08 juin 2010

C'est juste que ça fait peur


Extremadura, Cáceres, Santa Cruz de la Sierra. Élevage El Torréon.

<span class=Le maestro César Rincón, iPhone à la ceinture, va et vient sur les embarcadères de son élevage, entre Felipe Lafita et un représentant de Taurodelta.
Pendant ce temps, face à nous, les vaqueros parcourent le campo à cheval pour nous amener les plus beaux exemplaires de l'élevage. Ils seront embarqués sous nos yeux, direction Madrid, Las Ventas.

— Il y a une corrida du Torréon pour la féria ?
— Non, non, nous les embarquons comme sobreros, mais ils sortiront.

Le veedor est sûr de lui. Les toros de César Rincón sortiront. Il ne sait pas quand, mais ils sortiront. Celui-là est bien fait, mais n'a pas assez de tête. Il ne passera pas. Et celui-là… César s'agace, pianote nerveusement sur les touches de son iPhone. L'UCTL s'est emmêlée les pinceaux dans les papiers. Il ira lui-même au siège s'y expliquer et leur passer un savon. Il n'est pas content César, pas content du tout.

Et puis le silence se fait, les toros sont sous nos yeux, dans les cours. Plus personne ne bouge, les portes s'ouvrent, se referment en claquant. Les choses se font rapidement et sans complications. Il y a juste que le colorado a de trop grandes cornes. Il a du mal à entrer dans la caisse où il devra rester la tête inclinée. Mais Madrid n'est pas très loin.

L'embarquement s'est déroulé comme dans un souffle, sans anicroche. Ce sont les discussions d'avant qui furent en fait les plus animées.

César Rincón, le maestro Rincón est comme un gamin face à Felipe Lafita.
— Vous voyez là, Monsieur, j'ai modifié le couloir d'embarquement. Désormais ils passent par là… Je trouve ça plus pratique. Vous en dites quoi ? Et regardez Monsieur, j'ai aussi modifié ça…

César semble heureux, content de sa vie d'aujourd'hui.

— Cette après-midi, si le vent se calme, nous allons tienter quelques vaches. Restez donc si vous souhaitez. Vous êtes ici chez vous.

Tu parles qu'on reste !

— J'ai invité Luis Bolívar avant Madrid. D'habitude je fais aussi venir des gamins. Ça, c'est en souvenir des journées que je passais, quand je n'étais rien, à la Casa de Campo à m'entraîner. Des journées entières à toréer de salon sous le soleil, la chaleur, sans même l'espoir de voir la pointe d'une corne dans une tienta. Tu t'entraînes, encore et toujours, sans l'espoir de rien. Alors aujourd'hui je veux que tous ces gamins passent au moins une fois chez moi ; qu'ils puissent dire qu'ils ont toréé une fois au moins chez César Rincón.
— Dites-moi une chose maestro. Cette façon de toréer, de donner la distance, ça vous venait d'où ?
— Je crois que c'est comme dans la vie. Nous avons tous besoin de nos distances. Je ne peux pas venir, comme ça, t'embrasser, sans te connaître. Je veux d'abord faire connaissance. Faisons connaissance et ensuite nous verrons. Et dans le toreo c'est comme dans la vie. Les choses doivent se faire peu à peu.
— Mais maestro, de loin, c'est plus dangereux.
— De loin le toro vient fort, il peut te faire mal. Mais c'est la pédagogie de la vie aussi. Hier nous étions à un tentadero. Nous l'avons encore constaté. Aujourd'hui ils ne veulent pas donner la distance. Et moi ce qui m'émerveille et continue de m'émerveiller, c'est le galop du toro. Trop souvent on ne lui donne pas cette opportunité, en étant constamment dessus, tout le temps. En se mettant trop près on l'incommode. Après ils disent il derrote, mais non... Et moi j'aime le sentir content de charger ("feliz de embestir").

Felipe Lafita intervient.
— Ça manque un torero comme ça, surtout à Madrid. Les gens aiment voir le toro venir de loin. Si c'est plus dangereux ? C'est dangereux partout, là et là aussi... Disons que de loin, ça fait plus peur !

César rigole, et ses yeux brillent. "Oui, c'est sûr, ça fait peur !"