent vendus les toros, était à notre disposition et que nous pouvions vérifier le poids avec cette pièce officielle.
N’étant point convaincus, nous avons réclamé le poids vif des bichos au passage à la douane et il nous fut communiqué sans la moindre difficulté.
Depuis deux ans bientôt nous pointons avec soin le poids brut des toros et le poids de viande nette donné ensuite à la boucherie.
Nous possédons ainsi plus de trois cents exemples qui nous montrent que toutes les courses donnent à peu près la même proportion de viande. Ils proviennent de différentes plazas espagnoles et françaises. Quand nous voudrons publier des chiffres, il nous sera possible de trancher, une fois pour toutes, cette question en étayant notre thèse sur des bases précises.
Le poids brut de la novillada de Vic-Fezensac est inférieur de 250 kilos environ à celui donné par la course de septembre 1932.
Nous estimons en conséquence à 275 kilos de moyenne le poids des six La Cova du 4 juin, allant, toujours à notre avis, de 260 le troisième à 300 le dernier.
Grâce à la pièce officielle de l’octroi, il nous serait facile de berner nos lecteurs. Nous préférons, au contraire, leur faire part de notre point de vue en leur signalant que peut-être on a pesé, pour arriver à ce chiffre, certains déchets qui ne doivent pas entrer en ligne de compte. Avec le poids total brut de la course au passage de la frontière, nous en déduisons que la moyenne des novillos doit être de 275 kilos. Combien de toros de corridas formelles sont éloignés de ce chiffre ! Nous tenons même, nous le précisons, à rester plutôt au-dessous de la vérité.
Il est possible à dix kilos près, grâce au barême que nous avons établi et qui profitera des observations ultérieures, de connaître le poids approximatif d’une course lidiée en France. Ceux qui cherchent à tromper leurs lecteurs en publiant des chiffres fantaisistes, tout en défendant rigoureusement l’entrée de la boucherie pour pouvoir truquer à leur aise, ne se doutaient certainement pas qu’il y a des pièces officielles constatant le poids du bétail à son entrée en France. Malgré leurs précautions futures, il existe en haut lieu des personnes qui pourront nous les procurer, car il ne s’agit nullement d’un secret d’État ni de questions intéressant la défense nationale. Nous connaîtrons donc, à l’avenir, quand nous le voudrons, le poids d’une corrida et d’une novillada au passage de la douane, car c’est uniquement d’après le poids que sont fixés les droits d’entrée. Nous avons conservé les renseignements qui nous ont été fournis et si nous avons, depuis deux ans, noté de nombreux exemples, c’est précisément pour pouvoir établir une moyenne et confondre les bluffeurs qui ajoutent plusieurs arrobas au poids des toros lidiés dans les plazas, que nous avons fait tous ces calculs.
On verra bien, un jour, à quoi se réduisent les prétendues arrobas de viande des toros et novillos courus dans une arène de l’extrème Sud-Est. Il faut savoir profiter des relations et les renseignements nous parviennent de la meilleure source. Nous voudrions bien voir que les hauts fonctionnaires de l’Administration n’aient pas le droit de vérifier et de renseigner qui il leur plait, puisqu’il s’agit de chiffres que le moindre commis aux écritures peut se procurer. Nous sommes même dans l’intention de demander que les Services compétents fassent connaître, par la suite, le poids brut de toutes les corridas et novilladas entrant en France. Il n’y aura ainsi plus moyen de tromper le public, messieurs les plumitifs à la solde d’une direction ! »
Le Toril, n° 388, samedi 17 juin 1933.

À l’époque des faits, les poids des novillos ou des toros ne devaient pas être affichés avant la course si l'on en croit le règlement taurin espagnol de 19301, qui précisait : le poids des toros2 « se entenderá inmediatamente después de efectuado el arrastre, la res entera sin desangrar ». Une fois mortes donc et avant la saignée, les bêtes étaient pesées à l’arrastre. D'après Le Toril, le poids vif des cornus lidiés en France ne pouvait être connu qu’à la seule condition de contacter « les hauts fonctionnaires de l’Administration » ; ceux-là mêmes qui avaient entre leurs mains les poids des lots de toros au passage à la douane ! Quid du poids vif des toros espagnols combattus en Espagne et qui, de fait, ne franchissaient pas la douane ?…

Le Règlement taurin municipal (2005) en vigueur actuellement ne s’étend pas sur la question du poids. L’art. 43 (cliquer sur les mots en bordeaux) nous présente un sympathique petit tableau à double entrée, tandis que le très laconique art. 58.1.B fait allusion à des contrôles post-mortem du poids des toros, sans plus de précisions. Quoiqu’il en soit, et avant de revenir prochainement sur l’étonnante notion de « poids de viande nette » (poids de carcasse ou en canal) employée par la revue toulousaine, une conclusion provisoire s’impose : « de tout temps », la divulgation du poids vif (ou brut pour Le Toril) des toros à combattre ne fut jamais qu’un gracieux « cadeau » des empresas à l’aficionado… Qu’elles en soient ici remerciées ! D’autant plus que les acteurs de la corrida connaissent toujours les poids des bêtes ; des poids qui ont, à tort ou à raison, leur importance. Il n’est qu’à voir comment sont établies les paires de toros lors du sorteo : grosso modo, un parmi les trois plus lourds accompagé d’un parmi les trois plus légers…

1 En France, seuls des règlements locaux existaient. La première mouture du Règlement taurin municipal date de 1972 (source : FSTF).
2 Le poids minimum était annoncé en kilogrammes suivi de la conversion en arrobas (1 arroba équivalant à 11,5 kg env.) et en livres. Arènes de 1re catégorie : 470 kilos (40 arrobas et 22 livres) ; de 2e catégorie : 445 kilos (38 arrobas et 17 livres) et de 3e catégorie : 420 kilos (36 arrobas et 13 livres).

Images Malgré les apparences, cette couverture (dessin de René Double) n’est pas celle du numéro d’où provient l’article ci-dessus. Le Toril fut créé à Toulouse par Jean Roux ‘Juanerito’ et Alfred Degeilh ‘Aguilita’ en était une des figures marquantes. Le numéro 1 a paru le 11 mars 1922, le dernier au cours de l’année 1939 © Chapitre.com ‘Estudiante’, negro chorreado de 502 kilos, toro d’Alonso Moreno (Urcola) combattu à Madrid le 24 août 2008 par Francisco Marco. Son second de la tarde s’appelait… ‘Oreganer’ © Juan ‘Manon’ Pelegrín L’arbre des origines du fer Alonso Moreno de la Cova © Las Ventas