Je ne l'avais jamais vu, je ne le connaissais pas. Je n'y vais pas non plus tous les samedis au bous al carrer… enfin, presque. Le fait est que je ne l'avais jamais vu auparavant. Les bous al carrer c'est parfois monotone, un brin routinier, comme les corridas que l'on enchaîne sans qu'il ne se passe rien jusqu'au jour où tu prends une claque en pleine figure : les yeux écarquillés, le cœur à mille, le frisson qui te parcourt le corps et le cri qui s'étouffe dans la gorge. Tu penses avoir rêvé, tu regardes ton voisin de barrière qui a ses deux mains sur la tête et la bouche en cul-de-poule. Et puis viennent les applaudissements, la grande ovation. Des émotions et des souvenirs comme ça peuvent me durer une semaine. Ces samedis après-midi sont bénis.
Je fais ce que je ne fais jamais ; je regarde la série de photographies que je viens de faire. Je crois halluciner. Je fais défiler les images et, dans un premier temps, je savoure la précision du quiebro, la feinte parfaitement mesurée, subtile, exécutée au dernier moment, le toro qui, pensant la proie à sa portée, arme sa tête et s'emploie à fond, et puis la jambe du recortador qui revient à sa position initiale, la corne qui frôle le corps et le toro qui, ne trouvant que du vent sur son passage, « explose ». Je regarde encore et je vois la décontraction, le temple, l'élégance et ce corps raide et penché qui pèse sur la charge du toro. Comme une façon de cargar la suerte.
Il faut que je sache qui a sauvé mon samedi et embelli ma semaine, qui m'a fait le cadeau de graver une telle image sur le capteur de mon Pentax. Le frère d'Albert a la réponse. Il s'appelle Juan, Juan de Museros. C'est lui qui a fait, trois semaines plus tôt, un magnifique recorte à un toro d'Hato Blanco, dangereux et terriblement armé, en plein Camí la Mar. C'est lui également qui s'est inventé un énorme quiebro face à ‘Lastimoso’, un toro bravo et encastado de Baltasar Ibán, dans la grande rue de Massamagrell. Un quiebro et un recorte par toro, pas plus. Façon de dire : « Voilà, Messieurs, à vous de jouer maintenant », mais sans fanfaronnade. La grande classe.
Je ne vous dirai pas son âge, ce serait indécent. Juan est jeune, très jeune. Je vous ferai simplement une confidence, encore plus incroyable : Juan n'a commencé à fouler la rue que l'année dernière, comme simple spectateur des bous al carrer. Cet été, petit à petit, il s'est rapproché du toro et a observé attentivement les recortadores pour, finalement, trouver son sitio. En un mot, Juan ne fait que débuter.
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Quiebro
No lo había visto nunca, no lo conocía. Tampoco voy todos los sábados a los bous al carrer… bueno, casi. El hecho es que no lo había visto antes. Los bous al carrer son a veces monótonos, un pelín rutinarios, al igual que las corridas de toros que encadeno sin que pase realmente nada hasta el día que recibes una auténtica bofetada en toda la cara: los ojos abiertos como platos, el corazón a mil, la piel de gallina y el grito que se te queda atrapado en la garganta. Piensas haber soñado, miras a tu vecino de barrera que se coge la cabeza con las manos y se queda boquiabierto. Entonces llegan los aplausos y la tremenda ovación. Emociones y recuerdos como éstos me pueden durar una semana. Estas tardes de sábado son benditas.
Hago lo que nunca hago; miro la serie de fotos que acabo de hacer. Pienso que estoy alucinando. Hago desfilar las imágenes y, en un primer momento, me deleito con la precisión del quiebro, el engaño perfectamente medido, sutil, ejecutado en el último instante, el toro, pensando hacer presa, arma la cabeza y se emplea a fondo, y la pierna del recortador que vuelve a su posición inicial, el pitón que roza el cuerpo y el toro, que sólo encuentra aire y vacío, “estalla”. Miro una vez más y veo la relajación, el temple, la elegancia y el cuerpo tieso e inclinado que pesa sobre la embestida del toro. Una manera de cargar la suerte.
Necesito saber quién ha salvado mi sábado y alegrado mi semana, quién me ha hecho el regalo de grabar tales imágenes en el sensor de mi Pentax. El hermano de Albert tiene la respuesta. Se llama Juan, Juan de Museros. Él es quien hizo, hace tres semanas, un magnífico recorte a un toro de Hato Blanco, peligroso y terriblemente armado, en medio del Camí la Mar. Él es de nuevo quien se inventó un quiebro a pelo frente a ‘Lastimoso’, un toro bravo y encastado de Baltasar Ibán, en la calle grande de Massamagrell. Un solo recorte, un solo quiebro por toro, nada más. Una manera de decir: “Señores, aquí lo tenéis”, sin fanfarronadas. Calidad y clase.
No les voy a desvelar su edad, sería indecente. Juan es joven, muy joven. Sólo les voy a hacer una confidencia, aún más asombrosa: Juan empezó el año pasado a meterse por medio de la calle como espectador. Este verano, poco a poco, se fue poniendo en la cara del toro y fijándose en los recortadores para acabar cogiendo el sitio. En resumen, Juan sólo acaba de empezar…