27 novembre 2010

Une bouteille à la Corrèze


L'heure est grave. J'en suis fébrile. Fébrile et irrité. De cette irritation qui vous étreint quand une vingtaine de mots... Ces mots, tirés du dernier édito (26/11/2010) du phare de Vieux-Boucau et évoquant le départ à l'abattoir du bétail Vega-Villar (entre autres) de l'élevage Sánchez-Cobaleda, les voici : « Marginalisés commercialement depuis près d’un demi-siècle, les encastes minoritaires ont décliné conformément à la loi de la sélection naturelle »...

M. Viard, ne serait-ce pas parce qu'ils ont été « marginalisés commercialement depuis près d’un demi-siècle » que « les encastes minoritaires ont décliné », point, sans qu'il y ait lieu de convoquer la sélection naturelle s'agissant de bravos sélectionnés et soignés par l'homme comme peu d'espèces animales le sont ? Vous avouerez tout de même que, dans cette triste histoire d'encastes menacés d'extinction, recourir non sans opportunisme à Darwin a de quoi laisser perplexe l'aficionado a los toros se désolant temporada après temporada de la vacuité des carteles proposés ! Car si à l'inverse, je vous cite encore, « l’encaste Parladé a consolidé et transmis sa variété génétique, assurant son développement », et ce « de manière exponentielle », ne le doit-il pas principalement au fait qu'il ait su gagner les faveurs des figuras del toreo et des empresas ?

Une question me taraude : comment pouvez-vous, en conscience, depuis si longtemps, consacrer des opus entiers à ces encastes dits minoritaires alors même que votre vision de la tauromachie tend inéluctablement à favoriser leur disparition ? Vanter la bravoure « moderne », ne jurer que par le toro « moderne », louer le toreo « moderne » comme vous le faites tel un lobbyiste hyperactif à longueur d'éditos*, d'allocutions des deux côtés des Pyrénées ou de commentaires radio, s'accorde plutôt mal avec votre propension suspecte à venir au chevet d'encastes où l'agressivité au cheval, le sentido et le poids de la charge n'ont, eux, strictement rien de modernes. Avant-hier, le savait-il le ganadero de Sánchez-Cobaleda qu'il s'entretenait avec l'un des nombreux fossoyeurs de ses patas blancas ?...

Quant au concept de « goulot d'étranglement », titre de votre édito, nul n'est besoin d'en appeler aux scientifiques, les hommes du campo le maîtrisent à la perfection lorsque la tâche consiste à embarquer le bétail pour le matadero. Prenez des vachers à cheval, aidés de cabestros, rabattant les bêtes vers la sortie, leur faisant emprunter le chemin de terre menant directement au petit cercado caillouteux donnant sur le couloir terminé par le quai d'embarquement, et auprès duquel le camion, à l'aube ou au couchant...

Parce que « de cet encaste, ne survi[t] aujourd'hui qu'une poignée de vaches de Barcial » (notamment), je jette une bouteille à la Corrèze... qui rejoindra la Vézère à la sortie de Brive, la descendra jusqu'à Limeuil où elle rencontrera la Dordogne assagie, puis furtivement la Gironde à Bayon-sur Gironde d'où elle remontera crânement « Garonne », qu'elle quittera à regret mais soulagée pour La Baïse à Saint-Léger, avant d'emprunter le cours agité de la Gélise à Lavardac, puis de l'Osse au lieu-dit Sainte-Catherine, pour venir finalement s'échouer épuisée dans cette bonne vieille cité gasconne de Vic-Fezensac. Là, une promeneuse intriguée et curieuse la recueillera, lui extirpant un morceau de papier blanc sur lequel elle lira à l'encre noire les mots suivants : « Mesdames et messieurs du Club taurin vicois, veuillez ne pas oublier, au moment de choisir les élevages de votre Feria del Toro, de faire une place aux fameux patas blancas de Barcial, qui ont tant participé à la réputation des arènes Joseph-Fourniols, et inversement. Si ceux-ci ne devaient pas renaître en 2011 en Ténarèze, au moins nous aurez-vous offert l'occasion de leur rendre l'hommage qu'ils méritent. Comment vous remercier ? Bien cordialement, P. M. (Brive) »

* À quand une version espagnole des éditos de Terres Taurines afin que nos voisins sachent une bonne fois pour toute à quoi s'en tenir ?

Image Temps gris et sale pour les patas blancas... Ici deux tíos dans les corrals vicois. Coupure de presse d'une © Dépêche datant de mai 1998.