09 mai 2013

Le non-spectacle


Il a arrêté de pleuvoir au moment où s’ébranlait le paseíllo. Pile. Le ciel est taurin. Sometimes. Les Coquilla de Sánchez-Fabrés étaient les ultimes. Après, il n’y en aura plus, et il se dit que le cousin de Sánchez-Arjona (présent hier) a lui aussi arrêté d’élever les siens. L’idée de cette corrida était fort sympathique, parce qu’organisée avec une immense afición par des jeunes, comme on dit. Il ne s’agissait pas de sauver l’élevage, mais simplement de donner à voir les six derniers exemplaires d’un sous-encaste qui avait connu ses heures de gloire dans les années 1960-1970. Ils avaient choisi Sánchez-Fabrés parce que l’amitié avant tout, et, finalement, c’est défendable ce genre d’argument. Alors, évidemment, la corrida n’était pas préparée et choisie comme si elle avait dû sortir dans une féria. Il y avait ce qu’il y avait ; il restait ce qu’il restait.

Parmi ces restes, trois exemplaires étaient clairement arrondis de cornes, mogones en vérité, même si, après avoir cogné fort dans les burladeros, il convient de souligner qu’il n’y eut pas d’escobilles ni de pinceaux apparents. Loin de nous l’idée de défendre à tout prix une organisation courageuse, mais le hurlement « afeitado » à la première seconde de la première sortie de l’après-midi relevait de la plus grande débilité, pas moins. Non pas parce qu’afeitado il n’y avait pas — seules des analyses pourraient le dire, et pourquoi ne pas avoir de suspicions, c’est le droit de chacun —, mais parce qu’avant de hurler comme un ours qui s’est coincé la couille dans un buisson, il convient d’observer le toro attentivement, de le voir courir, de prendre la mesure de son tamaño, de son trapío s’il en a, de le regarder cogner dans les tablas et de constater ou non si les cornes ont bougé. Après, on peut faire ce que l’on veut ; on peut gueuler, rire, chanter, se moquer, dormir ou rentrer chez soi — on peut aussi ne pas venir.
Et puis, derrière tout ça, derrière cette histoire de cornes arrondies, il y a l’idée, devenue prégnante dans le milieu, que tous les toros doivent sortir astifinos. Dernièrement, un certain M. Compan, vétérinaire de son état, réfléchissait (mal) au pourquoi de l’ennui du public dans une corrida. Son analyse était menée avec précision et exhaustivité, et il conclut que, pour qu’un public ne s’ennuie pas à la sortie du toro, il convenait de présenter des toros astifinos — évoquant aussi l’idée d’une corrida concours de Domecq car, selon M. Bonijol, le nouveau gourou du mundillo français, qui veut créer un cheval de spectacle !!! ce sont les Domecq qui s’emploient le plus au cheval…

M. Compan est vétérinaire, et il est inquiétant de constater que ses propositions nient la possibilité de sortir des toros non-astifinos dans une arène. Pas mogones, mais simplement non-astifinos. Qu’en fait-on de ces toros ? Peut-être que, avant de penser le pourquoi de l’ennui, tous ces gens bien intentionnés devraient se mettre à penser le pourquoi des toros, et alors peut-être que certaines choses changeraient : on accepterait peut-être de se dire qu’un toro n’est pas un produit formaté ; qu’il existe des accidents de campo, des catégories d’arènes à respecter, des morphologies spécifiques ; qu’un toro ça pousse dans de l’herbe et non dans des cercados désherbés ; qu’une corne peut être longue, courte, large, fine, pointue, grossière, arrondie ou usée.

Le public s’ennuie parce qu’on veut lui vendre un spectacle ! La corrida n’est pas un spectacle, elle le devient, malheureusement, mais ne devrait jamais l’être !

Hier, à Saint-Sever, le public ne s’est pas ennuyé parce que les toros étaient intéressants. Aucun ne fut un grand toro, même si le second avait de belles qualités sous-exploitées par le toreo profilé et extérieur d’un Bolívar décidément très répétitif dans cette tauromachie de passage. Il y eut de l’engagement au cheval, souvent de mauvaises manières — beaucoup furent cabeceando, sortant seuls aussi —, parfois mal mis en suerte… certes, mais les toros voulaient combattre. Il y eut des toros fades (le 1), d’autres de belles charges (le 4), et il y eut ce sixième, « encasté », compliqué à réduire car il avait la fâcheuse tendance de sortir des passes la tête (chercheuse) très haute.
Et il y eut Thomas Dufau qui, après un début de faena à côté de la plaque, s’engagea enfin sur deux franches séries de la gauche au cours desquelles il prit la mesure de son opposant, tirant la main loin derrière et vers le bas pour contraindre le bicho. ¡Lidiar! Las, et c’est bien la preuve de cette mode de la corrida spectacle formatée, la cuadrilla dudit Dufau lui suggéra d’achever son bel ouvrage par une série de redondos inversés et de pechos façon mouvement perpétuel. Las, car on ne fait pas ça à un toro de ce type, qui se retourne, serre dans les passes, sort tête haute et veut vous accrocher. Et Dufau comprit son erreur après une voltereta d’anthologie.

On ne s’ennuya pas, hier à Saint-Sever, et les toros n’étaient pas tous astifinos.


>>> Retrouvez, sous la rubrique « Ruedos » du site, une galerie consacrée à cette ultime corrida des Coquilla de Juan Sánchez-Fabrés.