27 juin 2013

Silencio


Et cette musique est là, inévitable ; surgie de nous tous, elle serre la gorge comme une criminelle. Cette musique, de trois notes, peut-être, que l’on désirerait inépuisable malgré sa ritournelle de douleurs, elle nous parcourt, nous passe derrière, marche devant au pas pour ne pas qu’on la manque, creuse au-dedans de nous ; nous qui n’aurions aimé qu’une chose : ne pas l’entendre, parce qu’elle est le cri féroce de la mort.

La tauromachie est un silence, mais la mort, elle, intranquille, n’est qu’une plainte sans fin. Elle a ses sons à elle, et nous en inventons des plus beaux pour les taire, les étouffer, les faire fuir et pour ne pas que nos larmes ne soient que solitude. 

Quand du tréfonds de ce chaudron vert et bouillant s’évadent ces quelques notes, c’est que la mort a déjà mû en cri. Le cri strident des femmes aux balcons, le cri des secouristes pour aller vite, les cris des fêtards qui ne savent même pas que des toros ont traversé la rue, le cri inaudible qui abandonne un corps par des yeux absolument ouverts et blancs qui ne peuvent se raccrocher à rien, qui tendent les bras pourtant, qui cherchent une branche irréelle, une main, un autre son, enfin. 

Il y a un trou au milieu du ventre, large, trop large, et l’on voit le sang noir, déjà comme une croûte, qui ne sait où aller. Les rainures des pavés sont devenues ruisseaux et font couler ce cri, inécoutable, sous les grolles salies de tous ceux qui sont là, par hasard, d’autres pas, et qui déjà ne supportent pas que leurs larmes ne soient que solitude. 

Les minutes de silence sont hypocrites. Le vrai silence, en nous, n’existe pas. L’esprit, comme un pétillement, se carapate loin de ce non-bruit trop vaniteux, devenant sa propre musique parce qu’il faut bien lutter. 

Ici, dans ce chaudron vert et bouillant, le silence est une musique, un rythme qui ressemble à la danse ralentie des battements d’un cœur mélancolique. 

Et rien n’y fait, elle serre la gorge, criminelle, et l’on manque d’air. Au loin, le cri féroce de la mort est emporté par le vent.


>>> Pour vous faire une idée de cette musique qui se joue à Pamplona quand quelqu’un meurt lors de l’encierro, rendez-vous ici.