12 septembre 2007

El Toro de la Vega


S’il y a une manifestation taurine qui semble exaspérer, plus que tout autre, les lobbys de la sensiblerie, c’est bien celle-ci. S’il y a un rite tauromachique qui semble donner, plus que tout autre, du fil à retordre pour sa défense, c’est bien celui-ci ! J’ai nommé El Toro de la Vega. Pour les uns, grosso modo ceux de Tordesillas (30 km au sud-ouest de Valladolid), ce tournoi est la plus belle fête qui soit. Pour les autres, grosso modo le reste de la planète, une barbarie moyenâgeuse perpétrée par des sauvages qui font honte à l’espèce humaine. Ces femmes — d'aucuns auraient aperçu des enfants — et ces hommes sans cœur et sans pitié — ont-ils seulement une âme ? — prétendent avoir un toro dans la tête. Leur toro doit être très beau, le plus beau, brave et bien armé. Ils pensent à lui toute l’année. Une fois choisi, tous connaissent son nom. Ils l’accueillent fébrilement à sa sortie du camion : présentation et comportement alimentant de vives discussions !!! Ils lui font même l’honneur d’une affiche ; on les dit capables de tout dans leur soif d’orgie sanglante...

Le tournoi du Toro de la Vega : de quoi s’agit-il au juste ? À la toute fin de son ouvrage Le souffle dans le dos (J&D Éditions, 1997), dans le glossaire en annexes — trop souvent oubliées les annexes —, Emmanuel de Marichalar lui consacre quelques lignes instructives :

« Tordesillas a une tradition taurine pluriséculaire. On la fait remonter autour de l’an 1500. On a trouvé trace, dans un livre de la Confrérie du Saint Sacrement de l’église paroissiale de Saint Pierre, d’un texte qui dit que cette Confrérie offrait régulièrement "à l’assistance des danses, des illuminations et des taureaux" [...] Tordesillas est la ville d’Espagne où se déroule une des plus vieilles suertes taurines pédestres, la lanzada, lors de la célébration du Toro de la Vega. L’animal est lâché d’un corral situé en ville. Il parcourt les quelques centaines de mètres qui le séparent des champs où l’action doit être consommée. Quelques vers rapportent que :

« Tordesillas a un taureau
Qu’on appelle "de la plaine"
Car on le tue dans la plaine
De la steppe castillane »

Par milliers les aficionados suivent l’animal à une distance prudente. Arrivés dans la plaine, lanciers pédestres et équestres entrent en action. El Toro de la Vega a ses règles. C’est un combat durant lequel ne doivent intervenir que l’homme à pied ou à cheval. La rencontre se fait en champ ouvert, sans potection d’aucune sorte pour l’homme. Il n’a aucun droit au recours d’une cape pour se protéger ou pour se défendre. L’animal va souvent prendre une
querencia entre les arbres rapprochés d’un sous-bois. Arrive le moment où le taureau est immobile, et les lanciers s’élancent. Une à une, les lances percent le corps du taureau qui, une fois au sol, est prestement achevé. Le toro est grâcié s’il arrive à la limite du terrain prévu pour l’exercice de la lanzada. »

Dans la steppe castillane, la grâce est exceptionnelle et, comme dans le ruedo, l’exception constitue un gage de grand sérieux. Elle fut prononcée en septembre 1993. 'Bonito', toro de Valverde, repartit de Tordesillas en vainqueur. L’après-midi même, le maire de la ville déclara : « Los Tordesillanos hemos tenido la ocasión de demostrar a esos pocos que vocean tanto que la lidia del Toro de la Vega es un torneo justo y limpio, en el que vence el más valiente o el que más sabe ». Dans la plaine, hier matin, c’est finalement le sobrero 'Enrejado', devise verte et rouge, qui a rendu son dernier souffle à l’ombre des pins. Après être descendu de sa monture, le cavalier salmantin José Ángel González Martín, « el más valiente o el que más sabe », s'est approché d''Enrejado' en foulant le sable de la vega et lui a porté la lanzada mortelle. L'horloge annonçait 11 h 25 et je n'y étais pas...

En plus
— Un diaporama fourre-tout et un reportage photo chrono-il-logique de l'édition 2005 ;
— un article d'El País plutôt contre, un autre plutôt pour et
— une réponse érudite à quelques assertions farfelues...

Images 'Enrejado' de Sepúlveda de Yeltes, Toro de la Vega 2007, & J. Á. González Martín 'Cañero', casaque orange et bombe noire, Lanza de Oro 2007 © Nortecastilla.es Cartel 2007 © Patronato del Toro de la Vega à la page d’accueil (sic) un tantinet austère...