17 juillet 2009

24 heures à Pampelune (I)


À Isabelle, Patricia & Laurent.

Mercredi 8 juillet

Corrales del Gas
Avenida de Guipúzcoa, nous longeons l’Arga sans savoir s’il nous faut tourner à droite ou à gauche... Contraints de grimper jusqu'à La Taconera, nous y sommes accueillis par une ribambelle de poussettes et d’enfants de tous âges aux couleurs de la fête. Ce 8 juillet à Pampelune, c’est Día de los Peques. Le jour des enfants. Réjouissant. L’Arga traversé, nous ne tardons pas à apercevoir les Corrales del Gas. Sur le parking où, ô miracle !, nous trouvons à nous garer, nous ajustons foulards et fajas — avoir ou non le sentiment d’enfiler un quelconque uniforme ne nous effleure pas l’esprit une seconde. Quoi qu’il en soit, à Pampelune la prise de tête est proscrite ! Première surprise : pas de file d’attente. Deuxième surprise, découlant de la première : pas de cohue. L’entrée coûte 3 € ? Tenez, voilà 3 euros. On peut profiter des Sanfermines sans croiser un toro. Mais à se délecter de la beauté des lots, on se dit que ce serait tout de même un peu gros... Au « popularimètre », les miuras sortent vainqueurs sans discussion. Quand les ventorrillos impressionnent par leurs armures et les aguirres par leur présentation, los de "Zahariche" en imposent par leur seul nom. Pas de doute, Miura fait bel et bien partie du patrimoine culturel national. Pendant ce temps, les filles déjà se dissipent. Ça promet...

13 heures
Partis en oubliant à peu près tout, une escale au Simply Market® de Burlada s’impose : vin, tire-bouchon, sopalin, saucisson, pain, chorizo et même un couteau. Les emplettes terminées, l’ascension vers Pampelune commence. Au sommet, le parking à l’angle de Leyre et Media Luna a le bon goût de ne pas afficher complet. Et comme la calandre du 807 plaît au placier, celui-ci nous case opportunément sous le toit, tout au bout à droite sous le panneau de basket près de la poubelle. Nos sacs de victuailles sur les bras, nous filons poser nos fesses encore propres (sic) dans l’herbe du parc voisin. Pendant un instant, et alors même que San Fermín nous enveloppe doucement, nous nous demandons si pique-niquer là est permis1. Il aura suffit qu’une étrange naïade soucieuse de parfaire son bronzage s’allonge en bikini pour ôter tous nos doutes...

Les billets
Désirer assister à une course à Pamplona est une chose, réussir à dégoter des places en est une autre ! Biiip... Au téléphone, Solysombra en personne qui nous informe qu’un « revendeur » de luxe s’impatiente de se débarrasser de quatre billets. Les nôtres ! Nous accourons à l’entrée du callejón où, tout sourire, nous nous délestons illico presto de... 280 euros ! ¡¡¡Viva San Fermín!!! Et estimons-nous heureux — nous l’étions, soyez-en assurés — de payer le prix de la taquilla... En plus de faire un « revendeur » assez spécial, il parle un français parfait et se révèle d’une gentillesse exquise. Son fils l’accompagne. Le garçonnet gambade autour de nous entre Callejón et Telefónica, grimpant sur les planches du vallado2, dévalant la pente jusqu’à la porte des arènes poursuivi par un toro imaginaire... Après coup, beau et étrange à la fois, émouvant assurément, de revoir cet enfant jouer à l’endroit précis où, deux et quatre jours plus tard, ‘Capuchino’ de Jandilla et ‘Ermitaño’ de Miura sèmeront la terreur sur leur passage. Le premier tuant même d’un coup de corne dans le cou3...

La balade (des gens heureux)
Avant le rendez-vous de la course, rien de tel pour prendre le pouls de San Fermín que de flâner dans le vieux Pampelune. Si la fête proprement dite prend ses quartiers dès la nuit tombée, elle se mitonne tel un ragoût toute la journée... Un poil excentré, Calle Aralar derrière La Meca, le Club Taurin de Pamplona sera la porte d’entrée de notre balade. À défaut de mettre la main sur le « fantôme » du CTP, nous surprenons Jérôme de CYR. El Batacazo quoi ! Visiblement pas au mieux de sa forme et c’est rien de le dire. Ennuyé par la perte de ses papiers et de sa « carte à tirette ». Plus inquiet d’avoir chopé une andanada sombra que de ne pas voir revenir sa chère et tendre sambista. Tout excusé en tout cas de l’entendre me poser deux fois les mêmes questions... Un abrazo amigo et direction le Casco Antiguo via la Plaza del Castillo. El centro del mundo quoi ! Sur et autour, des centaines et des centaines de satellites humains — dans quelques heures leur nombre aura été multiplié par 100 — qui mangent, dansent, boivent, chantent, se reposent et plaisantent. Surtout à l’intérieur, parfois dans la rue. San Nicolás, Jarauta, Mayor, et cetera. La chaleur nous oblige à raser les façades et à épier celles d’en face car, à Pampelune plus qu’ailleurs, a fortiori durant San Fermín, les murs ont la parole. On devine aisément la gravité des messages politiques en euskara, on sourit devant celui-ci, bilingue, affirmant que le local, fermé par arrêté municipal, est atteint de la grippe « Barcine » !4 Imparable. Parvis du Museo de Navarra. Demain matin, c’est certain, nous y serons tôt pour voir partir l’encierro. Mais demain, c’est loin, très loin. Plaza Consistorial, à l’ombre d’une taberna, un couple de trentenaires accompagne la musique de ses pas folkloriques. Elle avec élégance, lui avec virtuosité. Les deux avec joie. Une chance d’être passés par là... La Perla en face de moi, La Meca dans le dos et une aile du Palacio de Navarra pour fond de scène, un vieux Navarro au teint pâle — un chef indien — implore devinez quel saint au son des guitares un verre à la main... Pendant ce temps, les peñas convergent vers la plaza...

Le bruit et la fureur5
Quatre billets pour quatre places côté sombra aux quatre coins des tendidos 2 et 3. Lors de l’encierro matinal, un cebada gago s’est arraché une corne... 18h15. Le sorteo récupéré, l’interrogation est levée : ce sont bien 6 toros du fer andalou que nous verrons défiler sur le sable pamplonico. 6 toros astifinísimos qui n’auront réussi ni à sortir l’Ombre de sa torpeur ni à faire cesser l’arène de mastiquer — à partir du quatrième. Quant au Soleil, après l’inénarrable bronca aux alguazils, il se sera gondolé et aura rugi et chanté pendant plus de deux heures avec en point d’orgue les hymnes El Rey et La Chica Yeye. L’antre des peñas, le Soleil donc — la partie du chaudron en ébullition — rend possible toutes les extravagances sans surenchères ni complaisances : une perruque aux boucles dorées reluque les fleurs d’un tablier de boucher ; une barbe à l’accent basque postillonne dans une glacière Campingaz® et un sac poubelle de 100 litres crache sa sangría sur la tête d’un lapin australien vibrant au rythme d’un saxophone en kilt et d’un trombone à piston. Le tout dans un décor incomparable : La Meca de Pamplona. Inoubliable. De l’autre côté, imperturbable, l’Ombre suit la course. La course ?... En dehors du brave premier, du pundonor d'Aguilar et du sixième ‘Amador’...

‘Amador’
Aussi vite englouties que gentiment offertes par mon voisin de tendido, je digère tranquillement ma moitié de pan y tomate et ma trufa de chocolate quand l’impeccable torilero libère ‘Amador’, un toro con trapío à la peau de tigre, cornalón et bizco. 565 kilos de muscles. Un cogneur con poder, un puncheur dur de pattes venu là non seulement pour faire échec et mat aux toreros dans tous les tiers avec fureur, mais également pour en découdre avec genio dans tous les « recoins » du ruedo. Mon voisin, qui serait un peu torero avant d’être aficionado et qui connaît les châteaux de la Loire, n’apprécie guère cet ‘Amador’ qui convoite la victoire par KO. « Muy malo » répète-t-il à l'envi. « Muy toro » je pense tout bas. Après avoir subi le combat avec style et vaillance, Sergio Aguilar se débarrasse de son adversaire de bien vilaine manière sous quelques quolibets, dont les miens. J’applaudis la dépouille du cebada qui s’en va par les mules emportée. ‘Amador’, le toro que j’aime.

1 Dans la capitale navarraise, les policiers appartiennent à pas moins de quatre entités différentes (Municipal, Foral, Nacional & Guardia). Vous rencontrerez surtout des agents de la Policía Municipal (bleu et jaune fluo avec une casquette) et de la Policía Foral (gris et rouge avec un béret rouge).
2 La double palissade en bois délimitant le parcours de l’encierro.
3 Originaire d’Alcalá de Henares (Madrid), Daniel Jimeno Romero avait 27 ans.
4 Jeu de mots réalisé avec le nom de la mairesse Yolanda Barcina : « Este local tiene gripe Barcina. »
5 Titre d’un roman de William Faulkner (Gallimard).

>>> Parce que des photos vaudront toujours mieux que tous ces mots, retrouvez la galerie PAMPELUNE à la rubrique RUEDOS du site.

Images © Laurent Larrieu/Campos y Ruedos