05 septembre 2007

"L'ombre portée de la caste..." Calahorra 2007


Il a pénétré dans le ruedo comme un malfrat errant voûté sous des arcades glauques aux heures noires des guerres de religion. L’œil brillant, dissimulé dans les rugosités d’une impasse mal éclairée, la mine incertaine, goguenarde, le pas lent traînant ses mauvaises intentions. Un feutre de mansedumbre repoussait la lumière. Une fois découvert, l’espace d’un instant, d’un éclair de seconde, la tête haute, et comme irritée de cent frémissements, le malfrat inquiétant prit les tours d’une vierge trop blanche, trop jeune et trop effarouchée. Une mouche borgne et handicapée lui aurait collé la pétoche à mille mètres de là. 'Burgalito', n° 46 de la ganadería de Dolores Aguirre Ybarra a cagué aux quatre vents en découvrant le rose d’une cape et a pissé en rond au son de la voix rauque du peón de brega. Malfrat, vierge hors du monde, 'Burgalito' paraissait manso du diamant du pitón au caca de la queue. Rien n'y fit, il ne s'engagea dans aucun "cite", refusa tissus, appels du pied et injonctions diverses. Face à temps de défauts si vite mis à jour, le gentil public de Calahorra gronda comme un seul homme pour que le président change l'affreux jojo. Après un coup de téléphone en forme de SOS, les messieurs du palco donnèrent satisfaction aux désirs de la foule gueularde. 'Burgalito' repartait dans l'ombre coiffé à jamais de ce feutre de malfrat et rempli pour toujours de ses peurs virginales. A ma gauche, un vieux bonhomme fort affable et encore plus heureux de savourer ses propres vérités promettait à tout le monde que lui, oui lui, avait vu avant tous le handicap physique de 'Burgalito' et que le changement était donc justifié. C'est le seul dans toute La Rioja à avoir entraperçu le pet au "scrotum" (si si) de ce Dolores Aguirre. Le seul mais il n'en démordit nullement...

- Non !
Ça venait de plus haut. Un truc massif et ferme, un "ta gueule" en poli.
- Non, il fallait le faire piquer pour dire s'il était réellement manso et de toute façon, c'est stupide de changer un toro sous prétexte qu'il est manso.

¡Vaya hombre! Papy vociférait encore, prenant à témoin les temps proto-historiques de la tauromachie que lui seul avait connus évidemment ; l'autre s'était tu, l'oeil noir, la vérité se suffit à elle-même. Pourquoi n'a-t-on pas fait piquer 'Burgalito' ? Comment se permettre de donner un avis si définitif sur ce toro sans avoir pris la peine de savoir ce qu'il avait dans les tripes lors de l'acte fondamental qu'est la pique ? Et puis, surtout, la vraie question à se poser est : quelles sont les conditions pour changer un toro de combat ? Tout le monde connaît plus ou moins le règlement taurin et sait qu'un toro qui entre en piste sans sa totale intégrité physique peut et doit (dans l'idéal) être remplacé. Mais que faire dans le cas d'un animal comme 'Burgalito', totalement valide physiquement ? On le combat ! Rien de plus ! On le "carioque" (oui oui), on lui donne la faena que l'on peut (passes courtes, recortes...) et on le tue... dans l'arène. Que le public n'apprécie pas ce genre de spectacle (je ne sais pas si le mot est bien choisi) est compréhensible mais qu'il n'accepte pas l'incertitude comportementale d'un animal est chose plus rude à avaler. Un toro de combat, malgré la sélection drastique (ça dépend chez qui) dont il est le résultat, reste un animal, non pas une machine programmée pour charger correctement (embestir, servir, humilier comme il faut, le vocabulaire en la matière est fort à la mode) et selon les goûts et les attentes des publics. C'est d'ailleurs cette part d'inconnu, de manque d'évidences préfinies, qui font la saveur d'une corrida et qui lui confèrent tout son intérêt. 'Burgalito', certainement manso perdido (et l'absence de châtiment m'interdit de l'écrire avec assurance), aurait dû finir sa vie sur le sable des arènes de Calahorra. Les mansos ont leur lidia et je n'ai encore jamais lu sur une affiche "6 toros perfectamente bravos 6". Si ce jour arrive, alors, seule la télévision aura tauromachiquement encore de l'intérêt car nous pourrons, à loisir... zapper !

- ¡El cinco es el mejor!
Le proto-historien prédicateur de l’impossible l’a annoncé dès la sortie du premier bicho. Il a ressassé son truc à chaque nouveau toro et attendait 'Langosta' comme on attend la chantilly sur une glace à la vanille. A ma droite, un moustachu quinquagénaire, le Davidoff littéralement planté entre les ratiches, lançait des missiles de mauvaise humeur vers l'érudit verbeux. Entre deux gin tonic, il marmonnait des psaumes extraits tout droit d'une bible de marins au long cours en attente dans un bordel de fortune. Il a fini par mâcher les restes de tabac, de rage. Et 'Langosta' fut là, enfin, alléluia, amen ! Le Judas de la course, le manso dans toute sa rudesse. Détestant les chevaux, adorant la querencia, la tête juchée sur un accordéon géant, il étala toutes les facettes imaginables du toro couard et refusant le combat. "Una putada" à quatre pattes ! Entre deux grognements, le fumeur de cigare me glissa de ne pas manquer la photo de 'Langosta' car c'était le toro de l'année. Il éclata de rire, et répéta à la cantonnade : "¡Es el toro del año!" Mille dents éclairèrent le sable. Le diseur de bonne avanture n'a même pas frémi devant ses conneries. Il a juste hurlé que ce toro était le meilleur mais qu'il avait cinq ans ce qui expliquait ce mauvais caractère ! J'ai cru qu'il allait bouffer la boîte de Davidoff par les narines mais les nerfs tendus du moustachu ne cédèrent pas. 'Langosta' fut le seul grand manso de cette course. Tous les autres toros de Dolores furent de beaux et sérieux toros de combat. Une caste imposante les portait malgré d'évidents défauts. Tous recherchaient la querencia mais tous chargèrent avec alegría et en baissant bien la tête dans les leurres. Ils prirent chacun de vraies piques bien que les mises en suerte catastrophiques des cuadrillas interdisent un avis clair et objectif. Quatre toros sur six furent abandonnés au picador qui garde la porte pour une première rencontre longue, "carioquée" et forcément assassine. Aucun ne s'effondra, au contraire, tous reprirent le dessus au dernier tiers et finirent avec des pattes d'acier. Le sixième était certainement un grand toro touché par l'allégresse, l'envie d'en découdre et la fixité dans les charges. Il poussa bien fixement en deux lourdes rencontres, les reins au boulot et la tête au sol. Il déborda Fandiño dès les premières séries de passes et le bouffa tout cru dans les suivantes en imposant les terrains et les sorties de passes. Entre des mains expertes, ce toro aurait été grandi dans la domination... Le lot bien présenté de Dolores Aguirre Ybarra, quoique certains pitones (le 2 en particulier) laissaient planer des doutes d'intégrité, dans le type Atanasio, sans un poil de graisse, avait les qualités d'une grande corrida de toros. Tout n'était pas parfait (querenciosos...) mais nous n'avons vu que l'ombre portée de cette grande corrida. Eux n'y sont pour rien, ils ont été ce que nous espérions. La faute en incombe à trois diestros en manque de repères et surtout à trois cuadrillas dont l'avenir est assuré dans les spectacles comico-taurins. Aucune mise en suerte ne fut correctement menée, en particulier lors des tercios de piques au cours desquels les toros ont fait ce qu'ils voulaient. Les poses de banderilles... N'en parlons pas. Quant à Messieurs Califa, Robleño et Fandiño, n'en parlons pas non plus tant leur sens de la lidia avait été laissé à l'hôtel, sous l'oreiller. Califa et Robleño sont, c'est certain, dans un grand moment de doute et ce genre de toros n'est pas fait pour leur redonner et le goût et le sitio. Iván Fandiño se prend pour l'étoile montante de la tauromachie. Il passa l'après-midi à pester contre le président, à prendre des poses de danseuse andalouse sous sa coiffe ultragominée et ne toréa pas. Il a coupé deux ou trois oreilles pour trois gestes esthétiques, a visité l'intégralité du rond de la piste sur ces deux toros, a tué de deux bajonazos infâmes... et tout le monde était pourtant content car il a fait des passes. Erreur, ce sont les Aguirre qui firent les passes, pas lui !

Ce samedi ensolleillé, nous ne vîmes donc que l'ombre portée d'un peut-être passionnant lot de toros et le prédicateur a paraît-il raté son bus...