20 septembre 2007

"Derrière le muret de pierres grises..." - Tabernero de Pinto


A Thomas,

Dissimulées sous l’ombre perlée d’encinas vieillissantes, elles scrutent les verts en foule de la primavera charra. Les derniers nés collent aux sabots, évitent le regard, se dérobent et cherchent refuge dans le gigantesque berceau de maman. Personne ne sait qu’ils sont là, ils n’existent pas dans la fragilité de leurs pattes de suie. Elles, elles scrutent le vide vert, en vain. Personne ne viendra, personne n’est jamais venu de toute façon. Sous leur mufle, pourtant, toutes les heures, filent les faiseurs de carteles, accoucheurs d’idées rondes et bien lisses vendues comme une fabrique de rêves quand pointent les lumières plus vives de l’été. Seul, fidèle et hiératique, persiste dans la ligne des pitones "el Cristo de Cabrera", Macarena du lieu que le catholicisme local vénère en juin dans un Rocío au loin des chemins touristiques.
Le ciel s’épanchait doucement. Le mayoral, Juan García García, grand brun rempli de sombre, aurait apprécié que nous fassions comme les autres, passer, ne pas s’arrêter. La finca n’est pas grande, très discrète. Depuis la route qui mène à Las Veguillas (2 kms), une placita couleurs du sud intrigue un regard vide de toro. La mâchoire raide, le verbe muet, il a montré du doigt, derrière un muret de pierres grises, il a baragouiné trois mots en allumant une clope, voûté sur ses pensées, protégé du ciel sombre, surtout de nous. Ils ont couru de droite à gauche, puis de gauche à droite, puis à nouveau de droite à gauche dans un même élan, pareils à de jeunes cabots un peu pecs qui vous font la fête et veulent jouer. La peur peut-être… Un noir s’est arrêté puis deux, puis un colorado… Un silence total de piaillements de piafs a remplacé le mouvement perpétuel. Au bout du doigt, derrière le muret de pierres grises… Franchir un portail de bord de route, dire bonjour, être poli, il suffisait de cela finalement. Nous venions voir du Saltillo… sans grande illusion. Ça ne court plus beaucoup les rues ces choses-là, encore moins sous la peau verte et moutonnée du Campo Charro. Miguel Zaballos Casado y croit encore mais le désert avance avec des dents tranchantes.

María Concepción Pinto Tabernero, fille de Juliana, est heureuse de nous les montrer de près. Le muret de pierres grises ne nous protège plus. A priori, une novillada devrait être combattue en mai ou juin à Zamora mais rien n’est sûr précise-t-elle, souriante. Son mari, callé à l’arrière, s’inquiète des photos et conseille sa belle pour qu’elle obtienne les meilleurs angles de vue. Chacun sa place. Nous n’avons pas demandé quelle était leur profession à Salamanque mais j’aurais bien parié qu’ils dirigeaient une entreprise de peinture ou un truc dans le genre. Sous une lumière sèche de fin de matinée, une vingtaine de novillos semblaient peints et vernis. A croire qu’une esthéticienne était passée par là l’heure d’avant enduire de noir et de cire les poils et les cornes de la petite manade. Il n’y a aucun gris, pas plus que de negro entrepelado. Mais il y a ces marrons aux tronches effilées, ce noir azabache tocado de pitones, il y a ce tío, de profil contre le muret de pierres grises à qui il manque le bas du poitrail. Ils sont bizarres ces bestiaux.
Juan García a juste répondu un « sí » en écrasant son mégot. "Sí ! Son Saltillo". Il n’a rien dit de plus, il n’était pas là pour ça et puis il pleut de toute façon, il en a ras le bol certainement. En sortant de "La Cabrera" (finca), l’agaçant couinement des essuie-glaces a bercé notre mutisme. Chacun savait ce que l’autre divaguait mais ça colle les pétoches de se dire la vérité. Nous n’avions rien compris ! Nous n’avions rien compris à ce que nous venions de voir et ces novillos n’étaient au fond qu’un mystère bicolore pourfendeur de mauvaises certitudes.
María Concepción ne devait pas aimer l’histoire à l’école. Ça se sent ces choses-là. Ou alors, malgré les sourires et les mots, elle préfère cacher certains secrets, comme jadis à la campagne. Elle aussi nous a assuré qu’ils étaient Saltillo, des pareils que Miguel Zaballos, ceux d’Argimiro Pérez Tabernero donc. Oui, mais…
Pour tous, le Saltillo est cárdeno voire noir, pas colorado. Il n’y en a plus depuis des lustres et pourtant María Concepción en élève à deux paires de cornes de Las Veguillas. Aux questions insistantes, elle a fini par lâcher le morceau, en tout cas ce qu’elle en sait dit-elle. Les Saltillo viennent d’Argimiro Pérez-Tabernero et l’exotisme des robes de deux sementales achetés par le grand-père au… Conde de la Corte ! Sa mère Juliana Tabernero de Pinto a maintenu ce croisement, sans doute unique, jusqu’à aujourd’hui. Le ciel est propre ce matin et il n’est pas besoin d’un couinement récurrent pour dissimuler ses pensées. En observant les novillos de Charro de Llen, un morceau de chorizo ibérico couché sur ce pain éphémère que fabrique l’Espagne, on n’osait à peine en reparler. Un croisement La Corte-Saltillo ! Putaing, fallait oser ! Ils étaient bien Saltillo mais pas entièrement, ils avaient des allures parladeñas mais pas complètement non plus. ¡Cosas de campo y de toros!

María Concepción attend les photos. Un jour, elles seront souvenir…
« - Ils sont sortis à Aranjuez !
- Alors, alors ? Ça a donné quoi ?
- En recorte… »

Il a dû y avoir un silence… Il dure encore, malheureusement…

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