Carlos Escolar ‘Frascuelo’ est sans nul doute photogénique mais les occasions de le cueillir en train d’ajuster sa cape avant le paseíllo se font rares, de plus en plus rares. Même à Madrid où une temporada sans son nom signifierait pour l’afición — et pas seulement la madrilène — le début d’une fin, qui ne marquerait pas uniquement celle de sa longue trajectoire de matador de toros.
À regarder ce visage sépia, cette gueule à l’ancienne pleine de torería, on est saisi par son exceptionnelle gravité voire sa majesté — affronter et tuer des toros conférerait à celui qui en a la charge quelque chose "en plus". Parce qu’il ne combat pas les toros comme d’autres empilent des cubes, Frascuelo serait capable d’abriter sa muleta du vent ou de donner la lidia qu’il faut à un manso. Il se dit même que Frascuelo ferait marcher sa tête...
Mis à part une cicatrice au menton, l’arène — mais est-ce elle ? — paraît avoir relativement épargné ses traits ; le temps, lui, n’a pas eu cette délicatesse : des yeux en amande sans cils apparents, plissés et soulignés de deux arcs sculptés à la pointe du couteau, une faille en biais à droite sur la joue, une fine bouche pincée aux contours ridés, et des taches brunes témoignant plus sûrement de son âge avancé qu’une pièce d’identité ― quand les premières apparurent sur les mains de ma mère, je compris alors combien j’avais grandis.
Une trentaine d’années plus tôt, « muy importante fue la tremenda cornada de Frascuelo en Bilbao, al que un villagodio hirió en un pulmón »1. Un marqués de villagodio qui formait avec ses frères « bien armados y astifinos »2 une corrida « cinqueña, cuajada y seria » comme Frascuelo s’en coltinera une flopée tout au long de sa carrière...
« Frascuelo est un de ces toreros authentiques qui se sont faits pas à pas et qui, depuis leurs débuts dans la profession, recherchent dans les ruedos l’opportunité de prouver leur valeur. Il n’est ni n’a jamais été un torero d’affaires et d'intrigues3. Sa force, quelle que soit celle qu’il ait pu avoir, il la démontra tout d’abord devant le novillo et ensuite devant le toro, sans manières, sans facilités. Au cartel, Frascuelo garantit courage et dévouement. Ses lettres de noblesse, il les a acquises en tentant continuellement de résoudre les problèmes rencontrés dans tous les tiers. » écrivait Joaquín Vidal en 1977, après le passage de l’ouragan Santa Coloma sur la piste cendrée de Vista Alegre.
1977, c’était hier, c’est aujourd’hui et ce sera probablement demain...
Car une trentaine d’années plus tard, nous pouvons lire sous d’autres plumes des portraits fort ressemblants, à quelques formules ou rides près. N’allons guère chercher plus loin les raisons pour lesquelles Las Ventas aime et respecte Frascuelo. En 2008 et à 60 ans, il livrait toujours combat en attendant « l’opportunité de mourir sur les cornes d’un toro »... de Madrid ou de Bilbao.
1 Jorge Laverón dans El País en novembre 1977. Du même auteur, lire également Con una corrida de casta, Frascuelo todo un torero (01/05/1979).
2 Joaquín Vidal, La oportunidad de morir en las astas de un toro, El País, 16/08/1977. Toutes les citations suivantes en sont tirées.
3 « ... un torero de despachos, ni de cabildeos » dans le texte (en lien ci-dessus).
En plus Vous retrouverez les pré-"historiques" villagodios (ceux-là mi-Veragua, mi-Santa Coloma) du côté de San Muñoz, chez Agustínez, ou... en consultant Un villagodio ! sur le blog, la galerie sur le site ainsi que Terre de toros & la fiche du Centro Etnográfico del Toro de Lidia (avec un reportage à la clé).
Image Frascuelo le 25 mai 2008 à Las Ventas peu avant la course de Cuadri, complétée par deux toros de San Martín dont l’un, ‘Romero’, lui offrit l’opportunité de... © Manon