06 juillet 2009

Mon vieux


Dix années déjà... dix années de tous les combats, fidèles et robustes. Et ouais... on en a fait quelques-unes ensembles, hein ? Des bonnes et des très bonnes, et toi, t'as été solide et gaillard, toujours... et moi, moi, je me sentais bien et beau avec toi. Blanc qui pète, mal aux yeux, la classe aux premières heures, sale comme un peigne aux dernières... on rayonnait ! Tu sais, entre amis, faut pas trop tarder pour s'avouer les trucs... les trucs de copains, les trucs d'amitié, de coin de rade, les trucs qu'on se dit après le jaune de trop parce que celui d'avant ne t'a pas assez allumé pour que tu te livres aux sentiments, bras dessus, bras dessous, les yeux dans les yeux, le nez dans l'haleine... bref, entre nous, c'est à la vie à la mort, de tous les comptoirs, de toutes les rues, de tous les tendidos... et toujours en-dessous de la ceinture !
Enfin, bon, voilà, tu te doutes que si je te parle comme ça, amigo, c'est que j'ai plus qu'une déclaration à te faire, un aveu en fait : ça me gêne de te le dire, mais regarde-toi, tu tiens plus debout, t'es plus blanc, t'es presque gris, tes coutures, c'est des échelles de corde, ça peut péter à tout moment et moi, je veux pas partir là-bas cette année avec un futal dégueulasse, alors que les vieilles « dueñas » nous ont toujours trouvé beaux, chaque 7 juillet au matin, en attendant la jota à San Fermín ! Alors non, mon vieux, on repartira pas ensemble cette année... et non !
On a fait notre temps, toi et moi. C'est ainsi... Je rentrais dix fois dans toi, t'étais plus à ma taille, même la ceinture ne savait plus comment te retenir et se désespérait d'autant de trous rajoutés année après année. T'es devenu moche comme un ministre de l'immigration et rêche comme un ministre de l'immigration. De toutes façons, je t'ai remplacé. Plus neuf, plus cintré, plus à ma taille et sans le pli, je préférais. Quoi qu'il en soit, fini le XL, je mets du L, maintenant.Voilà.

Tu sais, maman appréhendait beaucoup de te voir revenir de chacune des tes escapades. Elle savait combien tu te mettais comme un monstre, et savait le nombre d'heures qu'elle allait passer à te gratter le dos pour que tu ressembles enfin à quelque chose... elle t'aimait bien, mais elle finissait par trembler quand elle te voyait arriver. Et puis, dernièrement, le coeur dessiné sur la poche arrière qui partait pas, là, ça l'a achevé. Ne lui en veux pas, elle commence à vieillir aussi....
Du coup, papa veut bien s'occuper de toi. Tu vas adorer papa. Il t'emmènera prendre l'air, de temps en temps, sur sa belle tondeuse. Deux fois par semaine en été ! Pas pour rire ! Tu verras, vous allez bien vous entendre tous les deux. Il est cool, papa. L'important, c'est que tu restes pas comme un con dans ton placard "naphtalinisé". Et puis , je sais que je te verrai, de temps en temps, suspendu dans le cabanon, sans doute à coté du ciré, et pas très loin du taille-haie... Allez va, je sais la peine que ça te fait, mais si ça te chante, je te raconterai mes prochaines campagnes de Navarre, les retrouvailles avec Plech, le plus grand chasseur de palombes de la vallée d'Oloron qui a fini par débusquer une caille, Paski qui va peut-être enfin se calmer vu qu'il est papa maintenant, le vieux Lafitte, qui va encore pleurer en arrivant, et en partant, puis Maya, qui nous ramènera sans doute encore un improbable énième collègue marmiton qui doit passer ses 35heures à éplucher des patates et qui ira se coucher après un traitement de percheron au Martini Kas, et qu'on reverra jamais, plus jamais ; Iñaki, le petit cheval au milieu de ses cabezudos, et tous les autres, bien sûr, qu'on n'attendait pas, ou qu'on ne connait pas encore... Le bonheur du premier katxi entre frères de bringue sous le soleil rouge et blanc, scratchés au comptoir comme des gamins devant la vitrine du Père Noël, en attendant l'orgasme "txupinazesque", pour nouer enfin le pañuelo, Graal de chez Graal, à la terrasse du Txoco ! L'incontournable "Pamplonica" qui fait trembler les arènes dégueulantes de fous, alors que le soleil commence à peine à griller les mongolfières qui lui frôlent le cul. Cette petite jota qui te tourne dans le teston toute la nuit et qui dit vaguement ceci : « No te vayas de Navarra » (même pas en rêve, coño !!!...), la lumière si particulière dans Estafeta au petit matin quand les vapeurs « riojisées » s'échappent en volute des pavés qui commencent à sécher, puis l'attente devant la mairie, le grondement des tambours de guerre au fond du bide quand tu attends le "cohete" à l'angle de Mercaderes, l'enfer venu de Santo Domingo que les cloches pendues au coup des cabestros annoncent chaque matin sur le coup de 8 heures, les gros déguelasses « US » qui ronquent dans la fosse commune "Plaza del Castillo", ces fumiers de revendeurs qui te prennent pour un néo-Z à te vendre des andanadas sol à 3000 pour des Salvador Domecq (c'est dire s'ils nous prennent pour des faisans !...), les regards noirs et profonds des filles d'ici, et puis les aguirres, les miuras ou les gagos, les gradas sol-infierno, la "Chica Yeye" qui n'en finira jamais de baiser avec le "Rey" dans ce bordel divin, les « toupins » de rognons en sauce et les Katxis de rouge dégueu qui fusent dans le ciel comme les charters « made by Besson » remplis d'indésirables fusent dans le ciel « gris-Paris » de Roissy (c'est dire si ça fuse !... ), la sortie triomphale « con el TXUNTXUN de las peñas » où on se hache les pieds, le dos et tout ce qu'il est possible de se hacher, mais fous et heureux comme des drôles chez Mickey... Je te raconterai les galoches aux Australiennes rouge crado, et puis "l'Oberena", la "Unica" de mon Pouy único que j'aimais tant, ou les potxas de la "Jarana" où on se finissait pour une ultime bonne suée, avant de traverser une dernière fois, la "Jarauta" pour être sûr de ne rien rater, pour être sûr de s'en mettre un dernier et pour être bien bien sûr enfin qu'on est arrivé au bout de tout ce qu'on pouvait donner, ici, en Pamplona, IRUNA, le PONT G de tout un Monde !
Non, nous n'irons plus ensemble... mais je te raconterai encore la Navarre en rouge et blanc, la grande cité que tu aimais tant, celle des dolores, des miuras et des gagos, celle de notre amitié, celle des frangins de bringue, celle de quand on chantait Sabina et ses « 19 días y 500 noches », celle de tous nos excès, de tous nos bonheurs, de tous LES bonheurs. Mon vieux, je te raconterai encore la fiesta sin igual, définitivement sin igual. Merci pour tout, amigo, ne sois pas triste… moi, j'entends les gaitas... m'en veux pas, faut que j'y reparte... mais sans toi, cette fois, vu que je mets du L, maintenant.