08 septembre 2007

Aficionados au bord de la crise de nerfs (mansedumbre)

Laurent et moi avons ici manifesté notre humeur récemment à l'occasion des textes que nous avons consacré respectivement à la Féria de Béziers et à la corrida de Dolores Aguirre à Calahorra, pour regretter le sort que l'on semble désormais réserver aux mansos dans nos ruedos.
Cela m'a permis de me remémorer un article de Pierre Dupuy, que je ne peux que citer ci-dessous car il n'y a rien à ajouter :
"Sortons de l'oubli, dans lequel nos ganaderos les ont plongés, les "anciens mansos". Ils sont en voie de disparition. A tel point que lorsque, par hasard rarissime, il en sort un, le public est à ce point désorienté qu'il s'empresse de réclamer son remplacement... pour le plus grand plaisir du torero, car le véritable manso, ce n'est pas de la tarte à lidier ! Ca gicle à l'improviste, ça charge ce que ça veut et pas toujours le provocateur le plus proche, ça se colle les fesses aux planches et ça attend qu'on vienne le chercher dans son terrain, là où il a les plus grandes chances d'atteindre son but. D'abord réprobateur pour cette couardise dangereuse, l'aficionado - nous nous comprenons - sent son intérêt s'allumer car c'est à un spectacle pratiquement disparu qu'il s'apprête à assister, celui de la lidia. C'est alors que les autres se mettent à hurler : "Sortez-le" ou "Matalo", ce à quoi présidence et maestro accèdent le plus souvent, l'un ou l'autre."

A Calahorra, les aficionados présents n'eurent même pas l'opportunité d'assister au tercio de varas, puisque le toro fut changé avant l'entrée en piste des picadors (conformément au règlement, que décidément on ne suit à la lettre que pour le pire). A Béziers au contraire, ce toro du Puerto de San Lorenzo put exprimer sa violence et son poder - à défaut de bravoure - face au cheval, obtenant même un spectaculaire batacazo. Il fit régner, pendant les quelques minutes de vie publique que public et présidence complice voulurent bien lui laisser vivre, une panique en piste dont Domingo López Cháves, matador de turno, se désintéressa totalement. Avec une mise en scène grand-gignolesque dont il a décidément le secret, Juan José Padilla le fit rentrer vivant aux corrales, au grand désarroi des quelques aficionados présents. Un tel toro, certes pas du gateau, n'eut même pas mérité les veuves, à mon humble avis ; il eut au contraire mérité une lidia digne de ce nom, dont López Cháves eut été incapable ce jour (à en juger par ses prestations à son premier toro et à son second bis), ce qui peut arriver, et dont le public se fout royalement, ce qui est déjà plus grave.
Qu'un public sans critères réclame à cor et à cri le changement d'un toro parfaitement valide au prétexte - fallacieux et incertain, car comment savoir ? - qu'il ne permettra pas au torero de lui péguer cent passes n'étonne plus grand monde, mais que la présidence, telle une chambre d'enregistrement, accepte de donner suite aux demandes les plus farfelues, est franchement scandaleux. Je ne m'émeus plus depuis longtemps du caractère fantaisiste de l'attribution des trophées (c'est à chaque place qu'il appartient de déterminer la catégorie à laquelle elle souhaite appartenir), mais ce type de décision entraîne une frustration insupportable dans la mesure où il est si rare déjà de pouvoir assister au specacle de la lidia, pourtant consubstantiel à la corrida.

Photo Toro n° 16, 590 kg, de la ganadería de Puerto de San Lorenzo, le 14 août 2007 à Béziers.