21 juin 2012

Game over !


Les corridas concours sont assez rares pour qu'on leur sacrifie un peu de notre temps et un peu d'écriture. C'est d'autant plus vrai quand la corrida concours dont il est question se déroule dans une arène de première catégorie espagnole (il faut préciser) considérée comme un des temples du taureau de combat : Bilbao.

Passons tout de suite sur les prix décernés à l’issue de cette corrida : le Torrestrella gagne, et alors ? Pas de prix pour le meilleur tercio de piques ? What else ? Les prix ne sont pas des souvenirs, ils s’oublient, et celui octroyé au Domecq d’Alvarito ne se gravera certainement pas dans les mémoires.

Cette corrida concours a été pour moi fidèle à l’image que je me fais — à tort peut-être et de manière exagérée certainement — de la corrida actuellement : elle manque de tout et surtout de toro. On aura beau s’échiner à commenter la faena donnée au La Quinta, au Victorino ou au Torrestrella, s’entêter à regretter le manque de quites et de variété proposés par Iván Fandiño, le constat restera le même : il a manqué du toro ce samedi sous le xirrimirri. Entendons-nous bien : il n’a pas manqué de quoi toréer pour le maestro, il n’a pas manqué de caste pour certains, d’envie ou d’intérêt pour d’autres, mais, au final, nous n’avons eu qu’un étalage bien mou de ce que produit actuellement une bonne partie de l’élevage brave. Après tout, me direz-vous, c’est peut-être le rôle d’une corrida concours que de donner un petit aperçu un tant soit peu réaliste de l’état du toro de lidia dans la diversité des encastes. Alors, si tel est le cas, le bilan est bien faible.

Trapío Deux toros seulement étaient présentés con trapío. Le Partido de Resina et l’Alcurrucén, qui tirait vers l’avacado mais dont les allures et les manières imposaient le respect. Les autres étaient certes respectueux du type de leur encaste mais de trapío ils n’en avaient point. Le trapío moyen n’existe pas ! Un toro a du trapío ou n’en a pas ; entre le ying et le yang, il n’y a rien ! Pour le coup, le Victorino n’avait rien à faire là.

Bravoure Le hic, pas chic ni choc, le hoquet généralisé. La bravoure s’exprime avant tout au premier tiers et les corridas concours ont pour but, entre autres, de mettre en valeur ce moment de la corrida. À ce sujet, les concours de ganaderías ne devraient plus exister car elles incitent le public à penser que des tercios de piques menés à peu près correctement sont des exceptions qu’il est impensable de revoir dans des courses classiques. Tous les toros devraient avoir la chance d’être piqués avec la même attention que lors d’une corrida concours.
Ce samedi à Vista Alegre les toros n’ont pas été braves. Ils ont démarré, ils ont chargé de loin, ils ont couru vers le cheval — sauf l’âne qui portait le fer de Victorino Martín —, mais aucun n’a réellement poussé en mettant correctement les reins, en se fixant et en montrant l’envie de foutre en l’air les chevaux de Monsieur Bonijol qui passe son temps à sauter le burladero pendant le tiers de piques. L’on pourrait nuancer le propos concernant le Torrestrella et l’Alcurrucén même si leurs peleas respectives n’eurent rien de transcendant.
Last but not least, il n’y a plus de poder ! Game over ! Car la bravoure doit être puissante, furieuse, tempétueuse et ravageuse. On l’oublie. Les toros de cette concours étaient donc dans la veine du produit actuel — oui, « produit » ! —, dégonflé, bravito mais pas trop, toro mais pas trop non plus, et piqués dès la troisième rencontre avec la puya de tienta !

Noblesse Ils ont tous chargé à leur manière et, comme je l’écrivais plus haut, il y avait de quoi toréer. Certains voisins se sont emballés sur la bourrique inutile de Victorino parce qu’elle mettait la tête bien en bas. Le toreo par le bas, érigé aujourd'hui en système, dictatorial, est en train — en vérité ça fait longtemps que cela dure — de pourrir les analyses de nombre d’amateurs de corridas. Il conviendrait selon eux que tous les toros sortissent en mettant la tête au ras du sol et chargeassent lors du troisième tiers le mufle dans le sable. Foutre dieu que l’ennui serait grand de ne plus rencontrer de bestiole, comme ce sobrero d'El Cortijillo manso perdido querencioso, âpre mais tout à fait possible à « lidier » ! Et Fandiño le prouva d’ailleurs dans sa meilleure faena de l’après-midi.
Bref, ils ont tous chargé et nous nous en fûmes en nos chaumières sans que de grands souvenirs ne viennent bercer nos nuits.

La faute à quoi ? à qui ?
Fandiño était prêt mais froid. Incomplet comme les toros, parfois décentré, tout d’un coup remarquablement croisé, la jambe en avant, la main tendue vers l’œil contraire.
Le ciel était prêt, « bilbaïnesque » à souhait, dans le tempo de l’événement.
Le sable était prêt ; prêt à recevoir ce ciel adapté.
Tout était prêt sauf le public. Il n’était pas là. C’est aussi simple que cela. Il serait là le lendemain mais il n’était pas venu aujourd’hui. On pourra le tourner dans tous les sens, mais c’est foutu pour le toro. Même Matías González n’y croyait pas ; il a été mauvais, très mauvais.

En sortant, Fandiño souriait.


>>> Retrouvez une galerie de cette course sur le site sous la rubrique « Ruedos ».

Photographie Le toro d'Alcurrucén © Laurent Larrieu/Camposyruedos.com