Assouvir
un fantasme, c'est le tuer. Alors, quand je pense aux peleas « galactiques » des
diestros d'autrefois face aux monstres d'antan, j'aime bien croire qu'à chaque
passe le ciel se fendait et la foudre s'abattait, la flotte ruisselait sur le
corps des femmes nues et la foule ivre exultait, pendant que Belmonte et
Joselito misaient leurs veines sous le souffle épais d'une terreur venue des
plaines brûlantes d'Andalousie ou d'un Goliath minotaure des sierras infernales
de Castille. J'aime y croire…
Pour autant, rêveur mais lucide, je ne mets pas Ribéry et Georges Charpak sur
un pied d'égalité, surtout au moment de coller une lucarne à Casillas, mais
il faut bien admettre que les fantasmes n'agissent que dans leur
inassouvissement et n'existent que tant qu'ils ne s'incarnent pas, et que c'est
jutement pour ça qu'ils sont bons. Sans doute parce que l'humain a besoin de
rêves, a besoin de croyances, d'illusions, d'inexactitudes et de se conforter
dans le doute pour mieux supporter sa faiblesse d'homme et se donner enfin la
force d'aller chercher ses graals, où qu'ils soient , quels qu'ils soient… C'est dans le rêve seul et unique qu'il faut chercher la source des plus grandes
victoires, car du rêve naît l'espoir. Le besoin de croire, plus que le besoin de
voir, auront toujours raison des plus hauts obstacles, car le rêve a le privilège de décupler la beauté des choses alors que la vérité les dévoile telles qu'elles sont. Pas toujours comme on voudrait, d'ailleurs, et c'est bien ça le drame : la révélation que l'on ne souhaitait pas. En ce sens, j'ai toujours
eu beaucoup de compassion envers les chercheurs et binoclars scientifiques dont
la raison de vivre se résume dans l'art de stopper net les illusions du reste du monde. Envie de faire chier, sans doute, besoin d'exactitudes, probablement,
manque de confiance en soi, certainement… Bref, le « voir pour savoir », le « saint Thomasisme » ou l'absolue nécessité de briser les élans fougueux de ceux
qui prennent le risque de miser sur le « peut-être »…
Que voulez-vous, ce monde a besoin de voir, de toucher, de sentir et parfois
même d'y foutre le nez dedans, pour être sûr, être certain, savoir, se
rassurer, et surtout surtout ne pas se tromper. Noble intention, c'est vrai,
mais qui laisse bien peu de chance à l'imprévu, à l'inexplicable voire même au
surnaturel, et qui dénature un peu ce côté hasardeux des choses de la vie, qui
va si bien à la mythologie taurine et aux croyances qui la hantent, au travers des photos noir et blanc écornées et jaunies racontant des histoires fabuleuses d'hommes et de toros que les moins de soixante-quinze ans ne peuvent pas connaître, et c'est très bien comme ça.
Le légendaire Paco Ruiz Miguel triomphant à Arles en 2012 dans un éclatant traje sur mesure trop propre, c'est Jean-Pierre Rives soulevant le Brennus en juin
prochain dans un maillot rose pute fleuri du Stade français : ça fait rire les
enfants, à défaut de les faire rêver…