14 décembre 2010

¡6 terroríficos toros 6!


Elles sont mal roulées et ont été oubliées sous un pan d’escalier. Personne jamais n’y jette un œil mais elles sont là ; beaucoup ont été offertes par des amis et puis dessus, il y a des toros.
Elles ne sont pas belles, elles ne sont pas moches. Elles ne valent rien ou si peu. Alors on les garde. On les stocke sous un escalier, coincées sous des paires de pompes qui sentent le munster mais pourraient resservir un jour parce que demain c’est sûr on courriras, bloquées par l’œuvre intégrale de vos exploits du collège au cours duquel d’ailleurs vous ne pompiez rien, la preuve, vous venez d’écrire "courriras" au lieu de "courrira" sans "s". On les conserve. Ça encombrera bien les générations à venir qui n’oseront pas y mettre le feu parce que ça appartenait à papa.
Je les ai regardées hier. Figueres 1985, Feria de primavera de Barcelona 1985, Madrid 1969, d’autres.
Au-delà des noms inscrits dessus qui obligent une fois de plus à constater l’effroyable gâchis ganadero que connaît notre époque, ces affiches ont en elles une part délirante de rêve qui fout le camp aujourd’hui. Ainsi, il est devenu rare de lire sur un cartel les mentions "6 hermosos y bravos toros 6 de..." voire le classique "6 magníficos toros de..." En France, ça fait un moment que le superlatif n’est plus de mode. L’a-t-il un jour été ? La mention "6 toros 6" suffit. Point de fanfaronnade ni de grandiloquence. Peuple de raison ! Nous ne verrons donc jamais sur nos affiches cette verve truculente, ridicule et géniale où les toros s’annoncent "escogidos", "hermosos", "bravos" ou encore "magníficos". Et quelque part, un jour, en déambulant dans une rue chaude du sud, je rêve que je tombe sur ce bout de papier qui m’invite à voir combattre "6 terroríficos toros 6". Et juste dessous, en caractères plus discrets, il y aurait cette inscription que l’on ne voit plus nulle part aujourd’hui : "Les toros sont certifiés limpios [et élevés sans fundas] par le ganadero". Alors je regarderai au bas de l’affiche et je noterai le numéro de téléphone pour réserver mes places.
6 terroríficos toros 6.

Illustration Détail d'une affiche de corrida de Figueras (Catalogne), 1985 : toros de Alfonso Sánchez-Fabrés pour Antonio José Galán, Ortega Cano et Nimeño II.