30 avril 2008

Pérez de la Concha, Georges Clooney et Bertrand Renard...


L'occase était trop belle, on pouvait pas rater ça...
Vitres ouvertes, le compteur a tope, on écoutait pour la 35ème fois, le dernier album de Chambao. A l'arrière, ceux qui avaient entamé les stocks du "Lo Nuestro" jusqu'à pas d'heure, finissaient leur nuit. Et nous, on savourait la diversité des rouges de la terre, le voile argenté des champs d'oliviers et puis, de temps à autres, au milieu, la petite chapelle en ruine d'une finca isolée qui a dû connaître son âge d'or à une époque où, assurément, ni vous ni moi n'étions de ce monde. On allait voir les Pérez de la Concha, ceux de Vic.
Au fond de nous, on spéculait pas mal sur ce "détail" de l'Histoire qui nous animait et qui avait réussi le fol exploit de nous arracher de la torpeur nocturne de la calle Betis.
Pour être honnête, on ne savait pas grand-chose de ces Pérez de la Concha mais on imaginait beaucoup. Aucun de nous n'aurait pu évoquer le moindre souvenir de la moindre lidia au moindre de ces spécimens, mais il suffisait de savoir que leur présentation madrilène s'était faite en 1850 pour deviner l'ampleur de l'entreprise généalogique, avec tout ce que cela implique de croisements, d'héritages et autres ventes au gré du souffle de la vie des hommes, de leur travail, leur passion et leurs drames aussi. Et puis, Pérez de la Concha, ça sonnait un peu comme un de ces noms de ganaderías d'antan qui faisaient hurler d'effroi les foules, et peuplaient les colonnes de faits divers morbides des diarios taurinos des siècles passés. On en aurait presque des visions goyesques. Mais bon, il y a bien longtemps que Pérez de la Concha n'évoque plus la moindre sueur froide. Un peu comme la petite chapelle sans son clocher, là-bas plus au sud, dans son champ d'oliviers, avait fini d'évoquer la moindre illumination divine depuis... allez savoir, tiens ! Ainsi, la destinée glorieuse des toros de Pérez de la Concha s'était diluée dans le puit sans fond des souvenirs anciens d'une tauromachie qui ne s'accorde plus avec les tempéraments piquants du passé. Et c'est bien tout le drame de la maison... et finalement peut-être un peu de la tauromachie aussi.
En bref, c'est Joaquín de la Concha y Sierra qui créa l'édifice avec des vaches de "Curro Blanco" et du bétail de "Las Ninas de Pérez", tous issus des alentours de Séville. Puis, il acquit des vaches et des étalons de Picavea de Lesaca (Marquis de Saltillo devenu Félix Moreno). Il céda le fer à son neveu Joaquín Pérez de la Concha à sa mort en 1861, qui céda lui-même à ses fils. La ganadería s'appelle alors Señores Hermanos Pérez de la Concha. En 1924, des vaches et un semental de Santa Coloma viennent donner une nouvelle "coloration" au sang des bravos lesaqueños .
1928 enfin, la ganadería est vendue en 2 lots. Le premier partira chez Esteban González Camino et le second restera toutefois dans la famille puisque c'est un fils, Tomás Pérez de la Concha, qui en devint acquéreur en donnant au passage son nom à l'entreprise. Quelques lectures nous avaient renseignés sur ce que l'on s'apprêtait à voir, et l'on imaginait surprendre peut-être quelques jaboneros, résurgences accidentelles d'un passé vazqueño du lointain Concha y Sierra originel perdues au milieu de cárdenos définitivement santacolomeños car, oui, c'est bien sous cette bannière là que s'annonce le sang des toros bravos de "Hijos de Tomás Pérez de la Concha" . Oh bien-sûr, on ne boude jamais son plaisir de voir son propre reflet dans l'oeil d'un Santa Coloma, mais bon sang ! Où donc est passé cet exotisme qui manque tant à la planète des toros d'aujourd'hui ? Qu'il en soit ainsi, alors... tant qu'on n'annihile pas complètement les vertus d'un sang royal pour de trop basses raisons.
Justement, alors que l'on avait décimé des armées de moustiques à grands coups de pare-brise sur environ 200 bornes, on arrivait à Azuaga, finca "La Gloria", anciennement celle de Pepe Chafik, ganadero de San Martín. Pas de souci, ses anciens trésors qui n'ont pas été du voyage outre-Atlantique sont toujours bien gardés dans leur écrin cárdeno et leurs "très vilains" cercados, à la différence près que le gardien du temple s'appelle aujourd'hui... Ignacio Huelva Manrique. Beau gosse à la quarantaine "GeorgesClooneyesque" (fallait la tenter, celle là... ), ce "golden boy" aux dents longues a la bosse des affaires et l'afición a los toros... los de verdad. What else ?... Eh bien, que quand on investit dans du San Martín, Hernández Pla ou du Pérez de la Concha, soit on est un peu perdu avec la notion de rentabilité, soit on aime profondément le toro rustique, à l'ancienne, qui vous colle une migraine à l'évocation de son nom, en ayant bien conscience que la poule aux oeufs d'or n'est pour l'heure qu'un gros caillou tout brut. Ainsi Ignacio Huelva est aficionado, et après pareille évocation on n'oserait en douter. Tant mieux pour lui, pour eux (les bichos), et puis pour nous aussi, un peu... après tout.
La terre est belle à Azuaga, et le campo se magnifie sous l'ardente chaleur. A l'heure où même les arbres s'endorment pour ne pas avoir à supporter la présence étouffante du soleil, on fait le tour de la propriété. On shoote plein tube le moindre cornu qui ose s'aventurer dans notre champ de vision... Ici, chez San Martín, évidemment, du cárdeno "en-veux-tu-en-voilà", et là, tout de suite, au milieu de ce maudit cercado, les pupilles de Pérez de la Concha. Stupéfaction.
De suite, tu sens bien que l'oeil du Santa Coloma te guette. Il y a cette présence qui te pèse et l'atmosphère qui devient lourde, très lourde. Cette lueur terrifiante au fond du regard qui te rappelle terriblement ta condition de petit homme au milieu d'un royaume qui n'est pas le tien. Bien-sûr, il n'était pas question de grandes étendues sauvages, mais chez ce genre de Seigneur-là, toute terre foulée devient un bastion immédiat à défendre. Ils ne te lâchent pas, te fixent, te surveillent, vigilants au moindre cil qui bat. Des combattants à l'affût. Ça tourne, ça rode... Laisser distraitement traîner une main le long de la portière serait un défi à l'apparente paix qu'évoque l'ampleur pesante de ces monstres. Nul doute que s'ils préfèrent éviter l'affrontement, c'est qu'ils accordent leur pardon à l'inconscience. Mais quand le Santa Coloma se retire du débat, il ne te tourne pas le dos... Oh non, ça, jamais.
Souviens-toi toujours de l'oeil du Santa Coloma qui ne te perd jamais de vue. Il n'abdique pas, ne crois pas ça... Pas le Santa Coloma... même là-bas, au fond, derrière l'arbre et dans sa volute de poussière, il t'observe et ne perd rien de ton séjour en son antre. Il s'en souviendra longtemps, même, jusqu'au moment ultime de sa vie où il se sentira serein d'avoir pardonné à ceux qui ne savaient pas qu'ils le défiaient. N'oublie jamais l'oeil du Santa Coloma, petit Homme... n'oublie jamais.
J'abandonnais le cercado sur ce regard ultime plein de promesses que me lança le dernier "Pérez" de la troupe, avant de disparaître plus loin, là-bas. Il me disait qu'on allait se revoir bientôt...
En quittant les lieux, on venait de laisser derrière nous les vestiges d'une histoire de bravoure qui dure depuis plus de 150 ans. Mais à l'image de ces noms anciens qui illustrent d'antiques épopées, où le sang d'avant n'est plus et où l'allure qu'on devinait sur de vieilles gravures ne rappelle en rien celle que l'on discerne, là, juste sous notre nez, ces toros de Pérez de la Concha venaient d'ouvrir une nouvelle brèche dans nos fraîches connaissances, car si l'on envisageait honnêtement assez peu de percevoir quelque "lesaqueño" de l'ancien temps, on s'attendait toutefois, à juste titre, à croiser ce bouleversant regard de Santa Coloma cárdeno. Mais pas le Santa Coloma type Buendía de... Hernández Pla, oh non, pas celui-là. Et pourtant, si...
On mordait l'asphalte bouillant du retour, Chambao jouait rien que pour nous pour la 36ème fois et l'on décimait encore une quinzaine de dynasties de moustiques avec frénésie, en ruminant sur notre "découverte" comme Bertrand Renard* sur une équation à 18 inconnus, quand le nom d'Ignacio Huelva revint à nos esprits comme un revers qui vous claque au blaire, car il nous aurait suffi d'ouvrir plus tôt les yeux pour déduire que les toros de Pérez de la Concha partagent le quotidien, entre autres confidences, de ceux d'Hernández Pla dans leurs fincas respectives de Ciempozuelos, Zufre et Puerto Moral, toutes trois outrageusement identiques et propriétés d'une seule et même société, la S.A. Horsebull (yes it is...), que représente si "georgesclooneyesquement" (celle-la aussi, fallait la tenter...) l'ami Ignacio (yes he is...). Vous saisissez ?
Mais allez savoir, peut-être un pur hasard... sans doute, même.
Oui , sûrement un hasard.

To be continued...
El Batacazo

* Honnêtement, vous auriez pensé qu'on pouvait citer Pérez de la Concha , Georges Clooney et Bertrand Renard dans un seul et même texte ?

>>> Retrouvez la fiche complète de la ganadería sur Terre de toros & la galerie des Pérez de la Concha qui sortiront à Vic-Fezensac sur Camposyruedos.

Photographie Un novillo de Pérez de la Concha au campo en avril 2008 © Camposyruedos