03 novembre 2008

Premier tiers, la révolution en marche (II)


Dans un communiqué daté du 27 octobre 2008, la Fédération des Sociétés Taurines de France (FSTF) rend compte de son 92ème congrès annuel, dont le thème était : « le tercio des piques ». C’est ainsi que la Fédération nous informe que le colloque réuni à cette occasion « a mis en lumière un laisser-aller quasi généralisé sur le respect des principes de la lidia lors du tercio des piques et donc un besoin urgent de réagir de la part de toutes les parties prenantes. Les Maires, les Présidences, les CTEM se doivent de faire respecter le règlement. Les ganaderos, les maestros et les piqueros doivent être prévenus de la volonté des villes qui veulent encore maintenir leur sérieux lors du déroulement des corridas. Ceci pour le plaisir des aficionados de toutes sensibilités. » Elle note également que « des propositions d’amélioration de l’organisation et du règlement taurin seront présentées à l’Union des Villes Taurines. »
Ces propositions sont résumées dans un compte rendu mis en ligne récemment. S’il y a au moins une chose dont l’on peut se féliciter, c’est de cette prise de conscience semble-t-il généralisée de l’état de déliquescence avancée dans lequel a peu à peu sombré le premier tiers. Il convient également de signaler, toujours au rang des bonnes surprises, le regret exprimé clairement du manque de valorisation médiatique dont souffrent « les corridas et les novilladas pour lesquelles le toro est l’élément principal ».
Il est sans doute utile de rappeler avec force, en s’inscrivant dans la ligne des propos tenus par Laurent Giner, qu’un règlement existe, certes dépourvu de toute force coercitive, mais qui présente néanmoins le mérite d’édicter les principes sur la base desquels les courses doivent être menées par les toreros et contrôlées par les présidents, et que sa simple application aurait sans nul doute pour effet de modifier la perception que nous avons des problèmes qui nous occupent.
Les deux novilladas programmées cette année à Parentis-en-Born ont ici valeur d’exemple pour peu que l’on se montre un tantinet attentif. Retour sur ces deux courses.

Premier acte, Pablo Mayoral : « Dévoilant une mansedumbre conséquente, ils prirent treize piques en allant à la rencontre de bon cœur mais sans s’employer vraiment, donnant de nombreux à-coups et se défendant de la tête. Allant a menos, trois d’entre eux sortirent seuls du cheval. A ce défaut de bravoure, il faut ajouter une media caste d’ensemble et de gros problèmes de force, le second étant invalide. »

Deuxième acte, Raso de Portillo : Il serait trop long ici de retranscrire l’analyse de Thomas. Contentons-nous de rappeler des novillos « qui grâce à leur bravoure et leur caste sauvage ont permis aux spectateurs de passer une excellente après-midi d’émotions. Une émotion qui dépassa les aficionados entendus puisque l’ensemble du public put profiter des frissons émis par le toro de lidia et ovationner à la fin du spectacle les six piqueros, véritables héros de la tarde. » En d’autres termes, « 2 heures 37 de grand spectacle sans un instant d’ennui ».

Au-delà de la démonstration éclatante qu’il n’est pas besoin d’être agrégé en tauromachie, ni d’appartenir à cette branche « ultra » dont on serait bien en peine de définir les contours tant ceux qui les ont tracés s’échinent à en entretenir le flou, pour prendre un immense plaisir à assister à une course telle que celle du Raso de Portillo, qu’y a-t-il à retenir de cette féria ? A première vue, on pourrait se demander ce qui peut bien rassembler ces deux novilladas au résultat comptable et artistique si dissemblable. Et pourtant, en sortant des arènes le premier jour, nous étions certes tous déçus, l’esprit déjà tourné vers l’espoir que suscitait en nous l’affiche du lendemain, mais cependant conscients d’avoir assisté, et donc d’une certaine façon participé, à un spectacle sérieux, digne et respectueux des principes et des fondements de notre passion. A aucun moment il ne fut permis d’avoir le sentiment de légitimer une mise en scène dégradante et grotesque, un succédané de course de taureaux, un enterrement programmé de la corrida. C’est donc le cœur léger et l’esprit clair que nous avons pu digérer cette tarde d’ennui en attendant des jours meilleurs.

Or le secret de cette réussite, dans son principe – car je ne doute pas un seul instant qu’il soit prodigieusement compliqué et laborieux à mettre en œuvre –, est pourtant simple : il réside dans le scrupuleux respect du règlement et des principes fondamentaux de la corrida. Rien n’a été inventé. Pas de grigri, pas de gadget, pas de recette miracle, pas de règles fantaisistes ou novatrices. Non. Le simple (et néanmoins si difficile à faire respecter) règlement, les simples (et pourtant quasi-systématiquement bafoués) principes fondamentaux.
Et s’il suffisait de s’en tenir là pour régénérer le premier tiers ? S’il suffisait d’adopter une attitude volontariste en faveur du respect du règlement, du toro et des principes de sa lidia (ce qui, en réalité, revient exactement au même) ? Il n’en est malheureusement rien, compte tenu du second problème, à côté de celui de sa calamiteuse exécution, qui mine aujourd’hui le tercio de varas, à savoir la faiblesse plus que préoccupante dont souffrent un nombre grandissant d’élevages de taureaux de combat. Et ce problème-là n’est pas près d’être résolu, dans la mesure où ce n’est ni d’un coup de baguette magique, ni même avec la mobilisation et la bonne volonté – oh ! combien chimériques – de tous les acteurs de la tauromachie, que nous y parviendrons.
Mais enfin, ce serait déjà un bon début. Car ce que l’on peut constater et déplorer aujourd’hui, c’est la différence de traitement qui est appliqué aux toros en fonction, précisément, de leur force : on assiste aujourd’hui, écœurés mais résignés, d’une part au massacre en règle des toros les plus forts (les procédés sont connus, et nous nous en sommes fait l’écho plus qu’à notre tour), le plus souvent à l’occasion d’une seule et unique rencontre assassine, et, d’autre part, à un simulacre de pique donné à des toros faibles et sans race. Nous continuerions donc d’assister impuissants à ce type de succédanés indignes, auxquels il nous serait toutefois loisible de renoncer, mais nous pourrions ainsi éprouver, en quelque occasion, le plaisir et l’émotion que procure le combat d’un toro fort, puissant et encasté lorsque celui-ci est réalisé correctement et en respectant les règles que nous connaissons tous, acteurs et organisateurs comme aficionados.

Il paraît aujourd’hui bien illusoire de croire que nous pourrons un jour voir le premier tiers exécuté avec conscience et bonne volonté en présence des figuras et des élevages à la mode. Cette résignation n’est pas dictée par une nonchalance coupable, ou un quelconque manque de combativité, mais par le cruel constat de notre impuissance. Il est tout aussi utopique de croire que la source de la régénérescence du premier tiers réside dans celle des grandes maisons toristas d'antan aux camadas pléthoriques, susceptibles de faire lidier de nombreux lots d’excellente qualité dans un grand nombre d’arènes. Il est à craindre qu’elles ne serviront plus, à de rares exceptions près, qu’à alimenter la chronique de nos pieux souvenirs. Est-ce pour autant que nous devons dire que tout, absolument tout, est perdu ? Dans un dernier élan d’optimisme, je serais tenté de répondre par la négative, et quelques exemples accréditent cet état d’esprit. Cependant, le danger guette et pointe son museau à la porte des derniers bastions du toro, où il serait irresponsable de croire que nous pouvons nous abriter en attendant tranquillement la fin. Car ceux qui, à la faveur des discussions actuelles sur le malaise du premier tercio et des remèdes à y apporter, tentent de porter le dernier coup à ce toro que nous aimons, sont les mêmes, il est important de le souligner, que ceux qui s’en prennent avec autant d’ardeur à un autre principe fondamental de la corrida – la mise à mort – en légitimant des indultos ridicules, voire, ce qui est finalement pire, sans les légitimer, mais en hurlant à cor et à cri qu’on s’en fout, que seule compte l’émotion de l’instant (ne nous y trompons pas, cette convocation de l’émotion n’a pour finalité que de légitimer par avance cette corrida édulcorée qu’ils appellent de leurs vœux les plus chers).

Et c’est là que ceux entre les mains desquels réside une once de pouvoir, quelle que soit la nature ou l’étendue de ce dernier, se doivent d’agir sans plus attendre. Force est de constater que cette action s’impose, de façon positive pour proposer des pistes, mais pas seulement ; cette action est de surcroît rendue nécessaire pour tenter de contrer les propositions faussement naïves avancées par les industriels de la corrida, et relayées par leurs valets, si tant est qu’il soit encore possible d’enrayer un mouvement de fond enclenché depuis longtemps déjà. L’enjeu, ici, n’est pas le statu quo, le but visé n’étant autre que de précipiter ce mouvement, que d’aucuns jugent sans doute à raison comme étant inéluctable, dans un dernier assaut dont la plupart des aficionados ne semblent pas même s’émouvoir.
C’est donc pour ces raisons multiples qu’il est à mon sens aujourd’hui nécessaire de faire des propositions, celle formulée par Thomas étant sans nul doute la plus constructive que j’aie pu lire, en raison de sa simplicité même, et surtout en ce qu’elle ne se trompe ni d’objectif ni de moyens : le but ultime est de donner au tercio de varas le prestige et l’émotion dont il est porteur, ainsi que l’utilité qui est la sienne, et non de masquer les déficiences d’un bétail chaque jour plus insignifiant et plus éloigné de ce que doit être, de ce qu’est fondamentalement un taureau de combat ; et pour y parvenir, il s’agit de trouver les moyens non pas d’amender, d’édulcorer, de diminuer ce tiers, mais au contraire d’inciter les acteurs de celui-ci à le respecter et à le faire briller.
Les petits villages d’irréductibles, il n’y a que dans les aventures d’Astérix qu’ils parviennent à résister. Et puisque même là, les fossoyeurs du toro bravo sont à l’œuvre, sans que la bonne voire farouche volonté des organisateurs n’y puisse rien, nous n’avons d’autre choix que celui d’inciter les acteurs de la corrida à adopter une attitude plus conforme à nos souhaits, et ce pour le bien de tous. Pas seulement celui de soi-disant extrémistes mal identifiés. Il faut certes se méfier de toute volonté de « révolution », car sous le « rêve » se cache une « évolution » dont nous ne maîtrisons pas le sens en raison du déséquilibre des forces en présence. Mais celle-ci est en marche. Avec ou sans nous.