14 mai 2009

Premier tiers (I)


« Premier tiers (I, II & III) » se donne pour ambition de constituer une espèce de synthèse foutraque et utopique (indigeste ?) sur ce fichu tercio qui vient coup sur coup, à Madrid et à Saragosse, de subir deux affronts de 1re catégorie, qui plus est lors de corridas concours ! À Madrid tout d’abord où le jury, en attribuant à Antonio Núñez ‘Alventus’ le prix au « meilleur picador » (sic), a donné un très mauvais signal à sa corporation ; songez seulement qu’il a eu les honneurs d’une « plaque commémorative » (re-sic) sur les murs de Las Ventas. À Saragosse ensuite où le jury — encore lui ! —, en primant le labeur de Juan Manuel Sangüesa, a fini d’assomer une (infime) partie de l’Afición…

« Premier tiers (I, II & III) » n’est ni le point critique d’un délire paranoïaque ni même l’expression d’une quelconque volonté de rétablir la vérité. La suerte de picar revêt aujourd’hui essentiellement deux formes. À quelques exceptions près, tous les toros sont cités de face mais, au moment de la rencontre, soit :
1. Les axes du cheval et du toro dessinent un T et le contact a lieu franchement sur le côté — le toro percutant trop fréquemment l’étrier qu’on lui sert !
2. Les axes du cheval et du toro forme(raie)nt grosso modo un angle de 20 à 45° et le contact a(urait) lieu entre l’étrier — que le toro ne ferait jamais « sonner » — et le poitrail (inclus).
La première devrait concerner uniquement les invalides, les mous et les grands mansos (en lieu et place de la sacro-sainte et inadmissible carioca) ; la seconde tous les autres. Permettez un constat : la première — la plus efficace pour qui veut « châtier » le toro — est pour ainsi dire systématiquement utilisée, la seconde pratiquement* jamais ! De là à prétendre que tous les toros actuels sont des invalides ou des mansos perdidos…

« Premier tiers (I, II & III) » ne saurait être lu sans avoir, préalablement ou en suivant, jeté les deux yeux aux contributions des camarades Thomas Thuriès et Yannick Olivier, qui, au travers de leurs textes respectifs « Premier tiers, la révolution en marche » et « Premier tiers, la révolution en marche (II) », ont abordé la montagne par une voie non moins périlleuse, mais probablement moins technique. Eux ont atteint le sommet quand j’en suis encore à démêler les nœuds des cordes !

« Premier tiers (I, II & III) », enfin, ne vous proposera aucune photographie pour illustrer son propos, et ce afin d’éviter toute polémique quant à la pertinence (ou non) de « faire parler les images ».

* Pratiquement, car pas plus tard que l’année dernière, à Céret un 13 juillet au soir, je me souviens fort bien de ce veinard de ‘Dominico’ qui, s’il fut piqué un poil en arrière, eut à en découdre avec un picador torero. Son nom ? Je ne l’ai jamais su… et pourtant on nous l’avait affiché !

Parce que le premier tiers (devrait) constitue(r) le moment privilégié pour :

 Révéler, « découvrir », juger la bravoure (instinct offensif et agressif) du toro, ainsi que sa force et sa puissance.

 Abaisser son port de tête en diminuant la mobilité de l’ensemble « tête-encolure », notamment en vue de la mise à mort.

 Obtenir du toro des charges rectilignes et qu’il concentre son attention sur une « cible » unique (tout d’abord les capes et le picador puis le banderillero et enfin la muleta).

 Apprécier les compétences des matadors, celles des banderilleros et des picadors ― ainsi que le travail des chevaux ― dans leur souci de mettre en valeur le toro en le « préparant » pour les étapes suivantes de son combat, notamment le dernier tiers.

 Redécouvrir la variété du toreo de cape au travers des mises en suerte (placement du toro, arrêté, face au picador en mouvement) et des quites (utiles pour permettre à la bête de « se reprendre » et aux matadors de mieux analyser le comportement du toro tout en rivalisant de technique et d’originalité à la cape).

 L’éleveur d’évaluer dans l’arène le degré de bravoure de ses toros afin de confirmer ou d’infirmer ses choix dans la conduite de son élevage (tel toro de telle famille, issu de telle vache et de tel semental lui a donné entière satisfaction, tandis que…) tâchant de ce fait d’assurer un haut niveau de « qualité » et d’intérêt à la corrida.

 Pour nous, aficionados a los toros, de profiter de l’esthétique de ce duel sans équivalent dans la relation que l’homme entretient avec l’animal, ainsi que de montrer tout le respect que nous vouons à cette bête unique qu’est le taureau de combat dans toute la diversité de ses origines (encastes) : un animal intègre, c’est-à-dire en bonne santé, avec l’âge requis, des cornes « propres » (non manipulées et/ou non prisonnières de fundas), le poids juste et « dans le type » de son encaste.

J’ouvre une parenthèse. En ne considérant toutefois pas cet « effet » comme un « objectif » en soi, on peut cependant rajouter, en citant le professeur Juan Carlos Illera del Portal (6Toros6 du 27 janvier 2007), que « si le toro n’était ni piqué ni banderillé, il conserverait probablement le très haut niveau de stress qui est le sien lors de son entrée dans l’arène. La pique provoque un double mécanisme chez le toro : d’un côté elle le stresse et d’un autre côté elle produit une douleur ; et, donc, en ressentant (verbe sentir en espagnol dans le texte) la douleur il commence à libérer les bêta-endorphines qui l’atténuent. » Et attention, ne déconnez pas en allant jusqu’à prétendre, au risque de vous attirez les foudres de quelque éminence grise, que le toro souffre ! Non, non, il ressent la douleur mais ne souffrirait pas… Cette question (de la douleur, de la souffrance), visiblement de la plus haute importance, semble d’ailleurs transcender les clivages en vigueur chez les aficionados. À grand renfort d’arguments scientifiques, et sans craindre le moins du monde la caricature, le petit monde des toros convoque tout ce(ux) qu’il lui est permis de convoquer afin de faire la nique — une bonne fois pour toutes ? — aux antis. En tout cas, c’est l’impression que toute cette agitation (aux allures de propagande ?) me fait et à laquelle je ne manque pas, même petitement, de participer ! Je referme la parenthèse.

Mais il n'en va pas toujours ainsi… Et pourquoi donc ? vous demandez-vous. Peut-être parce que :

 Pour les besoins de « la cause », les ganaderos élèvent — en lieu et place d’un toro offensif et agressif, puissant et vendant chèrement sa peau — des animaux ainsi faits (au port de tête moins « arrogant », de peu de puissance et faibles voire invalides) que le tercio de varas serait devenu un « mal nécessaire ».
>>> La cause, jamais très clairement exprimée mais défendue, entre autres, par un prétendu déplacement de la véritable expression de la bravoure au troisième tiers, pourrait se résumer ainsi : transformer le combat du toro en une sorte de douce « chorégraphie » au danger estompé dont le triomphe facile des matadors serait le but ultime, au détriment de la notion de combat et des principes de la lidia (conduite du combat au cours des 3 tiers).

 Les matadors savent qu’ils « réduiront » rapidement et aisément le toro en le contraignant à une « méchante » 1re pique (en arrière du morrillo, longue, « carioquée »…), le rendant moribond tant physiquement que « moralement » — il faut bien admettre que, la plupart du temps, un (ou deux) picotazo(s) suffi(sen)t !

 En l’état actuel des choses, et avec notre assentiment — celui des aficionados et des présidences —, les matadors obtiennent malgré tout trophées et triomphes.

 Nous, aficionados, ne prenons pas en compte la qualité du déroulement du premier tiers au moment de « récompenser » un matador et sa cuadrilla — sinon cela se saurait et (pratiquement) toutes les dépouilles quitteraient l’arène avec leurs oreilles !


Prochainement, la suite. Elle proposera un rappel de points réglementaires ou non — rien de révolutionnaire — en vue d’une exécution espérons-le plus vivante et loyale du premier tiers, moment fondamental sans qui la corrida ne serait plus tout à fait la corrida — ce rituel délicieusement anachronique.


Images Dessin de notre ‘Batacazo’ © Jérôme Pradet Castoreño © Manon Pablo Picasso / Tête de picador au nez cassé, 1903 / Bronze & marbre, 19,69 x 14,92 x 11,43 cm © SFMOMA San Francisco Museum of Modern Art Picador de l’affichiste riojano © José Ángel Ligero Martínez