29 février 2012

Après, dehors, c'est moins ça…


Seule la maison a des airs de campo. À l’intérieur. Après, dehors, c’est moins ça. L’herbe est rare là, rase ici. Autour, ce ne sont que céréales et chemins agricoles. Les toros boivent dans de vieilles baignoires en céramique. Y en a un qui est couché de dos aux autres. Il mâchonne en regardant les bâtiments mal entretenus. Des ruines. Je n’arrive pas à me dire que c’est le campo. Ça. Là. Devant moi. Ça s’appelle Díaz Guerra. Guerra. La guerre. On n’en est pas loin. C’est le paysage qui le dit. Un camp de réfugiés, l’éphémère partout, les réfugiés ça ne reste pas, on erre de pierre en pierre, un poteau, une corde. Y a du vent, il fait froid. Ces toros-là, j’en ai jamais vu. On ne les voit nulle part. Je pourrais écrire au futur. Ils font partie de ce tas d’élevages, de ce monceau d’encastes qui sont devenus des réfugiés. Les réfugiés, c’est pas fait pour rester, je l’ai déjà écrit. Quand ils restent, quand ils reprennent racine, les autres les détestent. C’est pas fait pour rester les réfugiés.
Mariano de León, c’est lui le ganadero. Mariano de León parle de son élevage avec une douceur inversement proportionnelle au côté foutraque du campement. Ça fait bizarre. Je m’attendais à un butor, le genre qui te casse trois phalanges en te serrant la patte et ça le fait sourire. La bûche sans écorce, « faut l’boire d’un cul-sec sinon ça vous brûle la langue », il te dit et ça le fait sourire. Je m’attendais à ça. J’avais envie de partir, je voulais un campo bien comme il faut. Mais ça n’existe pas un campo bien comme il faut. Et puis j’aime pas les mecs avec des chicots, ils me rappellent mes problèmes dentaires. Mariano de León venait de se raser. Il sentait le gars qui part au taf à la Caixa, pas au campo. Il n’a pas conduit comme un jobard, il a fait attention. Il voulait que l’on comprenne bien son élevage, sa démarche, sa passion, ses difficultés. Il parlait bien. Je comprenais chacun de ses mots. Il n’avait pas de chicots. J’ai regardé pour sûr. Sa voix ne forçait jamais, il fallait tendre l’oreille. Pas espagnol pour un peso sur ce point-là. Pédagogue le mec.
Il a parlé longtemps. Ses toros, pas les Domecq qu’il avait achetés à Adolfo Martín (eh oui !), c’étaient des vieux machins d’origine Jijón. Le Jijón ! Compliqué le Jijón. Non vraiment, réellement, totalement compliqué. Le Santa Coloma, on a des points de comparaison. Le Saltillo aussi. Il en reste peu mais il en reste. Le Jijón ? Que dalle. Y a plus rien, bernique, bagatelle. La nuit est nue. Mariano de León a expliqué les différences entre ses réfugiés et les Domecq. Ça sautait aux yeux. Il parlait vraiment doucement. Il les caressait de la voix c’était à croire. Dans la maison, les murs étaient blancs et dessus y avait des photos. Ça faisait campo. Un campo campagnard, réduit à l'essentiel. Ça lui ressemblait, je me suis dit. À gauche, sur le mur, il avait fait encadrer un texte de Salvador Valverde sur sa ganadería. J’ai lu en diagonale. Salva expliquait les origines. Ça avait l’air d’être vraiment des descendants Jijón. C’est ce que démontrait Salva. Ça serait bien que ce soient des Jijón. Au fond on s’en fout mais j’aime bien l’idée que parfois restent les réfugiés. Les autres ça les fait chier. Juste un peu mais un peu quand même. Ça me plaît bien, ça.

>>> Retrouvez une galerie consacrée à cette petite ganadería sur le site www.camposyruedos.com, rubrique CAMPOS.

Photographie Un Díaz Guerra au campo devant la baignoire © Laurent Larrieu / Camposyruedos.com