10 mai 2013

Toro rouge et haines noires


Les toros sont « racistes » !

Les mayorales et autres vaqueros en sont persuadés. Il n’y a chez les toros, évidemment, aucun fondement idéologico-culturo-religio-couillono-frontiste qui puisse expliquer cette tendance assurée à la discrimination. Néanmoins, il est souvent facile de constater dans les troupeaux un comportement peu amène à l’égard de certains congénères, comportement qui pourrait être classé en deux catégories : un racisme d’encaste, qui relèverait plus d’un communautarisme assez obtus, et un racisme de pelage, assez proche du bon vieux « t’as vu le bougnoul ? »

Pour étayer la démonstration, citons le cas des erales Veragua de Javier Gallego, qui ne supportent pas leurs confrères d’origine Las Ramblas (Domecq). Ils ne jouent jamais avec. Idem entre les Urcola et les Vega-Villar de la famille Galache. Même constat autrefois chez Zaballos entre les Saltillo et les Clairac.

Chez Cuadri, les toros marrons (castaños) sont rares. Il se raconte qu’à l’origine le fondateur de la ganadería, qui ne les aimait pas, tenta de les éliminer. Hélas — pour lui —, la génétique en a voulu autrement, et, depuis quelques années, la casa Cuadri présente de magnifiques — et souvent très « encastés » — toros castaños, en particulier à Madrid. Pour cette année 2013, un castaño seulement pourra défendre les couleurs de la devise. Il ronchonne dans le cercado du lot de Céret et déteste se faire photographier. Selon le mayoral, les autres le malmènent et font tout pour lui pourrir la vie pour la simple raison qu’il serait castaño, et que les autres n’ont pas l’habitude d’en voir. Et d’ajouter que, pour cette raison, la famille préférerait envoyer ce toro à Madrid plutôt qu’à Céret, où l’exiguïté des corrales risquerait de lui coûter la vie.

Longtemps a été répétée cette idée que le rouge comptait peu en tauromachie, car les toros ne le percevaient pas. C’est faux.
Les toros, comme la majorité des bovins, perçoivent des couleurs avec plus ou moins de définition. Des études très sérieuses ont montré que « la vision des couleurs pose une grande question dans le monde animal ; en effet, il est très difficile d’obtenir des informations exactes sur ce problème. Étant donné la pauvreté de la rétine des bovins en cônes, eux-seuls responsables des impressions chromatiques, nous pouvons concevoir une déficience de la vision des couleurs. Néanmoins, la simple présence des cônes prouve qu’ils distinguent les couleurs. […] Les résultats de toutes les expériences convergent. Ils indiquent que les bovins perçoivent et différencient correctement les couleurs de longueurs d’onde moyenne et longue, c’est-à-dire proche du rouge. En revanche, ils discernent mal les couleurs de faible longueur d’onde, c’est-à-dire proche du bleu. De plus, l’orange est souvent confondu avec le jaune*. »

Rien d’étonnant, à la lecture de ce court extrait, que le toro rouge chez Cuadri soit considéré comme un paria par tous les autres, uniformément noirs… À moins que les toros ne rejouent une pièce sombre de l’histoire nationale durant laquelle le rouge n’était pas en odeur de sainteté.

* Entre autres sources possibles, il convient de parcourir la thèse de pharmacie de Renaud Valette soutenue en mai 2002 à l’université Nancy I et intitulée « La vision chez les bovidés, cas particulier du taureau de combat ».


>>> Retrouvez, sous la rubrique « Campos » du site, une galerie consacrée aux toros de Cuadri prévus pour la San Isidro de Madrid 2013.