« Que você é diferente de essa gente que finge querer*. » — João Gilberto, Curare.
La résurrection du Cid, hier, à Madrid, consista en une démonstration éclatante que la grandeur de la tauromachie s’affranchit des effets et de l’affectation, et que nul n’est besoin de cinquante passes pour amener Madrid à se fendre en deux et à se livrer tout entière à la célébration du toreo éternel.
La chose (la fête ?!) prit son envol lors de la rare competencia de quites à laquelle se livrèrent Manuel Jesús ‘El Cid’ et Iván Fandiño à ce quatrième toro.
Parones de Salteras, gaoneras cintrées façon haute couture du côté d’Orduña, amples véroniques et demie de cartel andalouses sous la clameur.
La faena chavira les tendidos en seules quatre séries à gauche. Le corps à l’abandon le plus total, la distance donnée au toro, le Cid citant de face, la main gauche offrant l’étoffe avec une quiétude et un naturel inédits, donnait l’impression de poser pour une gravure du siècle dix-neuf.
Son toreo al natural, plus vertical qu’à sa grande époque victorine, et ses remates par le bas ou de poitrine constituèrent un sommet de goût, d’élégante simplicité, d’intelligence et de plaisir retrouvé.
La grande porte n’était plus que petit bois et poussière. Toréer ces quatre séries avec l’épée de mort, monter l’acier et trucider la bête auraient à coup sûr rendu vaine la nécessité de retourner voir toréer pendant quelques siècles.
La droite était dispensable ; une seule série suffit à le prouver avant d’aller chercher l’épée sous les acclamations et, déjà, quelques galurins finissant leur vol sur la piste.
Retour au ciel de gauche sur une série. Pinchazo, pinchazo, bajonazo. Madrid ne sortit pas le moindre mouchoir, mais, d’une clameur unanime et superlative, ordonna une vuelta pour témoigner sa gratitude à cet immense torero.
La plaza, magnifique de bonheur et de dignité, tenait ferme son rang à l’Everest du monde taurin. La soirée ne fut que joie. Nous y reviendrons.
Frédéric Bartholin
* Car tu es différente de ces gens qui font semblant de toréer.
Photographie Rabia. El Cid y la espada. — Juan Pelegrín