21 juillet 2009

24 heures à Pampelune (II)


Suite de 24 heures à Pampelune (I).

À Isabelle, Patricia, Laurent & El Batacazo.

Mercredi 8 & jeudi 9 juillet

Mon Clair de lune à Pampelune1
C’est ‘Amador’ avec lequel je vais trinquer plus d’une fois en secret au cours de cette soirée. Rentré chez moi, je me suis dit que j’avais quelque part bien fait de ne pas assister à la course de Dolores Aguirre, car si j’avais dû lever mon verre à tous les encastés... Ben, j’aurais pas pu. La soirée débute par un constat désagréable : en l’absence de passes, nous n’irons pas voir l’encierrillo des ventorrillos. Rhââ ! Pour ôter ce mauvais goût de la bouche, nous décidons d’aller nous faire plumer à l’Iruña. Première tournée et vingt et une plumes envolées... Cela dit, et pour être tout à fait honnête, les fauteuils en plastique de ce grand café sont plutôt accueillants, et ce n’est pas cette mère donnant le biberon à son bébé de deux mois (!) qui viendra nous soutenir le contraire. La tertulia de l’Iruña terminée, nous rallions le bastion des peñas via San Nicolás où nous trouvons à boire. Merci et au revoir. Après l’or et l’argent, le bronze. Récolté fort logiquement au 54 de la Calle Jarauta chez « Los de Bronce » : entre deux allers et retours aux WC — prendre à gauche en sortant —, des « métallos » au cœur gros comme ça vous remplissent des verres pour 8 « zeuros » ; des jeunes filles du cru s’amusent drôlement à se rouler par terre — une fausse bagarre dans la joie et la bière ; des copines, peu ou prou les mêmes, se mettent hors d’elles suite à la scandaleuse interruption de Billie Jean — on a frôlé l’émeute ! ; des « copines », les nôtres, dansent comme à la belle époque sur Europe (...) et Desireless (...) pendant que lui, grand prince, marchande à peine une magnifique, rouge et clignotante paire de cornes — il en rêvait tant ! Dans la bonne humeur, les vendeurs ambulants quadrillent la ville — noire de monde, Jarauta charrie tout un Monde. Les cornes s’invitent dans l’Iruña Rugby Club et... ¡Joder! On a perdu les cornes !!! Sous les yeux de Mister Testis, dans Chapitela et dans le dos, je pousse le despitonado. Estafeta fait sa fête et moi je dois avoir une tête à porter un Stetson rose à fanfreluches et des lunettes « de mouche » à pailettes. Eh, vous savez quoi ? On a retrouvé le 807.

En route pour Santo Domingo
Trois heures plus tôt, j’ai eu la force, outre de ne pas m’enquiller le verre de trop, d’enlever mes pompes... mais pas le bob ce qui, allez savoir, m’a peut-être empêché d’avoir le casque. Aux alentours de six heures, le portable sonne plusieurs fois : ceux de derrière finissent par émerger quand ceux de devant ne se souviennent même pas l’avoir entendu... Un Cacolac®, trois bâillements, une brioche et deux épaisseurs, direction le parvis du Museo de Navarra dans Santo Domingo. Il va faire beau, il ne fait pas froid. Calle Leyre, dans le hall du siège de la Cruz Roja, le personnel s’enquiert de son lieu d’affectation du jour. Les planches du vallado sont montées et les employés municipaux chargés du nettoyage ont du pain sur la leur. Il est sept heures moins le quart. Vu l’affluence dans Mercaderes, patente devient la sensation d’arriver trop tard. Gagné ! La main courante a été prise d’assaut. De là, naît puis germe un grand moment de solitude. Nous en profitons pour finir de nous réveiller. On pourrait rester poster debouts contre le mur afin de suivre l’encierro du haut de Santo Domingo jusqu’à la place de l’Ayuntamiento, mais nous craignons de simplement le voir alors que nous souhaiterions l’approcher, « être à son contact » ― si cela veut dire ici quelque chose ―, le sentir... Au 56 de la Calle Descalzos, un porche permet l’accès au Paseo de Ronda. La vue sur l’Arga, les Corrales del Gas, la Rochapea et la campagne environnante est saisissante ; à l’extrémité du Paseo, celle sur les Corralillos de Santo Domingo vaut assurément le coup d’œil. En compagnie des mansos, los d’El Ventorrillo attendent sagement l’heure de l’ouverture des portes fixée dans un peu plus d’une heure, à huit heures pétantes. Ça s’agite de toute part mais sans précipitation : tout semble parfaitement organisé et tout l’est effectivement. Les cameramen règlent, les pastores conversent, les spectateurs patientent, les policiers municipaux affluent et les bénévoles de la Protection Civile nous informent gentiment que nous ne pourrons rester là — ce dont nous ne doutions pas. Des coureurs « potentiels » sont présents sur le parcours. Potentiels car, l’heure fatidique approchant inéluctablement, un certain nombre d’entre eux vont, dans les minutes qui suivent et pour des raisons qui n’appartiennent qu’à eux, se raviser, décider en leur âme et conscience de ne pas courir. Il ne nous reste plus qu’à espérer pour eux, vraiment, que demain, après-demain, un autre jour, ça ira mieux. Nous quittons les lieux ― las murallas ―, traversons le parcours et contournons une administration2 pour atteindre la placette du marché couvert de Santo Domingo, derrière l’Ayuntamiento. C’est ici que nous prenons le parti de voir passer l’encierro. Notre emplacement, certainement pas idéal, d’autant plus que la palissade extérieure est occupée, a au moins le mérite d’exister ! À genoux sur une marche, nous serons certes à hauteur de chaussettes mais très proche de l’action, avec un champ de vision relativement dégagé. Derrière nous, l’échauffement de quelques coureurs3, physiques et que l’on devine expérimentés, constitué de petits sauts pieds joints dans un escalier, de courses aussi vives que brèves et d’étirements, fait grimper la tension d’un cran.

L’encierro
À un quart d’heure du cohete4, l’excitation, bien que contenue, devient franchement palpable. Il y a désormais des gens derrière nous. Au-dessus, les balcons se remplissent. Devant, dans l’espace compris entre les deux palissades, et ce au moins depuis notre arrivée, les volontaires de la Cruz Roja et de la DYA5 se préparent en vérifiant soigneusement le contenu de leurs valises de secourisme. Les policiers municipaux surveillent à ce que personne, en dehors des secouristes et d’eux-mêmes, n’occupe l’intérieur du vallado. Une fois la manade libérée, tout coureur en difficulté devra pouvoir s’y réfugier ― une quarantaine de centimètres sépare le sol de la première planche, permettant à un homme de s’y glisser. Un jeune visiblement éméché joue avec les nerfs des policiers. Ces derniers lui ont à plusieurs reprises demandé de quitter le parcours. Sans succès. Ils insistent. Lui aussi. Le départ est imminent6 et les forces de l’ordre le saisissent sans ménagement par le bras, lui faisant franchir les palissades, au besoin avec les pieds ! Il peut toujours protester et chercher en vain le soutien des copains, ceux-ci ont bien compris qu’ils venaient (peut-être) de lui sauver la vie... Genou à terre, un coureur roule avec calme et application son Diario de Navarra ― une belle image pour un bel instant. Certains sautillent, d’autres ajustent leur ceinture, lacent leurs chaussures. On inspire plus profondément et on souffle plus fortement ― la concentration le disputant à l’excitation, désormais extériorisée. Nous surprenons quelques abrazos et tapes dans le dos. Se donner du courage. Parler de chance. Les poils des bras se dressent. Tchiiiiiiiii ! Poum !!! Les toros sont partis. Silence. Et puis des cris, des coureurs qui détalent, encore des cris, des chocs contre la barrière. Un tremblement de terre. Des bousculades, les cloches des cabestros, des hurlements. Le chaos. Des chutes et des plongeons, toujours des cris. Énormément de bruit. Des pattes, des sabots et une corne, aussi. Plaza Consistorial, les cornus négocient maintenant la descente dans Mercaderes. Silence. Tout s’est déroulé à une allure folle. Intense, l’émotion brouille tout et je reste sans réactions pendant quelques secondes. La commotion. Souffrant le martyre, un jeune homme au sol se tord de douleur. Il est rapidement pris en charge par des secouristes précautionneux qui paraissent craindre une blessure aux cervicales. Les policiers s’empressent de délimiter un cordon. Nous franchissons comme des zombies le vallado au moment où retentit la détonation signalant l’arrivée de tous les toros dans le corral de la plaza. Encierro rapide et probablement limpio. Sur le parcours, ça bouchonne. Place de l’Ayuntamiento, un coureur a l’air d’être sérieusement blessé. Je ne le vois pas mais la civière est conduite dans l’ambulance, sous les applaudissements. Dans Mercaderes, un autre grimace entouré d’infirmiers le pantalon lacéré. Taché de sang. Cosas de encierro... Déjà les carpinteros emportent les planches du vallado. La Curva. « Patricia, t’as vu l’épaisseur du bois ? » Dans Estafeta, la propreté et l’étroitesse de la chaussée sautent aux yeux tandis que sous un beau ciel bleu nous parviennent les premières clameurs de l’arène. « Et quand on pense qu’ils sont passés par là... »

Las vaquillas
Les tendidos affichant certainement complet, nous grimpons directement aux andanadas. C’est un fait, les tendidos sont combles et le ruedo surpeuplé. Dans ce contexte, la vache se décompose très vite. Encore une ou deux ruades, deux ou trois coups de frontal, trois ou quatre volteretas et les cabestros guidés par les pastores la ramènent au bercail. Suivante ! Des amateurs de porta gayola s’attroupent devant la porte du toril et voici la rebelle qui fonce telle une boule dans un jeu de quilles. ¡Ooollééé! La plaza est aux anges. Les tampons sont rudes, les chutes lourdes, les mauvais gestes légions et les « punitions » fréquentes. Les recortes rares. Mais qu’est-ce qu’on s’marre ! Cabestros et pastores en polo vert débarquent. Ces derniers sont gênés dans leur travail par la foule surexcitée et l’un deux, excédé, fait usage de sa perche qu’il casse en frappant un jeune habillé de noir. Chose impensable, celui-ci riposte en assénant un coup de pied de karatéka dans le dos du berger !!! Furieuse, l’arène se lève comme un seul homme, la bronca est énorme. Tandis que le berger poursuit sa tâche, l’agresseur harcelé chute et reçoit, sous les « hijo de puta » (sic) de l’arène entière, une ration de coups aussi sévère que digne d’une scène de lynchage. Réellement impressionnant. Le jeune, « invité » à quitter le ruedo contre son gré, entend des « fuera » retentissants dégringoler des andanadas. Le malaise finit heureusement par s’estomper. Tout le monde est fatigué...

L’apartado
En partance pour la taquilla de l’apartado, nous — tous les 4 ! — sommes ravis de constater qu’El Batacazo a (presque) tout retrouvé : esprit, fraîcheur, sambista, moral mais pas la « carte à tirette ». Dans la longue file d’attente, des Américaines et des Américains en claquettes, bermuda, guide Lonely Planet® sous le bras et casquettes de « baisebowl » se font expliquer la corrida par un Pamplonais bien luné. Le billet coûte 8 € !? Tenez, voilà 8 euros. Offerte par la mairie aux petits d’Iruña, une capea avec du bétail faiblissime de Macua est censée donner envie... Nous préférons partir à la rencontre des Géants et des Grosses Têtes (Gigantes y Cabezudos) qui assurent avec mille fois plus de bonheur le spectacle dans Telefónica ! Comme des gamins, nous les regardons danser et sourions à les voir entourer la statue d’Ernest Hemingway pour une pause bien méritée. 11h30 : l’heure de rejoindre la porte d’entrée des corrales. La bêtise n’est pas de mise à San Fermín. Un exemple : sur le chemin, un festayre encore tout excité se laisse aller à frapper la croûpe d’un cheval. Unanime, la réprobation prend la forme d’une dizaine de paires d’yeux qui le fusille du regard. Son incroyable chignon porté tel un étendard, la Marquise de Seoane (la mère du ganadero Tomás Prieto de la Cal) fait son entrée dans le cortijo andalou gardé par un « béret vert » (!)... de la Casa de Misericordia. Midi : nous pénétrons à notre tour dans l’enceinte pour une nouvelle attente d’une heure. Il y a bientôt foule et gran ambiente. Excellemment placés, nous sommes en face du mayoral, à côté d’un Bordelais et d’une illuminée ! 6 ventorrillos surarmés et aux pelages variés défilent un par un dans le dédale de corrals avant d’atterrir dans la fosse. Comme à Bilbao, un micro au son nasillard mais au charme fou nous décline leur identité. De retour au « parking des Français », quelque chose nous dit de ne pas trop traîner. Après l’achat de nos derniers et affreux sandwichs, les comptes sont vite faits : 30 € et pas un de plus pour régler la « chambre » (1€20/heure). « Hola, 29 € 25. » ¡¡¡Gora San Fermín!!!

Ya falta menos...

1 Titre d’une musique de Pascal Comelade tirée de El Cabaret Galàctic, CD audio, Les Disques du Soleil et de l’Acier/Delabel, 1995.
2 Le Departamento de Educación y Cultura du Gobierno de Navarra.
3 Nombreux sont les coureurs en provenance de la région de Madrid et du Levant, notamment. Malgré tout, dans Santo Domingo, et contrairement à des tronçons tels que le bas d’Estafeta et Telefónica, les mozos sont principalement vêtus de blanc et de rouge.
4 Le lancement de la fusée ou la fusée elle-même.
5 DYA (Detente y ayuda) : association de secouristes volontaires typiquement navarraise.
6 Je ne me rappelle pas avoir entendu le chant des coureurs à San Fermín !

>>> Bis. Parce que des photos vaudront toujours mieux que... Retrouvez la galerie PAMPELUNE à la rubrique RUEDOS du site.

En plus
J’en profite pour rajouter une adresse à la sélection de liens sanfermineros du 29 juin dernier — sanfermines'09 & signaler l’actualisation d’une autre : Encierro San Fermín 2009.

Images © Laurent Larrieu/Campos y Ruedos — à l’exception de la dernière « piquée » je ne sais où...