20 octobre 2013

Petit Nuage


Petit Nuage : voilà qui ferait un joli nom d’indien dans Yakari, la BD gentille de notre enfance. Je n’ai pas tardé à préférer les indiens méchants de la série Mac Coy, dont l’ami Lagorce vient de me parler d’ailleurs. Mac Coy : une série qui fleurait bon les westerns de Peckinpah, les traversées du Río Grande, les poursuites dans les déserts et les canyons, les quêtes et les contrebandes improbables. Avec vingt ans de patine là-dessus et autant d’années de poussière, j’y vois du Maqroll el Gaviero, le personnage d’Álvaro Mutis — cela fait longtemps que je n’ai plus lu Mutis non plus, et il est probable que je tire des parallèles un peu biscornus. 

Je voulais vous lâcher le nom de Mutis depuis sa mort récente (22 septembre 2013), voilà une bonne chose de faite. L’intégrale des tribulations de Maqroll m’attend toujours dans la bibliothèque ; et, quand je la regarde, je crains d’y trouver la folie et le courage de quitter trop de choses, ou plus sûrement la déprime du perpétuel retour aux affaires financières. Je m’égare un peu, mais à peine… Mutis le Colombien a passé une grande partie de sa vie au Mexique, et c’est bien d’un Mexicain dont je tiens à vous parler. 

Nous avions un peu perdu sa trace depuis son alternative arlésienne et quelques courses où il avait paru très puesto. Croisé au hasard de quelques corridas ces dernières années, il ne m’avait pas plu du tout, mais Joselito Adame a remis de l’ordre dans ses critères et son toreo, en juin dernier, à Madrid. 
Il y a deux semaines, pour la course du samedi automnal à Madrid, il affrontait les Lisardo du Puerto de San Lorenzo (plus deux Aldeanueva de La Ventana del Puerto), pour un genre de finale entre trois toreros encore jeunes, pas encore éclos au succès et ayant gagné l’intérêt du coso madrilène au printemps. Juan del Álamo, blessé, n’était pas de la fête. 

À voir Joselito Adame se jouer la peau, les ballerines et tout le reste, il semblait qu’en ce monde injuste Madrid restait une bonne piste pour qui veut se frayer un chemin vers les sommets. « Péguer » une porta gaiola à des toros qui ont la réputation de commencer à passer la tête à la sortie du toril comme on ose un orteil au printemps à la piscine était un signe encourageant. Le reste fut à l’avenant : décidé à faire passer tant que cela ne casserait pas, le petit Adame témoigna, par son engagement, qu’à la différence de son toro pas clair il savait parfaitement ce qu’il faisait sur la plage de Las Ventas ce soir-là. Chargeant la suerte, croisé, « aguantant » jusqu’à une fracture du péroné après une cogida consécutive à une erreur de placement, il donna une série et tua dignement avec une jambe en vrac. On ne le revit plus. 

Peut-être commotionnée par le Cid de la veille, Las Ventas ronronna d’ennui durant le reste de la course, dédaignant les trois toros d’Aguilar (pas si mal à son premier) et méprisant à juste titre Jiménez Fortes. Joséphine adore sa démarche (je parle bien de sa façon de marcher) ; son temple, objectivement, est très enviable, mais le garçon n’a pas le moindre critère ni le commencement d’une idée sur les manières pour plaire dans le coin : jambe contraire systématiquement en retrait quand le toro commençait à s’y mettre, tentative de l’infâme « passe du rétroviseur » (© Jean Le Gall) et tendance à s’éterniser en piste pour ne rien dire. Il est probable qu’il se sentit incompris. 

Dans l’ennui ambiant, quand les arènes sont calmes et qu’invité par mon hôtesse du week-end je paressais en delantera de grada du soleil, je vis passer ce petit nuage. Rien d’exceptionnel : un surnom facile pour un petit indien héroïque et une photo mignonne.