18 octobre 2012

Zanzibar et autres lieux (I)


La seule information livrée par Wikipédia concernant Arnedo nous indique qu’il s’agit d’une commune d’Espagne. C’est vrai, je confirme, c’est en Espagne. Mais, en fait de commune il s’agit plutôt d’un gros village de poussière dont le « centre-ville » présente les caractéristiques architecturales d’une banlieue triste. En faisant un énorme effort d’imagination, on veut bien croire les habitants qui racontent que les anciennes arènes étaient ravissantes. La nouvelle plaza ressemble plutôt à une grosse verrue de ferraille et de béton, coincée entre un terrain de foot, un Carrefour Market et la rocade. Cette petite horreur a le mérite d’être couverte, ce qui permet de se défaire de son K-Way quand sonne l’heure du paseo — il peut pleuvoir beaucoup à Arnedo —, et de disposer d’une très chouette infrastructure qui permet de passer trois heures tous les matins à regarder les entrées et sorties des vaches de la vaquilla et la mise en chiquero des novillos de l’après-midi — il n’y a de toutes façons rien d’autre à faire à Arnedo.

Six novillos de Valdesfresno, bien présentés mais très faiblichons et mansos, pour Fernando Adrián, Gonzalo Caballero et Curro de la Casa (qui remplace Conchi Ríos).
Les Trompettes de la renommée ont sonné pour Fernando Adrián sous forme d’ovation à l’issue du paseo. Cette marque de considération confère à son statut de gagnant du Zapatero de Oro 2011 un lustre particulièrement enviable, mais il s’endort fâcheusement sur son brin de laurier lors de son premier combat face à un boiteux, docile mais pas amnésique, qui finira par se défendre de la tête après avoir vu l’homme à plusieurs reprises dans son horizon lointain. À son second, le laurier est fané mais Fernando continue de faire le loir.
Pour peu que vous ayez un penchant prononcé pour le marathon, les deux lidias de Gonzalo Caballero vous auraient vraisemblablement donné entière satisfaction. (J’avoue toutefois avoir entamé, lors de la seconde faena, une étude comparée entre les vignes de la Rioja Alta et de la Rioja Baja qui a nécessité toute mon attention ; il n’est donc pas exclu que quelques gestes m’aient échappé.)
Curro de la Casa est un Aquoiboniste qui a la chance — ou pas — de faire face au lot le plus intéressant. Le petit n’a pas de bagage mais ça ne l’empêche nullement de nous montrer son goût pour le voyage.

Six novillos de Carriquiri, beaux, solides et très intéressants, pour Javier Jiménez, Tomás Campos et Álvaro Sanlúcar (qui remplace Juan Leal).
Quatre-vingt-quinze fois sur cent, Javier Jiménez s’emmerde en toréant. Ça fait plusieurs fois que je vois ledit Jiménez barboter dans le ruedo. Ici comme ailleurs, il a fini par s’y noyer après avoir remarquablement mal lidié ses deux adversaires. Dommage. 
Tomás Campos néglige les deux premiers tercios mais s’applique à la muleta et à l’épée. Les efforts sont perceptibles à son premier novillo, quoique peu probants. En revanche, ils sont plus concluants à son second — dont la vuelta al ruedo a tout de même été une source inépuisable de fou rire. Le gamin — qui s’avérera être le gagnant du Zapato de Oro — m’a fait un peu penser à Léonard et sa Joconde. C’est peut-être lui qui a été le meilleur novillero, et il a peut-être fait la plus belle faena de la féria au cinquième. Admettons. C’est possible. Mais je n’arrive pas, mais alors pas du tout, à crier au chef-d’œuvre. Bon, en même temps, j’y connais rien en peinture.
Álvaro Sanlúcar s’installe Boulevard du temps qui passe, profite de la charge de son premier opposant et aligne les séries un peu comme R2-D2 pourrait le faire, j’imagine. Plus compliqué, un rien chafouin, le dernier de l’envoi aurait nécessité d’être toréé pour de vrai. R2-D2 n’est pas programmé pour ça. Dommage.

Six novillos de Cebada Gago que l'on croirait tout droit sortis du pays des Hobbits (sauf le sixième) et sans grand intérêt (sauf le quatrième, formidable) pour Gómez del Pilar, Rafael Cerro et Tomás Angulo.
Gómez del Pilar ira deux fois a porta gayola. Le premier novillo, concave et blando, goûte assez peu les facéties du jeune homme et exprime sa désapprobation sans aucune classe. N’était sa laideur, le quatrième est selon moi le novillo de la féria. Mettant les reins au cheval, chargeant à n’en plus finir ensuite, pas couillon pour autant, le brave mène la vie dur au novillero qui, lui, apprendra toutes les subtilités du grec, du latin — et du westron — jusqu’à se trouver menacé de manière fort déplaisante. In petto j’entonne La Ronde des jurons, je blasphème avec méthode, compétence et conviction contre Gómez del Pilar qui vient de passer à côté. Et j’applaudis sans réserve l’arrastre.
Sombre Dimanche pour Rafael Cerro qui aura émargé à Arnedo. Après s’être fait prendre à son premier, à qui il n’aura jamais donné la sortie, il revient en piste pour affronter le cinquième, totalement décasté, et partira immédiatement après l’épée par la porte de l’infirmerie.
J’ai eu beau ouvrir mes petits yeux et tendre mon oreille, je n’ai pas perçu pourquoi le second novillo, combattu par Tomás Angulo et tué sans tricher, avait perdu la sienne. Son premier, minuscule, très mobile et sautant comme un cabri, s’est rapidement avisé face aux approximations du jeunot.

Six novillos de Baltasar Ibán, pas trop homogènes de présentation et de comportement mais globalement intéressants, pour Juan Ortega, Roberto Blanco et Román.
Enfin une novillada qui nous propose tous Ces petits riens qui mettent L’Eau à la bouche des aficionados épris de ce type de courses. Des novillos correctement présentés et d’autant plus intéressants qu’ils ont été mis en valeur — enfin ! —, et des novilleros qui ont l’air d’être là de leur plein gré, qui savent jusqu’où aller trop loin et n’ont pas peur de nous déballer leurs carences pour nous montrer leurs opposants. Merci à eux d’avoir osé faire preuve de personnalité.
Juan Ortega est celui des trois piétons qui aura été le moins convaincant face à un premier novillo pourtant sans vice, qui a suivi les étoffes avec une fidélité canine, et un second irrémédiablement invalide.
Roberto Blanco et Román réceptionnent leurs novillos, les mettent en suerte, s’appuient sur des cuadrillas qui travaillent proprement quoique de manière aléatoire — salut des banderilleros de Blanco au troisième. En vérité, la première faena de Blanco va a menos et la seconde se barre en couille à la fin, mais il a donné de la distance lorsque ses adversaires en demandaient, il a fait fi des liaisons quand il fallait reprendre un peu le pouvoir sur la bête et, même si c’était accroché ou chaotique, c’était vivant et ça, c’est précieux.
Román, quant à lui, a vraiment eu quelque chose de torero — certes son lot l’y a grandement aidé — dans sa manière d’allonger la main gauche, de ne pas dévisser, d’« aguanter » quand il se retrouve en situation périlleuse. Bon, évidemment, les situations périlleuses en question c’est lui qui les a créées de toutes pièces et il n’a pas toujours été très croisé mais… c’était vivant et ça… Une vuelta méritée à son second.

L’an prochain, j’irai à Calasparra…

Sur les quatre courses auxquelles j’ai assisté à Arnedo, jamais la plaza n’a été remplie à plus de la moitié de sa capacité — je suppose que c’est normal, le prix des entrées étant aligné sur le cours du pata negra : vingt-huit euros les générales.

Sur les douze novilleros que j’ai découverts lors de cette féria, aucun d’entre eux n’a posé la moindre banderille — il paraît que c’est normal, « ça ne sert à rien pour faire carrière » (sic). Seuls deux d’entre eux m’ont paru toréer avec envie et avec du cœur : Román et Roberto Blanco 

Sur les vingt-quatre novillos que j’ai vus, aucun n’a été envoyé deux fois au cheval — il paraît que c’est normal, « ce n’est pas obligatoire dans une place de deuxième catégorie » (sic). Je préfère ne pas m’attarder sur les vingt-quatre puyas unitaires.

Sur cinq jours passés à Arnedo, j’ai le plus souvent mangé dans une bodega troglodyte : des cocochas de bacalao et des berberechos baignant dans l’huile d’olive, du lomo aux champignons frits à l’huile d’olive, des pimientos accompagnés de sardines et des côtes de porc au barbecue — mais recouvertes d’huile d’olive après —, plein d’autres choses et tout un tas de bocadillos savamment élaborés et dégoulinant… d’huile d’olive.

En partant d’Arnedo, j’étais passablement inquiète… un peu pour mon taux de cholestérol… et beaucoup pour la tauromachie et les chefs de lidia de demain.

Zanzibar


Photographies Arnedo, 2012 — Zanzibar