Je me souviens d’une multitude de drapeaux, de la foule, du soleil, des couleurs. C’était à la télévision, à la sortie d’un tube encore cathodique, l’émission « Envoyé spécial », sur la 2. C’était il y a presque vingt ans, il y a longtemps, le retour à la maison de César Rincón, en Colombie, un héros.
Il y a vingt ans, Sonia Rincón travaillait déjà dans un service culturel d’une administration française du Sud de la France.
Alors que j’étais le témoin télévisuel de ce retour triomphal, je n’avais encore aucune idée de l’existence de Sonia. Et de celle de César je savais simplement qu’il venait de faire trembler et exploser la planète des toros. Nous le découvrions, avec bonheur et jubilation, à Vic-Fezensac notamment, pour un inoubliable combat face à un toro retors de Rocío de la Cámara. Je ne savais rien de son photographe de père, de ses frères et sœurs, de son enfance, de ses galères, de cette mère et de cette sœur, mortes asphyxiées dans l’incendie de leur maison du quartier de Fátima, à Santa Fe de Bogotá.
C’était le début d’une histoire, celle d’un petit Colombien qui allait devenir un des toreros les plus importants des années quatre-vingt-dix et deux mille, et bien au-delà. Un torero pour l’Histoire, un torero porteur de la conception la plus pure et la plus authentique de son art.
A Madrid, les 21 et 22 mai 1991, en deux courses, juste deux courses et quatre toros, César Rincón venait de se consacrer et "expulser du temple l’espartaquisme et ses espartaquistes".
A l’époque, c’est à peu près tout ce que je savais de César Rincón. L’histoire commençait tout juste.
Presque vingt ans plus tard, César tourne une page. En France, le dernier chapitre s’écrira à Nîmes, le 16 septembre 2007, puis à Barcelone pour l’Espagne, le dimanche suivant, et enfin la Colombie, quelques mois plus tard.
A Nîmes, c’est au siège de l’association les Amis de Pablo Romero que l’Afición lui rend hommage, émue et reconnaissante. Trois ou quatre cents personnes applaudissent et remercient, disent leur admiration.
Sur la scène qui surplombe la grande cour où s’agglutine la foule, trois aficionados dont mon ami Laurent accompagnent César et Sonia qui écoutent les discours et les remerciements. Sonia ne lâche pas César d’une semelle, fière et attentive.
C’est elle qui fit le lien et permit que cette réception s’organise, que César soit là. Elle en sera évidemment remerciée.
A Madrid, les 21 et 22 mai 1991, en deux courses, juste deux courses et quatre toros, César Rincón venait de se consacrer et "expulser du temple l’espartaquisme et ses espartaquistes".
A l’époque, c’est à peu près tout ce que je savais de César Rincón. L’histoire commençait tout juste.
Presque vingt ans plus tard, César tourne une page. En France, le dernier chapitre s’écrira à Nîmes, le 16 septembre 2007, puis à Barcelone pour l’Espagne, le dimanche suivant, et enfin la Colombie, quelques mois plus tard.
A Nîmes, c’est au siège de l’association les Amis de Pablo Romero que l’Afición lui rend hommage, émue et reconnaissante. Trois ou quatre cents personnes applaudissent et remercient, disent leur admiration.
Sur la scène qui surplombe la grande cour où s’agglutine la foule, trois aficionados dont mon ami Laurent accompagnent César et Sonia qui écoutent les discours et les remerciements. Sonia ne lâche pas César d’une semelle, fière et attentive.
C’est elle qui fit le lien et permit que cette réception s’organise, que César soit là. Elle en sera évidemment remerciée.
Quelques mois plus tard, nous retrouvons Sonia, à Montpellier, à deux pas du Musée Fabre. Une visite à César est très prochainement prévue, chez lui, en Espagne, et c’est elle que nous sollicitons pour faire le lien, organiser la rencontre, prendre le rendez-vous.
Nous sommes loin de l’ambiance survoltée qu’il y avait chez Pablo Romero et nous pouvons tranquillement évoquer les souvenirs de la famille Rincón, César gamin dans les rues de Bogotá, leur enfance dans le quartier de Fátima, le père photographe, la tragédie, le début de la gloire, cette histoire que nous connaissons aujourd’hui mais que nous voulons entendre de sa bouche. Sonder l’envers du décor, découvrir le dessous des cartes.
Mai 2010, Extremadura, Cáceres, Santa Cruz de la Sierra.
Nous nous présentons à la finca de Julio César Rincón. Deux jours auparavant, Sonia m’a confirmé notre rendez-vous, nous demandant de ne pas trop nous attarder. César vient d’être papa à nouveau, et il est encore fatigué après son récent retour de Colombie. Mais si je peux photographier la famille avec le bébé pour en donner une photo à Sonia, ce sera parfait.
C’est le mayoral qui nous accueille. César est enfermé dans son bureau avec le représentant des arènes de Madrid. Nous l’attendrons une vingtaine de minutes.
— Je suis désolé mais je n’ai pas vraiment de temps à vous consacrer car nous devons embarquer des toros pour Madrid. Mais vous êtes ici chez vous, restez le temps que vous voulez.
— Maestro, nous ne voulons pas gêner, et si...
César ne me laisse pas finir : « Vous ne gênez pas ! Non, non... C’est juste que nous avons ces choses à faire mais vous pouvez rester. »
— Bon, très bien, mais votre sœur vous avait bien prévenu, n’est-ce pas ?
— Ma sœur ?
— Oui, votre sœur...
— Ma sœur...
— Oui, votre sœur, Sonia, qui vit à Montpellier.
Silence.
— Ah, mais cette femme n’est pas ma sœur. C’est juste une femme que je connais comme ça, de mes voyages...
Dans ma tête, c’est une véritable explosion. Le castillan de César est rapide mais fluide. Je n’ai aucune difficulté à le comprendre. Et pourtant je ne comprends pas, je ne comprends plus. La seule chose qui m’effleure c’est qu’il me faut rattraper la sauce, vite, sauver les apparences.
— Ah, j’avais cru comprendre que c’était votre sœur... J’ai mal compris alors.
— Non... Non... Ce n’est pas ma sœur. Bon, vous venez ? Nous allons embarquer.
César ne se formalise pas plus que ça, s’étonne à peine, ne s’attarde pas.
Je me dirige vers notre voiture de location pour y prendre mes appareils photos, sonné, éberlué. Je repense à cette journée de septembre, à Nîmes, à ces trois ou quatre cents personnes applaudissant César et Sonia, à la cérémonie, à l’hommage, aux discours, aux remerciements. Je repense à ce déjeuner de Montpellier, avec Sonia nous racontant leur enfance, la famille, les souvenirs.
Je tente de mettre un peu d’ordre dans mes idées, mais je n’y arrive pas. Machinalement j’attrape mon téléphone et appelle Laurent.
— Allo, tu sais quoi ? La sœur de César... Eh bien ce n’est pas sa sœur.
Laurent marque une légère hésitation, mais me répond, presque du tac au tac.
— Eh bien tu sais quoi ? Ça ne m’étonne pas. Sonia, il faut vérifier ; mais Sonia c’est le prénom de sa sœur morte dans l’incendie, avec sa mère...
De retour en France, je ne me suis pas précipité sur ma bibliothèque, passant et repassant devant le César Rincón, de Madrid al Cielo, l’autobiographie écrite en collaboration avec Javier Villán en 1992. Je ne m’y suis pas précipité immédiatement, me contentant de le défier du coin de l’œil, sachant trop bien ce que j’allais y trouver.
Page 133, chapitre 14, « La maldición del fuego » : « Parece una maldición, pero a nosotros nos ha perseguido el fuego… Pero, en cuestión de incendios, el único que todavía nos conmueve a papá, a Luis Carlos, a Rocío, a Martica y a mí es el del barrio de Fátima en el que murieron mi hermanita Sonia y mamá... »
Le 13 mai 2010, quatre aficionados français se sont présentés chez César Rincón. Ils s’y sont présentés de la part de sa sœur, Sonia, tragiquement disparue 28 ans plus tôt, à Santa Fe de Bogotá, le 16 août 1982... Il aurait pu le prendre plus mal.
Nous sommes loin de l’ambiance survoltée qu’il y avait chez Pablo Romero et nous pouvons tranquillement évoquer les souvenirs de la famille Rincón, César gamin dans les rues de Bogotá, leur enfance dans le quartier de Fátima, le père photographe, la tragédie, le début de la gloire, cette histoire que nous connaissons aujourd’hui mais que nous voulons entendre de sa bouche. Sonder l’envers du décor, découvrir le dessous des cartes.
Mai 2010, Extremadura, Cáceres, Santa Cruz de la Sierra.
Nous nous présentons à la finca de Julio César Rincón. Deux jours auparavant, Sonia m’a confirmé notre rendez-vous, nous demandant de ne pas trop nous attarder. César vient d’être papa à nouveau, et il est encore fatigué après son récent retour de Colombie. Mais si je peux photographier la famille avec le bébé pour en donner une photo à Sonia, ce sera parfait.
C’est le mayoral qui nous accueille. César est enfermé dans son bureau avec le représentant des arènes de Madrid. Nous l’attendrons une vingtaine de minutes.
— Je suis désolé mais je n’ai pas vraiment de temps à vous consacrer car nous devons embarquer des toros pour Madrid. Mais vous êtes ici chez vous, restez le temps que vous voulez.
— Maestro, nous ne voulons pas gêner, et si...
César ne me laisse pas finir : « Vous ne gênez pas ! Non, non... C’est juste que nous avons ces choses à faire mais vous pouvez rester. »
— Bon, très bien, mais votre sœur vous avait bien prévenu, n’est-ce pas ?
— Ma sœur ?
— Oui, votre sœur...
— Ma sœur...
— Oui, votre sœur, Sonia, qui vit à Montpellier.
Silence.
— Ah, mais cette femme n’est pas ma sœur. C’est juste une femme que je connais comme ça, de mes voyages...
Dans ma tête, c’est une véritable explosion. Le castillan de César est rapide mais fluide. Je n’ai aucune difficulté à le comprendre. Et pourtant je ne comprends pas, je ne comprends plus. La seule chose qui m’effleure c’est qu’il me faut rattraper la sauce, vite, sauver les apparences.
— Ah, j’avais cru comprendre que c’était votre sœur... J’ai mal compris alors.
— Non... Non... Ce n’est pas ma sœur. Bon, vous venez ? Nous allons embarquer.
César ne se formalise pas plus que ça, s’étonne à peine, ne s’attarde pas.
Je me dirige vers notre voiture de location pour y prendre mes appareils photos, sonné, éberlué. Je repense à cette journée de septembre, à Nîmes, à ces trois ou quatre cents personnes applaudissant César et Sonia, à la cérémonie, à l’hommage, aux discours, aux remerciements. Je repense à ce déjeuner de Montpellier, avec Sonia nous racontant leur enfance, la famille, les souvenirs.
Je tente de mettre un peu d’ordre dans mes idées, mais je n’y arrive pas. Machinalement j’attrape mon téléphone et appelle Laurent.
— Allo, tu sais quoi ? La sœur de César... Eh bien ce n’est pas sa sœur.
Laurent marque une légère hésitation, mais me répond, presque du tac au tac.
— Eh bien tu sais quoi ? Ça ne m’étonne pas. Sonia, il faut vérifier ; mais Sonia c’est le prénom de sa sœur morte dans l’incendie, avec sa mère...
De retour en France, je ne me suis pas précipité sur ma bibliothèque, passant et repassant devant le César Rincón, de Madrid al Cielo, l’autobiographie écrite en collaboration avec Javier Villán en 1992. Je ne m’y suis pas précipité immédiatement, me contentant de le défier du coin de l’œil, sachant trop bien ce que j’allais y trouver.
Page 133, chapitre 14, « La maldición del fuego » : « Parece una maldición, pero a nosotros nos ha perseguido el fuego… Pero, en cuestión de incendios, el único que todavía nos conmueve a papá, a Luis Carlos, a Rocío, a Martica y a mí es el del barrio de Fátima en el que murieron mi hermanita Sonia y mamá... »
Le 13 mai 2010, quatre aficionados français se sont présentés chez César Rincón. Ils s’y sont présentés de la part de sa sœur, Sonia, tragiquement disparue 28 ans plus tôt, à Santa Fe de Bogotá, le 16 août 1982... Il aurait pu le prendre plus mal.