28 août 2009

Des souris et des gnomes


Placita de CarcassonneThéorème des arènes démontables : tout corps vivant prenant place sur les gradins d’une portative se fond instantanément dans la structure et se transforme à son tour en pièce métallique. Le moindre cliquetis de l’ossature ferreuse, le plus infime des grincements fait écho dans ses propres entrailles, comme un hoquet, un borborygme, un intime gargouillis.
Samedi 22 août, sur les travées de la placita carcassonnaise, nous avons été secoués comme les rivets d’une vieille guimbarde. Des secousses à vous remuer les tripes jusqu’à la fontanelle.
Entendez-vous le premier des saltillos ?
Bling, blang ! Et crac boum hue ! Un branle-bas à ranimer l’âme combattante de tous les Montségur, à raviver la fureur des Corbières, un extraordinaire tremblement, une violente convulsion et la montagne d’Alaric d’accoucher… d’une souris. ¡Una ratita, si Señor! Un moreno de silva haut comme trois pignes. Tout ce tintouin pour un pichòt !
C’est vrai qu’ils sont bajitos ces novillos, particulièrement le premier, et le troisième aussi. Les autres, le second et le quatrième, sont plus charpentés, les deux derniers plus volumineux. Le lot est loin d’être homogène, varié et disparate en trapió comme en pitones. Des bichos légers, très typés en tous points, sans excès.

Des souris disions-nous ? Peut-être mais au caractère en acier trempé ! Seul le 18, sorti en quatrième position, s’offrira un temps de réflexion avant d’agir. Tous les autres entrent en piste avec fracas, éjectés du toril comme des balles. Du concentré d‘énergie qui vient percuter la barrière, ricocher sur les burladeros et suivre tout ce qui bouge. Alertes, vifs, mobiles, infatigables. Ils sont prêts à en découdre, loyalement, fièrement et sans répit. Ces petits gris vendent chèrement leur peau, bouche close et tête basse. Tous applaudis à l’arrastre. Tous !
Devant la lourde cavalerie, l’élan est plus timoré et les rencontres moins franches. Simplement bravitos, ils s’opposent sans forcer, donnant parfois quelques signes de faiblesse vite gommée. Tous prendront deux piques. Le second, le moins asaltillado, ira cinq fois au cheval en fuyant le peto. En fin de faena, il encorne Juan Carlos Rey qui tente de l’estoquer. À toi de jouer, Valentín ! Comme à Madrid, il y a un an, face au même élevage. Tes deux compagnons étaient à l’infirmerie, il ne restait que toi. Seul !

Estocade, Valentín MingoLe cauchemar s’arrête net mais pour Moreno Muñoz le souvenir s’appelle cicatrice. L’histoire ne se répète pas, il s’en faut de peu. Les cuadrillas ont compris depuis longtemps qu’elles sont tombées dans une souricière. Du capotazo de réception à l’ultime puntillazo, en passant par les piques sans oublier la mascarade des banderilles, la panique gagne le ruedo. Dépassés ! Les novilleros tentent de s’accrocher mais ils sont baladés, bousculés, soulevés, ensablés, pris de vitesse par des novillos qui se hissent au rang de Toros. Ras la montera !

Il est entré marqué du 5 sous un tonnerre d’applaudissements. Le der des ders. Un coup du hasard. Il n’a pas eu le choix. Il est venu se faire un nom, numéro 5. Il s’est jeté dans la bataille comme un boulet de canon, emportant tout sur son passage, les capes et les capeadores. Tous déquillés en un instant. Strike ! La plus totale des déroutes. Chacun pour soi et tous aux abris. Plus un bonhomme aux avant-postes, tous planqués à l’arrière, dans le plus grand des désarrois, le moral au fond des bas roses. Lorsque la torería déserte la place, c’est la vergüenza qui disparaît !
Et là on a basculé dans la sale guerre. Plus question de combat. L’impératif : réduire les forces de celui qui n’était plus un adversaire mais un ennemi. Destruction est la consigne.
Les cuadrillas provoquent les charges du "toro" contre les burladeros, multiplient les passages en faux et les déplacements inutiles. Quelle bassesse ! Un comportement indigne de la part de "professionnels". L’éthique tauromachique est bafouée lors du tercio de piques. Le cavalier est abandonné seul en piste. Il est livré à son sort, sans couverture, au détriment de la plus élémentaire solidarité. Le mot d’ordre hurlé depuis le callejón : au massacre ! Inadmissible.
C’est en brave que le "toro" charge, venant de loin à trois ou quatre reprises. Coincé, enfermé, carioqué, piqué, repiqué et surpiqué… 4, 5, 6 fois… un pilonnage intensif. Rien à faire, le saltillo ne capitule pas. Il interdit toute incursion et renvoie tout le monde hors du cercle. Moreno Muñoz réalisera trop tard que le moreno de silva était son allié. Entre Moreno, ils auraient pu s’entendre, se lier, composer.

Diano, Moreno de SilvaQue de noblesse ! Quelle corne gauche ! Quel gâchis ! Jusqu’à son dernier souffle le saltillo luttera. Campé au centre de l’arène, une épée dans l’échine, il se pose. Il meurt numéro 5. On n’ose l’approcher. Impossible de le puntiller. Trois fois il se relève et charge. Il faut l’estoquer à nouveau. Par deux fois Moreno Muñoz échappe à la cornada.
Il meurt au centre numéro 5, en brave. Le cul résolument tourné en direction du toril, les yeux rivés sur les tendidos. La caste !
Les yeux rivés sur les tendidos, numéro 5 toise le palco.
C’est lorsqu’ils ont détourné le regard qu’il est mort. Ils n’ont rien vu.

Drôle d’époque quand le triomphalisme exacerbé le dispute au plus inepte des indultos ! Quand l’aficionado montre le "toro", la présidence regarde la lune.
Drôle d'époque et temps injustes ! Quand un toro bravo, un toro noble, un toro de caste, un toro-toro meurt avec les honneurs sans une vuelta.
Qu’importe ! Désormais il a un nom.
'Diano'.

>>> Une galerie photos de la novillada de Moreno de Silva est accessible en rubrique RUEDOS du site.