17 septembre 2007

Demain le temps sera plus vieux


Avant de reprendre le fil de notre hommage à César Rincón et des chroniques de Joaquín Vidal, voici mon petit texte d’introduction à l’exposition de ce week-end chez les amis de Pablo Romero. Il ne me paraît pas inutile de préciser à cet instant que sans le dévouement et l’afición de Laurent Giner et Gilles Gal (qu’il était émouvant de se trouver aux côtés de César, ému, les yeux brillants, écoutant le récit de sa glorieuse et admirable carrière…) le Colombien aurait quitté Nîmes avec, en tout et pour tout, une médaille de la ville refilée à la va-vite à la fin de son ultime paseo français. Que Laurent et Gilles soit ici remerciés de ne pas avoir laissé repartir cet immense maestro dans des conditions qui auraient été indignes de son rang. Ci-dessous face à 'Bastonito'. Et puisque j'en suis aux messages personnels, ce serait bien que tendido69 contacte notre webmaster sur l'e-mail : contact@camposyruedos.com.

Demain le temps sera plus vieux
Mon ami Laurent Giner me téléphone, en plein mois d’août. Je suis au Portugal, à Porto, profitant d’un peu de repos et de l'époustouflante vallée du Douro. Laurent, lui, est à fond. Il est toujours à fond de toute façon : « Il nous faut dix photographies, pour un hommage à César Rincón… Il y en aura dix de Botán, dix de Michel Volle et dix des tiennes… On te laisse choisir… Il me les faut très vite… » Ben voyons… Et c’est tout Laurent ? Depuis l’apparition de cette fichue photographie numérique je ne tire plus mes clichés, hélas. Plus le temps de toute façon. Heureusement, Bernard Moschini est de bonne composition. Qu’il en soit ici remercié.

César Rincón est sans aucun doute le matador de toros que j’ai le plus photographié avec Luis Francisco Esplá, El Fundi et El Juli. Cela ne relève pas vraiment du hasard.

A peine rentré, je branche ma table lumineuse et plonge dans mes négatifs, soit quelques années à visionner. Un hommage à Rincón est quelque chose de tellement particulier, le maestro tellement attachant. Un hommage à Rincón est finalement un hommage à une certaine conception du toreo, à la vergüenza torera incarnée. Rincón est le torero des aficionados, plus que du « taurinisme », qui le lui a bien rendu. Et ce n’est pas non plus un hasard.

Curieusement, ces dix photographies ne sont tirées que de trois corridas : deux à Madrid, une à Arles. Sans doute un peu le hasard pour le coup.

La première corrida donc, c’était à Madrid en octobre 1993. Feria de Otoño, dans un vent violent et face à d’imposants toros du Puerto de San Lorenzo. Le public ovationnait le sitio de Rincón, sa façon de citer, avant même que le toro ne s’élance, dans des conditions climatiques proche de l’apocalypse. Mais le maestro ne cède rien aux éléments, donne la distance, se croise et se la joue. Il frôle la Grande Porte, la rate de peu, mais marque à jamais nos esprits.

La corrida d’Arles est un peu un heureux concours de circonstances pour photographe « rinconiste ». Le Sepúlveda - je crois - est haut, armé, et Rincón se la joue. L’angle est bon et la lumière propice. La faena n’est pas particulièrement brillante mais se laisse photographier.

Et puis enfin, et bien sûr, 'Bastonito', de l’élevage de Baltasar Ibán. Madrid, Feria de San Isidro 1994. Toute une histoire dont la télévision, pour une fois, contribuera à diffuser et pérenniser la grandeur. J’étais au tendido 5 bajo, aux côtés de Joël Bartolotti, actuel directeur de la revue Toros. Entre deux photographies, nous nous donnions quelques coups de coudes pour nous persuader que nous ne rêvions pas. Javier Villán, le chroniqueur du quotidien El Mundo, avait eu cette formule tellement juste : « Le triomphe du vaincu ». Le reste ne se raconte pas, sauf sous la plume talentueuse d’un autre maestro : Joaquín Vidal.

Aujourd’hui César s’en va. Et comme l’aurait dit très justement le regretté Jeanloup Sieff : « Demain le temps sera plus vieux ». Merci Monsieur Rincón. Merci pour tout.