13 avril 2013

On les évite


Soyons francs : on les évite. 

Préparer une sortie au campo est devenu un exercice schizophrène. Le bonheur d’imaginer ce que l’on y trouvera s’égratigne au fil des pages d’un annuaire que l’on égrène avec une rigueur chirurgicale pour n’en conserver que l’information digne d’intérêt. Il en va de la lecture des annuaires de ganaderías comme de celle des magazines féminins dans lesquels une fois survolées les pubs, on se sent plus léger. Le Domecq, dans les annuaires de ganaderías, c’est la pub dans la presse féminine. Le Domecq enlevé, on se sent plus léger, mais l’exercice prend du temps et racornit la joie que l’on se fait d’y être bientôt… au campo. 

Alors soyons francs, on les évite… les Domecq. Soyons francs aussi, il y a dans ce choix une part assumée de sectarisme et d’idéologie tout à fait critiquables. Il y a aussi et avant tout le goût de la diversité et des encastes moins chanceux, plus rudes, moins formatés, plus âpres… Alors voir des centaines de Domecq, que ce soit dans les noms de gala ou dans le réseau plus modeste des discounts, ne nous enchante guère. Et puis il y a les fundas chez beaucoup de Domecq. 

Pour autant, le Domecq n’existe pas. Il y a des Domecq et non pas un Domecq ! Ce sont les ganaderos qui font les toros et le sang originel est excellent. Physiquement, qu’y a-t-il à voir entre un Juan Pedro Domecq préparé pour Nîmes (c’est à peu près le standard de la maison) et un Sánchez de Ybargüen qui achèvera sa vie dans les rues du Levante ? Rien. Un Garcigrande a les mêmes ancêtres qu’un Guadaira, mais l’un ne s’envisage pas de la même façon que l’autre pour un torero ou un aficionado.

Bref, nous sommes sectaires, mais il existe des circonstances — ô joie de l’incertitude de vivre ! — qui incitent à se faire mal et à s’imposer la visite d’une ganadería de sang Domecq. Sánchez de Ybargüen reste un mémorable souvenir, Guadaira une belle rencontre et les Infante da Câmara ont laissé en nous cette impalpable sensation agréable et douce de la beauté naturelle et sans fard, livrée telle quelle, libératoire pour se libérer de rien, belle juste pour elle-même. Sensation qui revit sans prévenir, sans coup, délicate, soyeuse quand le vent glisse le matin dans les arbres éveillés, jubilatoire quand la lumière s’irise dans les épis mouvants des blés qui s’annoncent. 

Et dans tout ça, des Domecq ! Des de chez Juan Pedro, depuis 1986, quand les héritiers de José Infante da Câmara (mort en 1962) décidèrent de rafraîchir leur croisement Campos Varela/Parladé/Tamarón avec du moderne et du toréable. 

Alors on peut regretter les choix, on peut se dire que c’est dommage d’en trouver ici aussi, mais il faut se rendre à la raison : qu’ils étaient beaux ces toiros dans cette forêt tapissée de sable fin. Des toros qu’il fallait chercher, guetter, suivre entre les arbres, dans les rais de lumière et au loin des fougères. Des Domecq un brin sauvages !

Ils sortiront le 1er mai 2013 dans une tourada à Alcochete.


>>> Retrouvez, sous la rubrique « Campos » du site, une galerie consacrée à la ganadería Herdeiros de José Infante da Câmara.