Barcelone, 5 juillet 2009, 18 heures 30. La porte du patio de cuadrillas s’ouvre, découvrant les premiers subalternes. Quelques secondes s’écoulent avant que n’apparaisse José Tomás. Une démarche de mort-vivant qui n’appartient qu’à lui, Tomás se découvre pour répondre à la tonitruante ovation qui salue son apparition. Il faut dire que cette manière de se présenter a sur les groupies un effet immédiat et spectaculaire. Et pas uniquement sur les groupies. Le regard est quelque peu hagard, la démarche lente, la pression sans doute très forte. On en éprouve presque un sentiment de malaise.
On se dit que ça va être tout ou rien. Ce ne sera ni l’un ni l’autre. La course ne fut pas une réussite totale d’un point de vue strictement taurin, pas plus qu’un événement historique malgré les oreilles. Mais à ce stade de comportement délirant d’une partie du public, les oreilles coupées ne signifient plus grand-chose. Il faut bien satisfaire les groupies.
Ça commence pourtant fort mal, avec une limace de Núñez del Cuvillo. Si les suivants sont du même tonneau, nous courons droit à la catastrophe. Quelques indélicats osent les palmas de tango.
Regard noir des groupies. Les groupies se moquent bien que le cuvillo soit invalide, car il est noble. « Regarde comme il met la tête ! Et eux là-haut, ils font rien qu’à nous gâcher le plaisir avec leurs protestations, pfffffff… Allez… Bieeeeeeeeen !! » Même pas le olé, non, mais un "bieeen", muy amariconado.
Le núñez del cuvillo est pourtant vraiment invalide. Pendant que les groupies font mine de ne pas voir, l’afición fait la moue. Mauvais début.
Ça enchaîne en revanche fort bien avec un toro d’El Pilar, cornicorto mais dangereux, puissant, sauvage et teigneux, qui veut en découdre. Un toro avec de la mansedumbre et de la caste, qui renverse la cavalerie. On le sent vouloir étriper l’équidé, tente de sauter par-dessus le cheval au sol. La deuxième rencontre ne sera pas appuyée, insuffisante. Le toro est cru. Un sashimi de toro, de caste et de problèmes. Panique en piste, le « péonage » est en difficulté.
Les groupies sont désespérées, les aficionados aux anges. Car si les groupies se moquent bien que l’adversaire soit invalide, pourvu qu’il soit noble, elles ne supportent pas que l’adversaire fasse étalage d’une sauvagerie désordonnée et problématique.
Ce fut pourtant l’occasion de voir toréer « Monsieur » José Tomás, impressionnant de tout, d’aguante, de vérité, de mando.
Le toro est loin d’être innocent. Ça débute par des doblones un genou en terre, secs, puissants. Ça enchaîne immédiatement par le toreo fondamental, sans fioriture, sans rien d’ostentatoire. José Tomás se plante, lie les muletazos, « aguante », encaisse et impose. Le toreo, rien que le toreo.
Ce n’était pas mignon mais c’était profond, puissant et authentique, une émotion immense, Tomás dans toute sa vérité. Une faena réellement importante avec un opposant qui exigeait énormément.
En troisième position, un victoriano del río, noble, sans aspérités. Le toro exige moins. Tomás s’expose, lui donne de l’air, muleta devant pour quelques naturelles profondes. Première voltereta. Cette cogida sans conséquence mais violente a peut-être quelque peu déstabilisé Tomás, sinon moralement du moins physiquement, car six toros à la suite ce n’est pas rien, et nous en étions déjà au troisième.
A partir de cet instant les choses ont évolué différemment. La suite fut à mon goût entre deux eaux, jamais ennuyeuse, mais jamais totalement convaincante malgré la distance donnée aux toros, malgré un répertoire riche et varié qui a maintenu un intérêt constant et malgré le fait que Tomás ne se soit jamais économisé, sur aucun toro.
Le point négatif, peut être imposé par les conditions des toros, c’est que j’ai vu Tomás remater ses muletazos plus à l’extérieur que de coutume, plus loin, sans toujours se ramener le toro pour ensuite lier. Et c’est ce ligazón quin à partir de là, plus rare, a fait défaut pour que les choses prennent une autre dimension.
Les solos se soldent souvent pas des échecs ou des instants d’ennui. Ce ne fut pas le cas dimanche, loin de là. Il aura simplement manqué un moment réellement cumbre, réellement triomphal pour marquer cette journée d’une pierre blanche et ne pas laisser ce petit goût d’inachevé. Mais n'en doutez pas, Tomás est grand !
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