
Il y a en tauromachie, comme dans la vie de tous les jours, des souffrances à peine perceptibles ou qui ne se disent pas. Au moment où vos yeux louchent déjà sur la saison à venir, il est souhaitable de vous interpeller sur ces maux qui minent la Fiesta, ces maux que vous ne voyez pas ou plus, tout occupés, logiquement, à vous affairer à droite et à gauche pendant "vos" corridas. Oui, chers G.O., au moment où vous savourez triomphes et éloges (Dax, Nîmes pour donner des exemples…), aux heures longues de déconvenues forcément accrues par les charognards de la feuille blanche (Mont-de-Marsan pour donner un autre exemple…), des hommes et des femmes souffrent… dans le callejón !
Car cette lettre n’a d’autre objectif que de vous ouvrir les yeux sur ce mal atroce qui frappe ces errants de la contre-piste. J’en appelle à votre sensibilité la plus profonde qui, je l’imagine, mettra en émoi votre altruisme le plus sincère.
Les callejones sont devenus des lieux de torture pour les pauvres âmes qui le peuplent. La promiscuité de ce bout de piste rappelle les interminables queues de passants de la nuit qui s’effilaient aux portes de trop rares magasins en ex-Union Soviétique. Un calvaire, on l’imagine. Et en plus, il fait chaud l’été ! Vous trouvez sans doute mes propos quelque peu exagérés et je comprends vos hésitations, à croire que de telles choses se déroulent en vos propres murs. Afin de prouver ma bonne foi, voici les mots bouleversants d’un survivant de callejón qui témoigne presque en catimini de ses douleurs les plus enfouies.
"Mais le callejón, c’est aussi rester debout trois heures (multipliées par deux le samedi et le dimanche) coincé derrière un burladero, se démener régulièrement pour en sortir en dérangeant tout le monde quant on veut travailler et faire deux images, se payer une grosse montée d’adrénaline bleue quand l’épée vole et se plante dans le bois juste devant vous, que le toro vient remater sèchement, ou que le cheval de picador s’écrase sous votre nez en faisant plier la barrière". Oui, chers G.O., cela se passe sous vos yeux, chaque week-end qui rythme nos étés et vous ne voyez rien.
Mais n’allez pas croire que cette lettre n’a pour fin que la plainte. Ayant bien réfléchi au problème, en me rasant peut-être comme d’autres rêvent de devenir grand, j’en suis arrivé aux idées suivantes qui pourraient être mises en place dès la saison prochaine afin de mettre un terme à ce scandale trop longtemps oublié.
1/ Agrandir d’un mètre le callejón afin de pouvoir y installer des sièges en cuir pour les personnes touchées de rhumatismes et autres courbatures. Evidemment, la vue sera moins aisée. Pensez donc à scier une partie du burladero en installant dans la partie vide une vitre d’un verre incassable, du style de celui qui servit à cet "immense" et "hallucinant" défi que se lança un peintre français un soir de réveillon à Vic. Le verre fit ses preuves…
2/ Réduisez le nombre de subalternes dans les cuadrillas. Ainsi, les personnes présentes dans la contre-piste pourront plus aisément se déplacer à leur gré pendant la lidia pour faire "des images" ou discuter avec leurs amis. De toute façon, quand on regarde de près le travail effectué par certains subalternes, il ne manqueront à personne, même pas à ces maestros "géniaux" qui remplissent nos étés et de toute façon "capables" de réduire les toros les plus vrais dans des lidias parfaites. Au passage, pensez à dire aux picadors de rester dans le patio de caballos car leur accoutrement encombrant est des plus gênant, vous en conviendrez. Et à quoi servent-ils eux aussi ?
3/ Installer un bar dans un coin de callejón pour que ces pauvres gens puissent se désaltérer à loisir. On ne sait jamais qu’une nouvelle canicule ne frappe nos régions dans les années à venir. Tant que vous y êtes, pensez à n'y servir que des boissons fortement alcoolisées. Avec un peu de chance, ceux qui trimballent leur plume en ces lieux quasi inquisitoriaux pourront peut-être enfin pondre des commentaires empreints d’un brin de bon sens et d’objectivité. Remarquez, si vous faites cela, vous exposez vos talents d'organisateurs à une sévère critique qui pourrait s’avérer fort désagréable à vos yeux.

5/ Enfin, pensez tout simplement à organiser des corridas sans toros. Débrouillez-vous comme vous voudrez, achetez des chèvres, des koalas ou des dromadaires mais par pitié, n’achetez plus de toros (ou ce qui ressemble à des toros dans certaines plazas) car ces animaux à la con leur font peur en tapant contre les planches. Vous n’avez pas honte, non ?
Et puis, de toute façon, quand on lit ce qu’ils en écrivent de vos toros, sur leur feuille de papier ou sur leur blog tout neuf, ça ne vaut pas le coup de se décarcasser plus que cela. Pas une ligne, pas une lettre, rien, le vide !
Ainsi, chers G.O., ce cri d’alarme est pour vous, dans l’espoir de sauver une espèce en voie de multiplication, c’est si rare de nos jours.
PS : je vous aurais bien conseillé d’écrire à ce témoin démoli par tant de souffrances mais il est impossible de laisser un courrier sur son blog… Dommage.