31 juillet 2009

"L'humain a besoin de temps"


Avant ce dimanche 26 juillet à Orthez, jamais je n’avais passé autant de temps à regarder les éleveurs dont on combattait les animaux. Coiffé du chapeau des mayorals, Ángel Nieves García était, en matinée et sous une chaleur brûlante, posté derrière un burladero en face de mon tendido. L’après-midi, en compagnie de femme et enfant, Adolfo Rodríguez Montesinos se trouvait quant à lui un peu plus bas à gauche. À l’ombre.

Quand le premier novillo est sorti du camion, j’ai pensé non sans émotion à Ángel et à sa vie de mineur australien, ainsi qu’à sa maison perpétuellement en chantier depuis le jour où il réalisa son rêve de gosse — avoir des toros — et d’aficionado — des santacolomas. Là-bas, de l’autre côté de ce ruedo trop sec, je semblais prier. La tête dans les nuages et s’affalant au sortir d’un muletazo quelconque, le beau cárdeno aux sabots d’argile montra le chemin du calvaire à ses quatre frères. D’Ángel, je ne voyais plus que le haut du chapeau. Triste et incrédule, je me suis dit : « Que ce doit être dur... ».

Il est maintenant 14 heures, peut-être 14h30. Dans le cercle près de la longue table dressée, Ángel Nieves García est face à moi. Parce qu’il faut bien parler, j’insiste sur la belle présentation d’au moins trois de ses novillos et sur le sérieux propre à leur regard de santacolomas. À l’écoute de mes fadaises, il daigne esquisser un maigre sourire. J’aurais aimé ne pas manquer lui dire que, malgré tout — malgré rien du tout ! —, nous ne l’oublierons pas. Que je sache, Mayalde ne sera pas rayé de la carte...

Quand le premier montesinos est sorti du chiquero, j’ai pensé stupéfait qu’il y avait, ce jour, une malédiction1 en terre béarnaise. Mes yeux faisaient l’essuie-glaces entre, à gauche Adolfo et à droite le bicho2, à gauche Adolfo et à droite le... Ma vue se brouillait. Probablement occupé à compatir ; aussi et surtout parce que je savais de quoi il en retournait, je n’ai pas bronché — mais au fait, qui donc protesta ? Personne. Et après ? Après, on eut droit à une course variée et animée au terme de laquelle ma femme me fit la confidence de ne pas s’y être ennuyée. Et moi avec elle. D’autres avec nous.

Il est maintenant 19h50, peut-être 20 heures. Adolfo Rodríguez Montesinos se réjouit à l’idée de voir le dernier des braves agresser une 3° fois le cheval quand le président, visiblement soucieux de paraître sérieux — en ne systématisant pas la 3° pique3 et en écourtant les 2nds tiers4 —, laisse tomber le mouchoir blanc, alors même que Velasco vient de placer ‘Marqués’ au centre ! C’en est trop, j’explose et conspue le palco. Priver un aficionado lambda de ce moment est une chose, un ganadero une faute.

Orthez n’avait choisi ni des novillos ni des toros. Encore moins la facilité. Pour une « première », Orthez-la-culottée avait fait le pari, drôlement exigeant, forcément risqué — Santa Coloma ou l’antithèse du « produit formaté » —, d’accompagner des hommes dans leur folle aventure. Deux ganaderos qui n’élèvent pas leurs bêtes « en batterie » et ne les affublent pas de fundas ; deux élevages Santa Coloma aux camadas ultracourtes où le passe-temps favori de ceux qui portent des cornes — des vaches aux toros en passant par les erales et les novillos — consiste à se battre et à s’entretuer tout au long de l’année... Deux ganaderos qui n’ont que trop peu l’occasion de voir lidier le fruit de leur labeur. Et pourtant, chacun sait que rien ne vaut pour un éleveur la lidia dans la plaza, étape ô combien essentielle pour juger des choix opérés. Si, une fois dans sa temporada, l’aficionado dit « a los toros » ne se montre pas disposé à accepter les aléas d’une présentation de deux fers santacolomeños dans des arènes de la catégorie de celles du Pesqué, alors c’est à désespérer de tout.

Le rêve d’Ángel Nieves García a pris forme il y a six ans à peine. La tâche qui l’attend désormais est immense et il le sait. ¡Suerte Ángel! Adolfo Rodríguez Montesinos a pris en mains les destinées de son élevage au début des années 80. Presque trente ans ont passé et nombreux sont les signaux — parmi eux celui de la caste — lui indiquant clairement qu’il est sur la bonne voie. Sur le bas-côté, nous serons quelques-uns à l’encourager...

« L’humain a besoin de temps »5 ? Je saurai me montrer patient. ¡VIVA SANTA COLOMA!

1 Notamment après avoir vu l’infortuné J.-M. sortir vilainement amoché du toril... On nous dit qu’il va mieux. C’est une excellente nouvelle.
2 Je me souviens de la controverse pathétique liée à la supposée absence de testicules chez un vaz monteiro à Céret, dont, pure coïncidence, l’image rappelait celle du pauvre montesinos. Les autoproclamés « toristas » présents s’étaient empressés de crier au scandale, sans jamais avoir réalisé la chance qui était la leur de pouvoir assister à pareille course « exceptionnelle »...
3 Faux procès puisqu’il n’en a jamais été question. Encore un petit effort et d’aucuns iront jusqu’à reprocher aux organisateurs d’avoir tenté de « réconforter », le temps d’une journée et avec force sincérité, un 1er tiers moribond. Quant au « On n’est pas en tienta ! » entendu ici et là : une réflexion idiote traduisant bien les ravages d’une certaine propagande...
4 Histoire éventuellement de faciliter ce que la masse était venue chercher : un triomphe ? Ce qui, vous en conviendrez, cadre assez mal avec l’esprit aventurier...
5 Jolie formule empruntée à Pascal Bély sur son remarquable blog Le Tadorne. À part ça et à l'avenir, « l’humain » s’accomoderait tout de même plus volontiers de mesure que de polémique personnelle...

Retrouvez sur le site, rubrique "Ruedos", la galerie consacrée à la course de Montesinos. En attendant celle de la novillada...

Images Deux toros d’Adolfo Rodríguez Montesinos et, au milieu, un novillo de Nieves © Camposyruedos