15 juin 2010

Saltillo

Dedicado muy especialmente a nuestro amigo Martín...

Saltillo, Palma del Río, Miura, La Campana, Moreno de la Cova, Félix Moreno Ardanuy, le Cordobés, la guerre civile, Lapierre et Collins. En transparence l'histoire, l'Histoire même, celle d'ici, de l'Espagne toute entière. Tous ces noms concentrés, présents, passés, et peut-être même à venir, forcément, ça fait son effet.

On ne s'appelle pas, par hasard, Enrique Moreno de la Cova. Et lorsqu'on s'appelle Enrique Moreno de la Cova, on ne décide pas, par hasard, de remettre les mains dans le cambouis très noble de la génétique brava.
Saltillo. Rien que le nom déjà. Pour ceux qui ne connaissent pas, je ne peux que vous diriger vers l’ouvrage de Pierre Dupuy : La ganadería de Saltillo que vous commanderez aisément par Internet à la boutique des Passionnés.

Palma del Río, un matin de mai. Nous arrivons par La Campana et passons devant le portail mythique : M.I.U.R.A., ses cinq lettres, ses deux poteaux, sa tête desséchée. Inimitable, intemporel, légendaire.
Putain ! Ils sont allés foutre une espèce de barrière en fer, moderne, tubulaire, juste derrière la légende. Décidément, tout se perd, même l'immortalité.
Elle y était peut-être déjà avant, notez bien. Et je n'y avais peut-être pas prêté attention. Vous me direz.
Nous ne sommes pas encore arrivés. Nous continuons notre route vers la ville du Cordobés.
C’est sur la gauche que se trouve la finca "Miravalles", notre destination. 8 heures du matin, la nuit a été courte. Mais nous sommes pile à l'heure. Notre Tendido69 a la gueule de travers. Il faut dire qu’il n’a pas eu le temps d'avaler son café. Gros sujet de discussion. Pourtant, il aurait juste fallu qu’il se lève un poil plus tôt. Mais évoquer ces quelques minutes fatidiques nous ferait entrer ici dans des subtilités très métaphysiques dans lesquelles il vaut mieux ne pas se lancer. Et puis, ça ne l'empêchera pas tout à l’heure d'aller se frotter, le ventre vide, aux vaches grises.
Enrique Moreno de la Cova nous attend, ponctuel, tiré à quatre épingles, 4x4 BMW au garde à vous, lui aussi tiré à quatre épingles.
Direction le campo, de l'autre côté de la route, pour profiter de la lumière du matin et rendre visite aux vaches.

Enrique a décidé voici une petite dizaine d'années de redonner vie au fer historique de Saltillo. Pour ce faire, il est parti de rien, ou presque rien, les presque ruines d'un chef-d'oeuvre en péril. Pierre Dupuy raconte que le livre de tienta de "Miravalles" a été inauguré en 2001 lorsque la finca fut aménagée pour l’exploitation du bétail brave, et lorsque sont arrivés une quarantaine de vaches et deux reproducteurs : « En 2002, Enrique achète à son cousin Ignacio qui dirige la "Ganadería Moreno Miura" et procède à sa première tienta de mâles ; il en retient un des trois essayés, qui ne "fonctionnera" pas. Il loue alors un semental à José Luis Buendía (pur Santa Coloma), 'Flor de Gamón', qu’il met avec 19 vaches, et gardera six mois sans résultat notable. »

Ce sera ensuite Álvaro Martínez Conradi (La Quinta) qui prêtera un semental, encore Buendía donc. L’apport de ce sang est d’ailleurs très visible sur de nombreuses bêtes. La galerie que nous vous présentons atteste de cela.
Redorer le blason des Saltillo n’est évidemment pas une mince affaire. Ces choses-là demandent du temps, beaucoup de temps et des moyens.
Ici, les moyens ne sont visiblement pas un problème. Le temps, c'est évidemment autre chose ; une chose que personne ne maîtrise. Nous ne parlons pas des quelques minutes qui auront manqué à Barth' pour avaler un café. Nous parlons de plusieurs générations à l’échelle humaine. Une paille quoi. Mais Enrique Moreno de la Cova est serein : « Au début, je n'avais pas une grosse base pour travailler. J'ai dû me contenter de peu. Et je devais par conséquent garder des vaches qui ne correspondaient pas vraiment avec l’idée que je m’en faisais. Mais il fallait bien travailler avec ce qui existait et se débrouiller. Aujourd'hui, il y a certaines vaches, que j'aurais gardées il y a dix ans, que je rejette sans hésitation. C'est tout de même le signe que les choses avancent. Mais il faut être vraiment patient. Tu verras la tienta tout à l'heure. Ça peut sortir bien comme très mal. Pour l'instant, je n'ai pas encore cette régularité à laquelle je veux parvenir. Mais c'est normal. »
Les vaches en tienta n'ont pas été vraiment à leur avantage, notamment sous le fer, mais toutes ont été très mobiles, et avec de la personnalité, du piquant. C'est déjà ça. De la personnalité, pas la candeur moutonne de trop de choses actuelles. On se dit que c'est déjà ça.

Après notre visite des vaches, et avant la tienta, est arrivé un petit groupe de la commission taurine d'Orthez qui, fidèle à la ligne qu’elle s’est fixée, donne cette année sa chance à un élevage jeune et peu connu.
Oui, jeune et peu connu car, malgré le prestige du nom, malgré les racines et les ancêtres, Saltillo travaille aujourd'hui pour retrouver son lustre d'antan. Et il n'est pas insultant de considérer Don Enrique Moreno de la Cova comme un jeune ganadero débutant.
Comment sortiront ces Saltillo mâtinés de Santa Coloma via Buendía ? Je ne m'aventurerai évidemment pas. Ce dont je suis certain, en revanche, c'est de l'enthousiasme du ganadero, de sa clairvoyance quant à l’ampleur de la tâche, de son pragmatisme, et de son "ilusión" dans la recherche de la caste.
Pour ces seules raisons, plus que suffisantes, nous serons quelques-uns à prendre la direction d'Orthez en juillet prochain, en croisant les doigts pour que ganadero et Afición y trouvent leur compte et des raisons d’aller encore un peu plus de l’avant. Ojalá. Nous en avons tous bien besoin.

>>> Retrouvez la galerie consacrée à la ganadería de Saltillo sur le site à la rubrique CAMPOS.