31 décembre 2010

« Chaque 31 décembre à minuit »


À Campos y Ruedos, quand l'envie nous prend de publier une photographie sans que nous ayons spécialement quelque chose à dire, nous titrons « Photographie sans paroles », et le tour est joué. Avant-hier soir, alors que je m'apprêtais à enrichir d'une unité romaine le libellé susnommé, je me laissai aller à « noircir du papier », avant de réaliser, trop tard, que la photo seule suffisait.
Lorsque ce contre-jour d'école a atterri dans ma boîte mail, j'ai su de suite, sans l'ombre d'un doute, qu'il illustrerait le texte de Jacques Durand sur la mort du Yiyo. Si « Le cœur ouvert comme un livre » était une commande pour la revue1 dans laquelle je l'ai découvert, il y a plus de dix ans, il n'est pas totalement exagéré, vu la probable confidentialité de cette publication, de le considérer comme un « inédit ».
Ce 31 décembre à minuit…

« Le cœur ouvert comme un livre  par Jacques Durand
Dans la nuit du 29 au 30 août 1985 la Guardia Civil recherchait le torero José Cubero 'Yiyo' et son apoderado Tomás Redondo qui étaient sur la route entre Calahorra et Madrid. La Guardia Civil les cherchait pour leur dire que Yiyo était engagé le lendemain à Colmenar Viejo, pour toréer à la place de Curro Romero. Le lendemain, à Colmenar Viejo, le taureau 'Burlero' tuait Yiyo d'un coup de corne dans la poitrine en même temps que Yiyo l'estoquait. Mort en miroir. Yiyo a juste eu le temps de courir à la barrière et de souffler à son péon El Pali : « Pali, ce taureau m'a tué. » Le chirurgien des arènes dira : « Il avait le cœur ouvert comme un livre. » José Cubero 'Yiyo' sera enterré dans son habit grenat et noir au cimetière de la Almudena à Madrid après que son cercueil vitré eut fait, a hombros, une vuelta dans les arènes de Madrid quasiment pleines. Tomás Redondo, de chagrin, se suicidera quelques années plus tard. C'est Yiyo qui, l'année précédente à Pozoblanco, le 26 septembre, avait tué le taureau 'Avispado' qui venait d'encorner mortellement Paquirri dans une corrida dont on apprendra par la suite, avis de décès après avis de décès, qu'elle suait le malheur. Paquirri mort. Yiyo mort. Montoliu banderillero d'El Soro et présent à Pozoblanco ce 26 septembre, mort, tué par un taureau à Séville en 92. Mort le picador d'El Soro, accident de voiture. Mort l'éleveur de 'Avispado', assassiné chez lui. Mort l'anesthésiste des arènes et mort le cameraman qui avait filmé l'accident de Paquirri. À Pozoblanco, Paquirri avait occupé la chambre 103 de l'hôtel Los Godos. Le 30 août 85 au matin Yiyo dormait dans la chambre 103 de l'hôtel Palmi, à Miraflores près de Colmenar. No comment. Yiyo avait 21 ans. Chaque 31 décembre à minuit, les hommes de sa famille, son père, Juan et Miguel, ses deux frères banderilleros, viennent déposer une coupe de champagne sur le monument qui lui est consacré devant Las Ventas, à Madrid…
À propos, ce pseudonyme de Yiyo est la traduction de son gazouillis d'enfant, lorsqu'il essayait de dire son prénom : Joselito. »

1 Revue Auteurs en scène, théâtres d'oc… et d'ailleurs, « Bernard Manciet : la voix d'une œuvre », Numéro 2, Les Presses du Languedoc/Théâtre des Treize Vents, Montpellier, 1997. Concernant Manciet, on peut tout à fait commencer par lire Los Pinchos del Ciego, puis chercher à se procurer son Per el Yiyo aux éditions de L'Escampette (1996).


Image La statue en hommage à El Yiyo sur le parvis de Las Ventas © François Bruschet

30 décembre 2010

Moreno de Silva à Millas


Décidément... Si l'Espagne n'en veut plus (lire Toro, torero y afición), la France accueillera à bras ouverts les très encastés novillos de Joaquín Moreno de Silva.

Après Céret, et peut-être Vic-Fezensac, c'est Millas dans les P.-O. (66) qui pourrait voir les petits gris fouler son ruedo.

A confirmer...

29 décembre 2010

Et vous trouvez ça drôle ?


Y a pas à dire, c'est aussi et peut-être surtout dans ces moments-là que l'on peut mesurer à quel point nos préoccupations diffèrent — rien de bien nouveau en soi.

Hier, au jeu de la traque du canular le jour du « 1er-Avril » hispanique*, qui vous savez a retenu l'annonce de l'arrêt de la carrière de la star française du toreo devenue papa, l'organisation d'une féria au Qatar, ou le projet de construction d'une seconde plaza à Séville dans lequel José Tomás aurait mis ses billes...

Nous, à Campos y Ruedos, petits joueurs, on en a relevé que deux : le rachat des Pablo Romero par l'empresa Taurotoro (fallait oser), et la programmation d'une corrida de toros d'Isaías y Tulio Vázquez à la Maestranza... ... ...

* Día de los Santos Inocentes.

Image A Sangüesa © Laurent Larrieu

27 décembre 2010

Crépuscule


Un ami blond, jadis aventurier, protestant et Nîmois me contait il y a bien longtemps l'excitation qui viendrait à naître d'une interdiction de la chose taurine à la surface de Vieux Continent : les rendez-vous secrets au campo pour des combats clandestins, des processions de voitures de nuit, feux éteints, un spectacle dépouillé, relevé par le sel de l'interdit et la rassurante idée qu'entre initiés et dans l'intimité d'une confidence, nous goûterions la plus pure essence de la lidia. A demi-mot, je le sentais chercher dans ces assemblées le fantôme du Belmonte de Chaves Nogales, les saillies de sa trogne éclairée à la bougie, la sueur scintillant à la barrière et le souffle du toro couvrant ceux des convives, expirant parfois dans des olés murmurés de contrebandiers les respirations tues des heures durant. Plus question de bruyantes envolées, de sonores abrazos, plus question de parler de ça, une fois revenu à la vie civile, une fois la lumière parue. Surtout ne pas se trahir. Rien que des pupilles écarquillées où se reflètent des flammes et des passes. Ou le blanc d'une corne. Une guérilla d'ancien régime. Et l'impudique silence qui tente de percevoir le dernier soupir d'un monde mourant. Et puis des traîtres, des délateurs bien sûr : vieux idéalistes revenus de tout, vendus à l'appât du gain ou piégés par les flics.
Tapis dans les ténèbres, attentifs et inquiets, vous n'imaginez dans la pénombre que des toros braves et noirs. Dangereux. Bien sûr, vous exigez de vraies terreurs !

Céret de Toros 2011, le campo


Les toros et novillos du Céret de Toros 2011 sont visibles sur le site de l'ADAC...

C'est par là...

Bon campo.

25 décembre 2010

Pepe Navaja...


Vous avez aimé El Mejillón ? Vous allez adorer Pepe Navaja...

Joyeux Noël...


... 2010, avant 2011... année de la palourde...

24 décembre 2010

Penalty !


Hier soir, mon tonton est venu à la maison avec deux cadeaux, le petit pour mon frère et le gros pour moi — elle commençait drôlement bien la soirée. Comme il me restait un chocolat à manger dans le calendrier, j'ai compris que tonton Pierre n'était pas le Père Noël — qu'il fût chauve et sans barbe ne constituait pas une preuve irréfutable. Quand j'ai aperçu la tête du Petit Nicolas — celui de Sempé & Goscinny, pas l'autre —, je me suis dit que c'était vraiment une chouette soirée. Mais quand j'ai montré à mon père qu'une des histoires s'appelait "La corrida", il m'a arraché le livre* des mains et je ne l'ai plus revu jusqu'au lendemain...

« Quand nous sommes descendus à la récré on se demandait à quoi on allait pouvoir jouer, puisque le ballon de foot d'Alceste est confisqué jusqu'à la fin du trimestre.
— Si on jouait à la corrida ? a proposé Geoffroy.
— C'est quoi, ça ? a demandé Alceste.
Et Geoffroy lui a expliqué qu'il avait vu un film terrible, qui se passait en Espagne et que c'était formidable.
[...]
— Toi, a dit Geoffroy, tu peux être le type qui est sur un cheval et qui se bat contre le taureau avec une lance. Il est moins bien habillé que le toréador chef, mais il est très important comme joueur.
— Je veux bien être le type sur le cheval avec la lance, j'ai dit, mais je ne marche pas pour être moins bien habillé que toi ! Non, mais sans blague !
Alors Geoffroy a dit que bon, que je pourrai être aussi bien habillé que lui, mais que c'était pas comme ça les vraies corridas. C'est vrai quoi, à la fin, parce que Geoffroy a un papa qui est très riche, il faut toujours qu'il soit mieux habillé que les autres !
— Et puis, je veux que mon cheval soit blanc ! j'ai dit.
— Moi, je veux bien être ton cheval blanc, a dit Eudes, qui est un bon copain, et comme il est très fort, il fait aussi un très bon cheval.
— Alors, moi, a dit Clotaire, je veux être blanc aussi !
— Mais non ! a crié Geoffroy. Toi, tu es le taureau, et le taureau est noir. Où est-ce que tu as vu un taureau blanc ? Il était blanc le taureau avec qui tu étais en vacances ?
— Ah ! Bravo ! a dit Clotaire. Alors, Eudes, il peut être un cheval blanc, et moi, je dois être un taureau noir ? Eh bien, je ne marche pas ! Je peux être aussi blanc que n'importe quel imbécile !
— Tu veux mon poing sur le nez ? a demandé Eudes.
Et il est allé donner un coup de poing sur le nez de Clotaire, et comme moi j'étais déjà sur les épaules d'Eudes, j'ai failli tomber, et avec le doigt, comme si c'était un revolver, j'ai fait : "Pan ! Pan !" sur Clotaire, qui donnait des coups de pied au cheval.
— Quoi, pan, pan ? a crié Geoffroy. Tu as une lance, imbécile ! T'es pas un cow-boy, tu es un toréador à cheval !
— Et si ça me plaît d'être un cow-boy ? j'ai crié.
Parce qu'il m'énerve, à la fin, Geoffroy, à vouloir commander tout le temps.
Et puis on a entendu un gros coup de sifflet : c'était Rufus, qui s'est mis à crier : "Penalty ! Penalty !" »

* René Goscinny & Jean-Jacques Sempé, Histoires inédites du Petit Nicolas. Volume 2, IMAV éditions, 2006. Ces histoires ont paru dans Sud Ouest Dimanche et Pilote de 1959 à 1965.

Dessin © Sempé

22 décembre 2010

Jean-Jacques Baylac...


Quelques heures seulement après le communiqué du CTV et son alléchante liste d’élevages pour 2011, c’est une autre nouvelle, bien triste celle-là, qui vient de nous arriver du Gers avec la disparition de Jean-Jacques Baylac.
Campos y Ruedos présente ses condoléances attristées à ses proches, évidemment, et au Club taurin vicois.
Un ultime souvenir, en août dernier, à Parentis, Jean-Jacques Baylac (à gauche) et Serge Villetorte (à droite).

Descanse en paz.

Toros en Vic 2011


Communiqué du Club taurin vicois

Le CTV prépare sa féria 2011 qui se déroulera les 11, 12 et 13 juin.
La commission taurine du Club taurin vicois vient de faire un premier voyage au campo. Les élevages suivants ont été visités : 
Novilladas
Fuente Ymbro - Moreno de Silva
Corridas
Escolar Gil - Alcurrucén - Dolores Aguirre - Fuente Ymbro - Palha
Corrida concours
Flor de Jara - Fuente Ymbro - Partido de Resina antes Pablo Romero - Cuadri - Coimbra - Victorino Martín

Très prochainement, le CTV se réunira afin d’arrêter le choix des élevages et établira la programmation de sa féria 2011.

21 décembre 2010

Ventas, final de trayecto


Au départ il n’y avait rien, la campagne, la vague banlieue paysanne d’une capitale rurale.
Ensuite ils ont construit une arène monumentale pour un torero colossal qui n’y a jamais mis les pieds.
Ça a commencé comme ça.
Après il y a eu le métro, la ville, la modernité. Pendant des lustres, la ligne 2. Línea dos.
Depuis Sol, Sevilla ou Opera, jusqu’à Ventas, final de trayecto.
Pendant tout ce temps sont passés notamment Chopera, contesté, Lozano, que l’on croyait détester. Et puis la ligne 2 ne fut plus un terminal avec une vague correspondance pour la ligne 5 que nous n’avons jamais prise. La ligne 2 est allée plus loin, presque au même moment où ont débarqué les Choperita. Et nous avons compris que ça pouvait aller vraiment plus loin, et surtout bien plus bas. La fin du trajet n’était qu’une illusion. Le pire est toujours à craindre, peut-être à venir. Le pire pour demain ce pourrait être un "artiste-producteur", même si l’on a du mal à croire que l’on pourrait regretter les Choperita. Je regrette le final de trayecto.

20 décembre 2010

Deux de chute


Qui n'a jamais imaginé, lors d'une visite aux corrals ou d'un apartado, tomber accidentellement dans l'enclos ou la fosse aux toros... et, après avoir effectué un magistral recorte puis trouvé refuge dans un burladero rêvé, chassé l'affreuse pensée aussi vite qu'elle était arrivée !
Dans une ancienne Dépêche, sous le titre « Les arènes de Bernuy », j'ai récemment redécouvert l'évocation de la malencontreuse et dramatique chute du capitoul et marchand de pastel Jean de Bernuy (Burgos 1475 - Toulouse 1556) dans la cour de son hôtel... Une mésaventure qui m'a immédiatement remémoré celle du chanceux Frère Martin survenue deux siècles et demi plus tard, le 17 mai 1801, et rapportée par El Tío Pepe dans son ouvrage Afición1.
Deux histoires (et un cauchemar) nous rappelant, s'il en était besoin, que le simple fait d'aller à la rencontre du toro, de s'en approcher, que l'on soit paisiblement assis sur un tendido bajo, debout dans un callejón surpeuplé, accoudé à une rambarde au-dessus d'un corral ou en équilibre plus ou moins instable dans un véhicule au campo, est porteur de danger.

« Lorsqu'il s'installe à Toulouse au début du XVIe siècle, le richissime marchand espagnol Jean de Bernuy n'a qu'une idée en tête : s'offrir une demeure digne de sa réussite et de son renom. Un hôtel particulier2 dont l'architecture se veut un mélange d'influences gothiques et d'outre-Pyrénées. Et parce que l'Espagne pousse sa corne jusque dans le style de sa cour, il y organise même des combats de taureaux ! Une passion qui sera fatale à Bernuy. Un jour, à l'occasion de la venue d'un de ses neveux espagnols, il lui offre le spectacle d'une lutte entre un taureau et une meute de dogues. Aménagée en arènes, la cour est le théâtre de la joute. Bernuy voulut-il manifester sa joie en se levant brusquement ? Toujours est-il que son âge trompa sa généreuse envie... A soixante-quinze ans, il tombe dans l'arène improvisée... L'histoire ne dit pas si le pauvre Bernuy eut le temps d'esquisser quelques passes avant d'être mis en pièces par les acteurs du combat. »

« Frère Martin était un moine franciscain, très aficionado a los toros et grand ami de Pepe-Hillo3. A cette époque, l'Eglise ne voyait pas d'un très bon œil la corrida de toros, mais le pape était loin, là-bas, à Rome, et les toros ici, tout près... Et Frère Martin n'était jamais si heureux que lorsqu'il pouvait tenir les épées de son ami le matador, ou assister à la mise en loge des toros. Ce jour-là, il se rendit à la plaza dans la matinée, afin d'assister à l'“apartado” justement, du haut d'un petit balcon surplombant un corral. Que se passa-t-il au juste ? Toujours est-il que le malheureux dégringola du balcon dans le corral, sans que personne s'en soit aperçu. En grand péril de mort, Martin n'eut d'autre ressource que de se précipiter vers la première loge venue où, quelques minutes plus tard, un énorme toro était enfermé. L'obscurité aidant, le toro ne prêta aucune attention au malheureux religieux accroupi dans un coin près de la porte et murmurant en tremblant les prières des agonisants... Cinq ou six heures plus tard, la porte s'ouvrit, et quelle ne fut pas la surprise du public de voir apparaître, livide et courant comme un fou, Frère Martin, suivi à quelques pas de son compagnon de captivité ! Le sang-froid et la décision de tous les toreros présents sauvèrent notre moine d'une mort tragique ou d'une blessure cruelle ! »

1 Jean-Pierre Darracq 'El Tío Pepe', Afición, Editions Castay, Aire-sur-l'Adour, 1994, p. 84.
2 Construit entre 1504 et 1530 par Louis Privat, cet hôtel héberge actuellement une partie du collège-lycée Pierre-de-Fermat.
3 Encorné à Madrid le 11 mai 1801 par le toro 'Barbudo' (voir la série gravée La tauromaquia de Goya, 1816), Pepe-Hillo meurt cinq jours avant la frayeur de Frère Martin.

Image Cour d'honneur de l'Hôtel de Bernuy à Toulouse © Base Mérimée

19 décembre 2010

Lumière du campo


Nous avons déjà évoqué notre visite au printemps dernier chez le maestro César Rincón, ICI et .

>>> Vous avez une galerie accessible depuis la rubrique CAMPOS du site http://www.camposyruedos.com.

Une précision tout de même. La lumière assez surréaliste de certaines photographies est tout à fait naturelle. Elle n'est en rien due à quelques prouesses photoshopesques... C’était juste la lumière surnaturelle d’une après-midi de campo.

16 décembre 2010

Eugenio Lucas Velázquez


Alors que j'étais occupé à cliquer, cliquer encore et cliquer toujours, à droite en haut en bas et à gauche, puis en haut à gauche à droite et en bas, etc., je finis par tomber sur cette vignette montrant une superbe aquarelle de petit format du peintre espagnol Eugenio Lucas Velázquez (1817-1870). Inutile de citer Michel de Piles, l'auteur de l'article, les curieuses et les curieux monteront à La Tribune de l'Art pour y voir mieux. En revanche, histoire d'étayer ce post et d'éviter à ces mêmes curieuses et curieux de s'écorcher les yeux sur l'illustration représentant le panneau didactique de l'exposition*, je prends la peine d'en recopier les deux ultimes paragraphes. D'abord le dernier : « Les scènes de tauromachie occupent une place importante dans la production picturale de Lucas. Suivant le sillage laissé par Goya et d'autres peintres du XIXe siècle, cette thématique, tellement enracinée dans la tradition espagnole, éveilla l'intérêt de l'artiste, jusqu'à devenir, avec les compositions picturales galantes où figurent majas et majos, l'un des genres qui a le plus contribué à faire de Lucas l'un des principaux représentants de la peinture castiza. Cependant, certains dessins aquarellés permettent de découvrir une technique plus libre et spontanée, qui ne semble pas subordonnée à la fonction narrative de l'image et qui dépasse le stéréotype qui caractérise une bonne partie de son œuvre picturale. » Puis l'avant-dernier, qui m'éclaire sur le pourquoi de ma fascination pour ce dessin aquarellé : « Peut-être s'agit-il d'un des apports les plus originaux de Lucas, sa contribution la plus singulière à l'histoire de l'art espagnol et celle qui l'a rendu le plus populaire. Il s'agit d'une poétique, sans comparaison dans la scène artistique espagnole, et qui est dominée par une imagination très féconde et qui se manifeste par des formes de représentation complètement capricieuses et même inquiétantes ; il s'agit de taches de couleur qui se distribuent sur la surface du papier de manière arbitraire et même hasardeuse. En réalité, ce langage met Lucas en relation avec d'autres créateurs de son temps qui, comme Alexander Cozens, Constable ou Turner, s'exercèrent aussi à ce type de compositions. »

* L'imaginaire d'Eugenio Lucas. Influence de Goya dans la poétique romantique, Museu nacional d'art de Catalunya, Barcelone, du 4 novembre 2008 au 1er février 2009.

Image Eugenio Lucas Velázquez (1817-1870) / Suerte de varas, vers 1840-1850 / Aquarelle, 16,1 x 25,1cm / Madrid, Museo nacional del Prado © Archivo fotográfico, Museo nacional del Prado, Madrid

15 décembre 2010

Vuelven los toros


Ce n'était déjà pas la photo de l'année en 2002 et, à ce titre, elle ne crachera pas sur quelques paroles pour voir rehaussé son intérêt. En 2002 donc, les toros revenaient à San Pedro La Laguna, bled guatémaltèque sur les rives du Lac Atitlán, 1500 mètres d'altitude, à l'ombre du volcan San Pedro, 1500 autres mètres plus haut. Les villages alentour célèbrent le culte de Maximón, un drôle de bonhomme métis Maya-Catho, buste de bois sculpté à qui on offre des cigarettes et de l'alcool. Ces gens savent vivre.
San Pedro La Laguna est bien le genre d'endroit où l'on ne peut arriver quasiment qu'en bateau. Les toros ont-ils le mal de mer quand ils naviguent sur un lac ? A vos Cossío...
Et alors ? Eh bien rien... Nous avons débarqué là-bas en août pour entreprendre de grimper le volcan, et le grand moment taurin était passé.

Si vous me surprenez en juillet prochain à taguer le monument aux toreros du monde sur le rond-point de Céret, je plaiderai qu'ils avaient oublié les toreros du Guatemala.

Céret de Toros 2011


L’A.D.A.C. a le plaisir de vous annoncer les élevages sélectionnés pour CÉRET DE TOROS 2011, les 9 et 10 juillet :

2 CORRIDAS
6 Toros de  COUTO DE FORNILHOS de Barrancos (Alentejo, Portugal), encaste Tamarón
6 Toros de Don José ESCOLAR GIL de Lanzahíta (Ávila), encaste Saltillo-Albaserrada

2 NOVILLADAS
6 Novillos de Don José Joaquín MORENO DE SILVA de Palma del Río (Córdoba), encaste Marqués de Saltillo
4 Novillos de IRMÃOS DIAS de Salvaterra de Magos (Ribatejo, Portugal), encaste Terra Portuguesa (Norberto Pedroso)

NDLR Le communiqué cérétan annonce l'élevage de Couto de Fornilhos non pas au Portugal mais à Alanís (Sevilla). Les toros qui seront combattus à Céret paissent effectivement près de Constantina suite à un changement très récent de propriétaire. Nous aurons sans doute l'occasion d'y revenir.

14 décembre 2010

¡6 terroríficos toros 6!


Elles sont mal roulées et ont été oubliées sous un pan d’escalier. Personne jamais n’y jette un œil mais elles sont là ; beaucoup ont été offertes par des amis et puis dessus, il y a des toros.
Elles ne sont pas belles, elles ne sont pas moches. Elles ne valent rien ou si peu. Alors on les garde. On les stocke sous un escalier, coincées sous des paires de pompes qui sentent le munster mais pourraient resservir un jour parce que demain c’est sûr on courriras, bloquées par l’œuvre intégrale de vos exploits du collège au cours duquel d’ailleurs vous ne pompiez rien, la preuve, vous venez d’écrire "courriras" au lieu de "courrira" sans "s". On les conserve. Ça encombrera bien les générations à venir qui n’oseront pas y mettre le feu parce que ça appartenait à papa.
Je les ai regardées hier. Figueres 1985, Feria de primavera de Barcelona 1985, Madrid 1969, d’autres.
Au-delà des noms inscrits dessus qui obligent une fois de plus à constater l’effroyable gâchis ganadero que connaît notre époque, ces affiches ont en elles une part délirante de rêve qui fout le camp aujourd’hui. Ainsi, il est devenu rare de lire sur un cartel les mentions "6 hermosos y bravos toros 6 de..." voire le classique "6 magníficos toros de..." En France, ça fait un moment que le superlatif n’est plus de mode. L’a-t-il un jour été ? La mention "6 toros 6" suffit. Point de fanfaronnade ni de grandiloquence. Peuple de raison ! Nous ne verrons donc jamais sur nos affiches cette verve truculente, ridicule et géniale où les toros s’annoncent "escogidos", "hermosos", "bravos" ou encore "magníficos". Et quelque part, un jour, en déambulant dans une rue chaude du sud, je rêve que je tombe sur ce bout de papier qui m’invite à voir combattre "6 terroríficos toros 6". Et juste dessous, en caractères plus discrets, il y aurait cette inscription que l’on ne voit plus nulle part aujourd’hui : "Les toros sont certifiés limpios [et élevés sans fundas] par le ganadero". Alors je regarderai au bas de l’affiche et je noterai le numéro de téléphone pour réserver mes places.
6 terroríficos toros 6.

Illustration Détail d'une affiche de corrida de Figueras (Catalogne), 1985 : toros de Alfonso Sánchez-Fabrés pour Antonio José Galán, Ortega Cano et Nimeño II.

12 décembre 2010

La fin d'un monde


Chaque jour ou presque un nom vient s’ajouter à la liste. Ce n’est pas forcément un nom prestigieux. Mais l’hécatombe continue. Aujourd’hui c’est Jésus Pérez Escudero. Un nom dont vous auriez pu entendre parler. Un nom qui était dans certains tuyaux. Eh bien non, trop tard.
Au bout du compte que reste-il ? Que reste-il vraiment ?
Cuadri semble revenir, mais Victorino part à vau-l’eau. Espérons qu’Adolfo Martín redresse la barre et au passage supprime les fundas. Il en a les moyens.
Le curé de Valverde c’est fini, Barcial n’en a sans doute plus pour longtemps. Le Conde de La Corte ne reviendra probablement jamais. On souhaite évidemment se tromper. Atanasio est désormais à l’état de relique. Ne parlons pas de ce qu’il reste de Coquilla. Peut-être un espoir avec Fraile. Rien n'est sûr.
Buendía est déjà disséminé et l'on nous vend Ana Romero comme un élevage torista, car d'origine Santa Coloma. C’est tout dire.
Joaquín Moreno de Silva fait de la résistance. Nous ne savons pas si Saltillo parviendra à lui emboîter le pas. Pablo Romero, pardon, Partido de Resina,  chez qui il resterait très peu de vieilles vaches, et les fundas sont là. Ça n’allait déjà pas fort. On dirait que Prieto de la Cal ait emprunté un meilleur chemin.
Au Portugal, Palha maintient le cap avec plus ou moins de régularité. Pour le reste, les doigts d’une main.
A Constantina, Dolores Aguirre n’a pas besoin d’argent. Elle peut donc maintenir, pour l’instant. Croisons les doigts pour que ça dure. Pas très loin de là il y a Miura, dont on n'a plus très envie de penser grand-chose.
A Madrid, les aficionados ne décolèrent pas. Ils viennent d’apprendre que le Marqués de Domecq, pétard majeur en 2010, sera répété par les Choperitas en 2011. A ce stade ce n’est même plus du cynisme. On ne sait d’ailleurs même plus ce que c’est.
Par contre, il se murmure que Moreno de Silva ne reviendrait pas, ou alors hors féria.
Le fils du directeur a déclaré l’an passé que la novillada — encastée — de la féria était la pire course qu’il ait jamais vue de sa vie. On ne doit pas voir les mêmes. De quoi vous donner l’envie de poser des bombes. Enfin, résister quoi. Mais résister à quoi ? Il n’y a même pas un nom à sortir du chapeau. Ce serait trop simple. C’est tout un système qui est malade, rongé de l’intérieur, incapable de tirer la sonnette d’alarme, incapable de se faire le quite.
Bien sûr, il y a de petits élevages, minuscules, éparpillés, de-ci, de-là. Des romantiques, ou des fous, ou les deux. C’est bien gentil tout ça, mais ça ne fait pas un monde non plus.
C’est pourtant tout ce qu’il nous reste.

La série continue

10 décembre 2010

L'art sans art...


Dernier apartado avant l’hiver. Derniers regards qui se croisent, avant l’année prochaine sans doute. Une galerie de portraits en enfilade. Des têtes bien de là-bas, castillanes. Je ne saurais dire pourquoi mais cette carte postale madrilène de Joséphine Douet m’a fait songer au titre d’un livre consacré à Cartier-Bresson : L’art sans art d’HCB. Peut-être à cause de la disposition quasi géométrique des personnages.

09 décembre 2010

Diego et les autres


La plaza était imposée par le texte — Vista Alegre à Bilbao —, la ganadería par moi : Hijos de Don Celestino Cuadri Vides. Manquait plus qu’à trouver les hommes pour affronter les six de « Comeuñas », et plutôt que d'imposer à nouveau j’ai préféré demander à chacun de mes camarades de proposer son cartel favori… Évidemment, certains en ont profité — non, Mimie Mathy n’a jamais pris l’alternative, Colmont non plus…
Bref, bon an mal an, François, Frédéric, Jérôme, José, Laurent, Thomas, Yannick et moi-même nous sommes pliés à l’exercice.

Après dépouillement, pour combattre et mettre à mort les Cuadri à Bilbao, Campos y Ruedos a élu José Tomás (cité 3 fois), Diego Urdiales (cité 5 fois, mentionné une fois) et Sergio Aguilar (cité 4 fois). Ont également été pressentis : Curro Díaz, El Cid, Fernando Robleño et Morante de la Puebla (cités 2 fois), Luis Bolívar (cité une fois), Morenito de Aranda (mentionné une fois) et même… César Rincón !

On notera que/qu' :
• pas un seul matador-banderillero ne figure dans la liste — si les absences de Padilla et Ferrera coulent de source, celle d’El Fundi est regrettable (quant à Luis Miguel Encabo, que 2011 marque enfin son grand retour) ;
• aucun Français n’a retenu notre attention ;
• les figuras del toreo n’ont pas été bannies — les personnalités de Tomás, Morante et El Cid n’étant pas, loin de là, les moins attachantes (« Qui a dit El Juli, Castella et Perera ? — Vous ? Dehors ! ») ;
• faire un choix ne fut pas si difficile vu la quantité de matadors ne présentant que peu d’intérêt ;
• il n’aurait pas été scandaleux de voir apparaître Rafaelillo, José Luis Moreno ou… Esplá ? Esplááá !

Finalement, lors de cette consultation interne à Campos y Ruedos, il y avait bel et bien Diego et les autres. Quelqu’un saurait (nous) dire pourquoi ?

Photographie Diego Urdiales — Laurent Larrieu

06 décembre 2010

On se sent pas bien ?


Les bravos que l'on conduit par centaines dans quelque abattoir (série en cours) vous donnent des aigreurs d'estomac ? Les taurins qui prétendent (sans rire) «rénover» le tercio de varas en y associant les picadors vous provoquent des reflux gastriques ? Les politiques qui s'engagent à moderniser (sic) une corrida qui finira par en crever vous rendent nauséeux ? Consultez votre médecin généraliste, il saura quoi vous prescrire...

Voilà ce qui arrive quand, sur la pointe des pieds et du bout des doigts, vous pensez attraper une boîte de Doliprane...

Image © Takeda

04 décembre 2010

Alain


Nîmes un matin de novembre, les halles, un bar, les va-et-vient des clients, les livreurs. La tranquillité toute relative d’un jour de semaine. L’odeur des cafés serrés se mélange presque à celle de la poissonnerie voisine. J’y ai rendez-vous avec Alain Montcouquiol et Serge Velay.
Serge, comme à chaque fois, peste contre la petite porte ouverte et le courant d’air qui lui interdit le coin du comptoir.
Lorsqu’Alain apparaît, on pense forcément à Christian, et à Manolete.
Enfin moi, quand je le vois, je pense chaque fois à Manolete. Je ne dois pas être le seul.
Avec Alain nous avions déjà échangé des coups de fil, mais nous ne nous étions jamais rencontrés. Bien sûr, je le croise en ville, comme tout le monde, souvent même, mais sans avoir envie de l’aborder. Ne pas l'ennuyer, ne pas le sortir de son monde. C’est l’impression qu’il donne, celle d’un type dans un autre monde, dans une autre époque. D’ailleurs, il n’a ni portable ni permis de conduire, et son mail, c’est plutôt sa femme qui le gère si j’ai bien compris. Il n’en est pas fier. C’est juste que les choses sont ainsi. Il ne s'en porte pas plus mal.
Il ne donne d’ailleurs pas la sensation d’être quelqu’un d’inabordable ou de compliqué. Juste quelqu’un d’ailleurs que l'on n’a pas envie d’emmerder avec des histoires trop d’ici.
Ce matin au bar des halles nous discutons de choses diverses : d’un imprimeur qui va bientôt prendre sa retraite ; des travaux que le père Velay veut lui confier avant le baisser de rideau ; de Sarkozy que personne n’a écouté l’autre soir, et un peu de toros aussi, pas énormément.
Je passe au mode spectateur. Je laisse filer la conversation entre Alain et Serge, pour photographier. Cet Alain a une tête à être photographié. En arrière-plan, une affiche de corrida reproduite à même le mur. Sous l’affiche un billet de la course, un vrai billet de la course. C’était le dimanche 14 mai 1989. L’affiche annonce 6 Guardiola pour un mano a mano entre Victor Mendes et Nimeño II.
Je photographie Alain Montcouquiol avec en arrière-plan le souvenir collé au mur de ce jour historique, réellement historique. C'était étrange, comme si le souvenir de son frère et de cet après-midi devait absolument flotter, là, juste au-dessus de nous. Je n’ai évidemment pas relevé.

03 décembre 2010

Dans un vieux livre de toros


Une photo de Morante à Séville. Une vuelta de Morante à la Maestranza. Les autres balaient comme si de rien était, lui marche au ralenti. Et cette étrange impression de voir Ordóñez dans un vieux livre de toros.

Photographie Morante de la Puebla © Yannick Olivier

Les pourparlers


Hier, j'ai vu pleurer de dépit un torero.

J'ai vu son apoderado lui remettre sa peine dans la bouche et lui nettoyer l'amour propre à grands seaux de lieux communs.

C'était d'une tristesse infinie.

02 décembre 2010

Pique française


La pique mexicaine, la pique andalouse, la pique normale, la pique à rondelle, la pique à l'ancienne, et maintenant la pique à la française.
Des piques pour tous les goûts, tous les trous, toutes les époques.
Une pique à la française, pourquoi faire ?
Laurent Giner nous en a donné un premier éclairage, pertinent.
Monsieur Hubert Compan, éminent vétérinaire taurin français, a donné le sien sur le blog de l'ami Crépin. Et là, j'avoue que la démonstration m'a laissé la très désagréable sensation d'être pris pour un couillon.

Voici. Monsieur Compan nous explique qu'Alain Bonijol « fait partie de ceux qui souhaitent un tercio de pique revalorisé, [en gras dans le texte, des fois que ça nous aurait échappé] qui met en valeur le cavalier et le taureau en multipliant les rencontres et en diminuant les lésions et l’hémorragie. »
Bon, jusque là, pas de quoi « taser » un Malien. On est même très d'accord, tiens. Et puis la cavalerie mobile de Bonijol, moi, elle me plaît bien, surtout lorsqu'elle vole comme à Céret. Alors allons-y. Engouffrons-nous.

Monsieur Compan continue : « Je connais beaucoup d’éleveurs qui pensent comme lui, et quelques vétérinaires qui savent que l’hémoglobine sert à transporter l’oxygène, que faire saigner abondamment un taureau n’apporte rien à la lidia si ce n’est un épuisement prématuré quand elle est trop importante. »
Moi ce que je sais, c'est que, par exemple, les Miura des années 1990 à Arles, jamais ils ne s'épuisaient, malgré des piques assassines, à l'ancienne, malgré l'hémoglobine qui jaillissait à gros bouillons. Avons-nous rêvé ?
Et ces Dolores Aguirre madrilènes, plus que durement châtiés, massacrés même, et qui jamais ne s'arrêtaient. Nous les avons fantasmés ?
Je pourrais évidemment vous en remplir des pages comme ça.
Pourtant les piques n'étaient ni françaises, ni andalouses, ni modernes et n'avaient rien de particulier pour diminuer le flot d'hémoglobine qui sert à transporter l'oxygène. Juste de bonnes piques à l'ancienne, des piques d'avant l'andalouse. Alors l'histoire de l'hémoglobine là, ce n'est pas si clair que ça. Chez le mouton peut-être. Mais chez le taureau de combat, fort et sauvage, ça laisse perplexe.
Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre qu'il pourrait y avoir, aussi et avant tout, un débat préalable sur la question de l'évolution du toro, de sa force, de sa sauvagerie. Mais chez nos élites la chose ne semble pas à l'ordre du jour. Sans doute le concept leur est-il trop immatériel. Pourtant, il faudra bien un jour que ces gens-là nous expliquent jusqu’à quel degré ils acceptent la dégénérescence organisée du taureau de combat.

Continuons donc à lire Monsieur Compan qui nous explique ensuite que « pour attirer des jeunes spectateurs dans les arènes, comme le souhaite Mme Darrieussecq, nouvelle présidente de l’UVTF, ce n’est pas avec des taureaux ensanglantés sur les deux flancs qu’on y arrivera. »

Alors là... Des jeunes effrayés à la vue du sang, qu’il faudrait limiter et même subliminalement supprimer. Pourtant un toro ça saigne, ça a toujours saigné et ça saignera toujours.
Ou alors ce n'est plus la Fiesta, juste une parodie, rien d’autre qu’une charlotade.
Voilà maintenant que l’on nous explique que le sang c'est laid, qu'il faut le cacher aux enfants, autrement dit qu'il faut en finir avec les piques.
Et comment on va faire pour que ça saigne que d'un côté ? Hein ?
Elles y ont réfléchi à ça nos élites ?

— Monsieur le picador, je vous en conjure ! Dites donc à ce putain de toro de bien vouloir ne saigner que d'un côté ! Il est en train d'effrayer nos jeunes, le con !
À proférer pareilles inepties pour caresser le mundillo dans le sens du poil, nos élites ne se rendent même plus compte qu'elles donnent des arguments aux antis.

Et Monsieur Compan finit par nous expliquer que « la pique nouvelle est une première étape. D’autres étapes suivront certainement visant à diminuer les lésions musculaires et les "dégâts collatéraux" avec des piques moins longues et plus étroites. Autant la première étape fera rapidement l’unanimité, autant la deuxième étape nécessitera du temps et de nombreux essais et expérimentations pour persuader tous les acteurs de la corrida. »

C'est bien ce que je dis, on nous prend pour des demeurés. Cette première pique, c’est un peu comme les innovations de Steve Jobs. Le concept est pas mal, mais ça ne sera vraiment bien qu’avec la seconde version, ou la troisième. Allons, un peu de courage. Ne tournons plus autour du pot, montrez-nous directement ce à quoi vous voulez en venir. Nous sommes grands vous savez. Nous pouvons comprendre. Accepter et avaler, ça, c'est une autre histoire...

Dessin © Jérôme 'El Batacazo' Pradet

01 décembre 2010

Prieto de la Cal


Tout a été écrit sur Prieto de la Cal. Si tant est qu’il se puisse écrire tout sur un quelconque sujet.
Les derniers Veragua (idée certainement fausse), le pelage jabonero, le trapío de brute, le pectoral gonflé, l’œil peu amène du gangster en cavale.
Entrer chez Prieto de la Cal à "La Ruiza", c’est pénétrer un musée, et de la ganadería, et de la dévotion d’une famille à une époque dont l’Espagne actuelle tente de panser les plaies. Ici, il n’est nul besoin d’être agrégé d’histoire pour prendre tout de suite le pouls de l’atmosphère des lieux. Tomás Prieto de la Cal était ganadero à neuf ans et reste séducteur à quarante. Son passé et sa vie sont accrochés au mur du grand salon ou posés sur les imposants meubles de bois sculpté, le tout disposé de-ci de-là comme dans un livre sans index. Pour qui sait lire donc, Papa était Tomás Prieto de la Cal, proche de Franco, et maman était dieu dissimulé sous les traits certainement plein de charme d’une jeune fille de "bonne" et "grande" famille qui a réussi, durant ses années de veuvage, à maintenir debout à la fois l’élevage (pourtant voué à l’index par les figurettes actuelles) et cette coiffure parfaitement et remarquablement géniale. Ici, comme chez tant d’autres ganaderos dont les grands salons sont emplis de portraits solennels, la nostalgie d’un pan de l’histoire de l’Espagne est palpable (1939-1975). C’est d’ailleurs toujours un exercice intellectuellement et culturellement troublant que de se rendre dans ces maisons où le roi avait sa table, où chassait le Caudillo, où la couleur rouge n’était autorisée que comme teinte des muletas lors des tientas.
— Tenez, dans ce lit a dormi Franco !
Tomás Prieto de la Cal est un homme fort sympathique et qu’on dirait sorti de vacances perpétuelles tant son bronzage paraît parfait et travaillé. Il vit à "La Ruiza" et non pas à Séville. Il garde donc un œil constant sur ses toros de derrière une paire de lunettes de soleil plus noires encore que le regard perçant et fier de son fils, Tomás Prieto de la Cal hijo, troisième génération. Tomás Prieto de la Cal (padre donc) est partout accompagné de sa mère, marquise ou comtesse ou duchesse de Soanes, qui ajoute à son élégance clinquante la classe de la discrétion au profit d’un fils qu’elle adore d’un regard vif et lumineux. La marquise de Soanes regarde dans la même direction que Tomás Prieto de la Cal. Elle regarde vers les toros de Prieto de la Cal qui sont à la cabaña brava ce que les berrendos en negro apajerados sont au toro de lidia actuel : le souvenir d’un lointain passé. Mais dans la famille, il semblerait que l’on soit devenu expert dans la survivance du souvenir. Alors les combats à venir ne font pas peur, ni à Tomás ni à sa maman, même si, dans l’actuelle "guerre civile" qui déchire le campo bravo, il n’est pas certain que cette fois-ci, et malheureusement, les Prieto de la Cal se trouvent du bon côté.

>>> Retrouvez sur le site www.camposyruedos.com deux galeries consacrées à la ganadería de Tomás Prieto de la Cal, rubrique CAMPOS.

Photographie Un toro de Prieto de la Cal pour 2011 © Laurent Larrieu/Camposyruedos.com

UVTF (2)


Notre ami Laurent Giner, ancien président de l’ANDA., était le dimanche 27 novembre dernier à Beaucaire, pour l’assemblée annuelle de l’UVTF. Récit.

Retrouver l’Union (voire la désunion, c’est selon) des villes taurines françaises une fois l’an, c’est un peu comme regarder l’École des fans ou les enfants jouer dans une cour d’école. Rien n’y est vraiment sérieux mais tout le laisse paraître. C’est certainement le seul moment de l’année où l’on peut oublier que toreros et apoderados sont les véritables chefs d’orchestre du milieu taurin.
Orthez reproche à Bayonne de prendre « ses dates ». Bayonne rejette la faute sur Mont-de-Marsan, qui argumente qu’Orthez doit retrouver ses dates originelles. Tout va pour le mieux dans le Sud-Ouest : heureusement qu’il y a une association d’organisateurs...
Que le Sud-Est se rassure, dans le même style, nous avons aussi Tarascon, St-Gilles et Maugio.
Personne à l’UCTL ne s’était déplacé pour défendre le cas Miura. Les ganaderos se sont donc fait excuser.
La FSTF a joué son rôle de trublion et les Ricard ont clairement spécifié qu’ils n’étaient en aucun cas solidaires des premiers. Il est vrai que pour donner un prix aux cinq piques et demie des Margé de Palavas, ils ne peuvent être solidaires que d’eux-mêmes.
L’AG a donc commencé en présence de tous les membres et des aficionados locaux.
Le maire de Beaucaire, aficionado de longue date, rappela à l’auditoire qu’un arrêté municipal avait été pris, il y a peu, afin d’interdire la prestation de Jean Servat antitaurin déclaré.
O.K. pour le coup de gueule. On a le sang chaud dans le sud, mais bon...
Si nous devons interdire tous ceux qui ne pensent pas comme nous question toros, nous pouvons l’étendre à la religion, la politique...
Heureusement, Madame de Fontenay (anti elle aussi déclarée) et ses Miss étaient passées en ces lieux juste avant... Là, pour le coup, je n’y comprends plus rien.
Je vous épargnerai les différents discours sans importance et autres votes à l’unanimité pour ne retenir que les résultats d’analyses de cornes et la présentation de la peut-être future nouvelle pique.
Les analyses de cornes version 2010 ne pouvaient être aussi ridicules que celle de 20091 :
— 6,06% des toros analysés s’avèrent positifs sur deux cornes (Domingo Hernández, Miura, Margé, Puerto de San Lorenzo) ;
— 7,58% sur une corne.
Comme aime le rappeler le Gérard Bourdeau2, la tolérance du 1/5 au lieu du 1/7 est énorme. Combien de pitones passeraient ce contrôle ?
Si l’on doit rajouter aux 4 toros positifs, les 26 certificats d’arreglado légaux, nous sommes loin des 6 petits % du départ.
Bref, grâce aux analyses et à l’UVTF, la situation s’améliore, c’est vrai. Mais des gradins, ce n’est pas aussi clair !
On me reprochera certainement de voir trop en noir. Une chose est sûre, tout n’est pas bleu. Loin de là.
La vraie nouvelle du week-end sera la "pique française" imaginée par Alain Bonijol. Ce gars est une mine d’idées novatrices. Même s’il ne fait pas l’unanimité (chez votre serviteur en premier), sa façon d’aborder les problèmes et d’y trouver une solution m’épatera toujours.
Sa pique (voir photo) est aussi longue qu’une pique andalouse mais plus fine, plus effilée, sans cordes.
Sa préoccupation première a été de comprendre les attentes des picadors et de solutionner leurs principales craintes. En les impliquant dans son projet, Bonijol a peut-être évité la levée de boucliers de cette corporation, par toujours facile à manoeuvrer.
Bonijol affirme qu’un picador qui rentre en piste, pense avant tout « à mettre les cordes » et faire saigner.
Sur une pique normale, la partie en corde est plus grosse en diamètre que la pyramide saillante. Elle freine la pénétration de la puya. En effilant sa pique et en supprimant les cordes, elle pénètre mieux.
Le picador peut alors se concentrer à l'« arte de bien picar », positionner correctement son cheval, lancer le palo, mettre la pique dans à la base du morrillo, faire pivoter son cheval et ouvrir la sortie.
De plus, je cite : « les toros monopiqués pourront être renvoyés plus facilement au cheval pour une seconde rencontre. »
J’interprète : « tout le monde pourra ainsi croire que les invalides qu’ils ont sous les yeux sont de vrais toros puisqu’ils vont deux fois au cheval. »
J’exagère vous croyez ? Si peu !
Lorsque sort du toril un vrai toro, avec de la force, plus personne ne se pose de questions existentielles sur la pique. Comme quoi, il y a bien deux tauromachies.
Avant cela, l’UVTF, par l’intermédiaire des vétérinaires, devrait analyser des corridas entières piquées pour moitié avec une pique classique (voir andalouse) et pour moitié avec cette vraie nouveauté.

Une fois passée la curiosité d’une nouveauté et la satisfaction de constater que certains réfléchissent, imaginent, inventent, des questions peuvent venir à l’esprit.
Si la pique pénètre plus facilement lorsqu’elle est bien placée, en sera-t-il de même si elle est mal placée ? À la vue du petit nombre de piques bien positionnées tout au long de la temporada, ne faudrait-il pas d’abord apprendre au picador à viser au bon endroit ? Et sans doute changer les mentalités...

Certains vétérinaires, amoureux du toro moderne, veulent comparer les résultats d’analyses post-mortem de cette pique avec ceux de Madrid 1998 (donc une pique normale). Ce serait, je pense, une grossière erreur. La pique madrilène est plus longue mais, surtout, les premiers tiers de Las Ventas sont loin d’être des références. La raison principale en est le toro. Ce sont, avec ceux de Bilbao et de Pamplona, les plus gros, les plus grands et les plus pourvus en cornes. Ceux sont ceux, qui reçoivent les plus gros châtiments avec les piques les plus en arrière, donc les plus destructrices. Aucun demi-toro de Nîmes, Dax, Arles, Mont-de-Marsan n’a reçu cette année un châtiment aussi appuyé que ceux que nous pouvons voir régulièrement à Madrid.
Comparons ce qui est comparable et faisons les analyses chez nous avec nos demi-toros et nos demi-picotazos. Nous verrons bien si les dégâts causés par les piques sont si importants que cela.

En ce qui concerne le marché français, si cette pique voyait sa légalisation, le monopole espagnol des puyas changerait de camp. Les appels d’offres concernant les cuadras de caballo n’auraient plus le même contenu. La tauromachie française s’impose petit à petit. Bien vu M. Bonijol.
Et en ce qui concerne l’intérêt de l’aficionado amoureux du vrai toro, il faudra attendre les résultats post-mortem avant de se réjouir. Pour ce qui est des novillos « pégapasés » par les vedettes, ce n’est pas cette pique ni une autre qui leur donnera la force qui leur manque. Elle aidera, dans le meilleur des cas, à cacher la misère actuelle du premier tiers.
Laurent Giner

1 Deux paires de cornes avaient été analysées positives mais Arles avait déjà fait ses emplettes à "Zahariche".
2 Président de l’Association française des vétérinaires taurins (AFVT).

Photographie La pique française (à gauche).