« Pourquoi vont-ils voir des corridas ? C’est une question que l’on avait tout simplement oublié de poser. Autant les motivations du cinéphile ou celles du mélomane ne font guère de mystère et ne se trouvent jamais discutées, autant la foule des arènes semble être sans visage, sans raison(s) et même sans cœur à tous ceux qui ne s’y sont jamais mêlés.
Étrange époque où l’on remet en cause un spectacle sans jamais interroger son public, où la vigueur d’interdire dépasse la liberté d’aimer, où la vie d’un canard engraissé serait aussi estimable que celle de son gastronome.
Il était donc temps de connaître les motivations obscures ou rationnelles qui poussent chaque année deux millions de personnes vers des arènes françaises. Car il y a là une véritable société, aussi diverse que celle des amphithéâtres de droit commun. »
Les éditions Atlantica publient un recueil de textes d’aficionados, — vous, moi, tout le monde —, qui répondent à cette question à laquelle il paraît de prime abord simple de répondre : pourquoi allez-vous voir des corridas ? J’avoue ne me l’être jamais posée. J’avoue même, alors qu’elle est là, sous mon nez, ne pas avoir envie d’y répondre. Il y a des choses (habitudes, manies, passions) que je préfère laisser aller comme elles vont, sans me poser de questions, sans chercher à en connaître la cause ou l’origine.
La lecture de ce recueil ne s’en révèle pas moins passionnante et variée, tant sur le fond que sur la forme. Elle nous éclaire non seulement sur le fond du sujet (« les motivations obscures ou rationnelles qui poussent chaque année deux millions de personnes vers des arènes françaises »), mais également sur la façon, tout aussi éclectique, dont nos contemporains appréhendent l’écriture. Quelques plumes célèbres côtoient le péquin lambda, et les surprises, bonnes et mauvaises, ne sont pas toujours où l’on croit. Il y a de petites pépites que je vous laisse apprécier et découvrir par vous-mêmes.
On a parfois aussi, un peu, le sentiment de pénétrer comme par effraction dans la psyché de son voisin de tendido tant le goût pour la chose taurine relève de l’intimité la plus profonde. Alors même que notre passion pour la tauromachie se nourrit des mille discussions, débats, engueulades et à-côtés qui l’entourent, il arrive toujours un moment, que ce soit au cœur de l’ennui le plus profond ou dans les altitudes auxquelles ce « spectacle » nous conduit de temps à autre, il arrive toujours un moment, donc, pendant lequel on se retrouve seul avec (et face à) soi-même. Et que voit-on dans le miroir ? car c’est bien souvent d’un miroir dont il s’agit. Quelques pages du recueil permettent de répondre à cette question. D’autres, sans aller aussi loin dans l’introspection, font ressurgir des souvenirs d’enfance que l’on devine ressortis de l’enfouissement dans lequel ils dormaient depuis des lustres ; d’autres encore évoquent une figure disparue ou tutélaire ; d’autres enfin communiquent la joie simple d’« aller aux toros », comme accomplissant un rituel familial, amical ou solitaire.
Pourquoi ils vont voir des corridas nous donne un aperçu des motifs qui sous-tendent la passion que nous partageons (c’est aussi une occasion supplémentaire de se rendre compte que ladite passion n’est pas vécue ni même conçue de la même manière chez tout le monde). Le livre permettra aussi aux hypothétiques curieux de se forger une opinion un tantinet plus objective sur ces personnes qui peuplent les arènes. Ce n’est pas la moindre de ses vertus.