03 juillet 2009

Le toro va tuer la corrida (II)


Il fait vraiment chaud dans notre Sud. Difficile de dormir. Alors, au petit matin et devant mon cortado, je vous ai traduit le texte d’Antonio Lorca. Ce n’est sans doute pas de la qualité de la traduction de Courrier International mais c’est assez fidèle je pense. Et puis vous comparerez ! Comme Yannick, une photo qui n’a rien à voir… juste pour le plaisir des yeux.

Le scandale de la décadence poursuit depuis quelques temps le toro. Sévillle, en avril, en mai, San Isidro, ont été les témoins une année encore du triste spectacle offert par un animal qui un jour a été puissant et sauvage, et qui a été réduit a une espèce inconnue qui en conserve uniquement l'aspect, mais qui s’avère être invalide, impotente, épuisée, et, parfois, douce comme le sucre, et à laquelle il ont pressé jusqu’à la dernière goutte de force, de caste et de sang brave.
C’est cela le protagoniste du toreo moderne, celui que sont parvenu à imposer les figuras et qui, à ce jour, s’avère être le principal ennemi de la fiesta.
A ce jour, la majorité des aficionados ont déserté les plazas, qui sont occupées – uniquement pour les férias importantes – par un public d’alluvion, ignorant et festif.
Malgré ce, et de manière tout à fait incompréhensible, aucun des secteurs impliqués ne semble disposer à chercher des solutions au problème.
Quelle en est la clef ? Premièrement, l’évolution de la fiesta, ensuite, la sélection.

Les toros depuis le XIXème siècle et le début du XXème étaient des animaux grands, destartalados, âpre, rudes, brutaux, et les toreros les combattaient, c'est-à-dire qu’ils luttaient contre eux, ils bataillaient et esquivaient leurs derrotes jusqu’à l’estocade finale.
Mais est apparu Juan Belmonte, et, avec lui, le combat s’est converti en art, ce qui a impliqué un changement radical dans le comportement du toro.
On est ainsi arrivé à la sélection, faite par les éleveurs, authentiques scientifiques autodidactes de la bravoure, qui sans être vétérinaires, ni généticiens ni médecins, et sans modèle à suivre, ont obtenu que le toro d’aujourd’hui, soit un étranger pour sa propre espèce.
On cherche un toro qui humilie dans les capes, qui s’emploie aux piques, qui poursuive aux banderilles, et qui ait le recorrido et la noblesse pour une longue faena de muleta.
Ah ! et qu’il ait de la présence, qu’il soit beau, harmonieux, noble, doux, bon… en un mot, un inexistant merle blanc, un hybride, moitié artiste moitié sauvage, pour une nouvelle conception de la lidia.
Cela, c’est la théorie, mais l’évolution l’a fait dégénérer en un animal sans forces, decasté, et, parfois, noble et doux jusqu’à l’ennui, qui inspire plus de pitié que de respect.

Ajoutez à cela la disparition quasi-totale de l’aficionado savant et exigeant, et les exigences honteuses des vedettes et le résultat final est une espèce bizarre engagée dans un constant processus de mutation génétique qui n’a plus aucun lien avec le toro d’avant, et qui se présente comme un animal nouveau – idiot et invalide – pour un spectacle reconverti en acte social dans lequel l’ignorance du public autorise la fraude et la manipulation.

Avant on combattait, aujourd’hui on torée. Avant, les aficionados décidaient, aujourd’hui ce sont les taurins. Et ceux-ci imposent leurs critères, en premier lieu aux éleveurs, qui ne sont plus maîtres chez eux.
Le toro d’aujourd’hui est celui qui a été imposé par les figuras, conscientes du fait que cet animal moribond diminue le risque et permet des triomphes faciles devant des publics festifs, généralement plus préoccupés par l’alcool et les cigares que par la pureté de la fiesta.

Mais il y a plus. Pourquoi les éleveurs ne défendent pas leurs toros ? Parce que la majorité des 1100 éleveurs existants dans notre pays, regroupés dans quatre associations différentes, avec peu de liens entre elles, sont plus préoccupés par la protection de leur position sociale que par celle du respect de leur encaste.
Et parce que, beaucoup d’entre eux, ne sont même pas aficionados et ne prétendent pas tirer un quelconque bénéfice financier de cette activité, sinon la rente du plaisir. Il leur importe peu de perdre de l’argent ou de se soumettre à des critères étrangers pour voir telle figure annoncée avec eux sur les affiches et alimenter ainsi leur vanité.
Le toro ne semble pas préoccuper non plus l’administration publique. A de rares exceptions, le politique souffre d’un sérieux complexe face aux autres pays européens et les groupes opposés à la fiesta. Il n’appuie pas la fiesta, même s’il l’autorise pour des raisons économiques et parce qu’elle fait partie des racines de nombreuses fêtes populaires.
Joselito 'El Gallo' était un combattant qui impressionnait les foules avec un animal moins volumineux que l’actuel, mais sauvage et combatif. Le toreo d’aujourd’hui est – à de rares exceptions près qui ne justifient pas son existence – ennuyeux et insupportable à cause d’un toro auquel ils ont modifié son comportement à tel point qu’il s’avère incompatible avec l’émotion nécessaire.
Ce toro moderne est la pierre du scandale, et, si rien n’est fait, il mettra un point final à la fiesta.
Antonio Lorca / El País