28 avril 2008

"Les noirs et la lumière..." Corrida concours de Saragosse


Le chignon haut comme l’Aneto, elle a embrassé la Virgen del Pilar devant la petite dizaine d’aficionados qui discutaient encore sur les trottoirs de la calle Ramón Pignatelli. 'Farolero', toro jabonero de Prieto de la Cal venait d’être déclaré vainqueur de la corrida concours de Saragosse. Elle était heureuse. Une lumière toute discrète éclairait certainement "La Ruiza", de l’autre côté de l’Espagne taurine. L’espoir. Pour ne pas être ébloui, Tomás Prieto de la Cal, le ganadero, a gardé ses lunettes noires tout au long de la course et même après. Autant resté discret quand la victoire est si fragile, si peu logique même. 'Farolero' n’aurait jamais dû remporter ce concours de ganaderías qui resta intéressant de bout en bout tout en laissant un goût d’inachevé dans les mémoires aficionadas. C’est souvent le cas de ce genre d’exercice de style. 'Farolero' est parti six ou sept fois de loin vers la puya bien timide de Placido Sandoval, picador de Serafín Marín. Six ou sept fois, le coso de la Misericordia de Zaragoza a grogné ce "Ahhhh" de joie presque enfantine. C’est beau un toro qui charge un cheval d’aussi loin, s’en se faire prier. Après, pas grand-chose malheureusement. 'Farolero' n’a jamais mis les reins pour pousser, ne s’est jamais employé sous le fer comme disent les spécialistes. Pire... il est sorti seul à chaque fois, rapidement, sans combattre vraiment. Derrière la cavalerie, une tête noire azabache cachée par des lunettes encore plus noires s’époumonait littéralement pour que le Sandoval accomplisse son office : piquer un toro.
- ¡¡¡Picalo!!!
Il a crié à chaque fois, à chaque rencontre mais rien n’y fit. 'Farolero' jamais ne s’employa sous le châtiment et de vraie pique il n'en reçut pour ainsi dire pas. Placido Sandoval a reçu le prix au meilleur picador à l'issue de cette corrida. Soit, mais il est difficile de vouloir redorer un tercio déliquescent en primant un professionnel qui par six fois plaça la pyramide bien en arrière de l'endroit voulu (tiers arrière du morrillo) et qui, au lieu de piquer, s'ingénia à doser les puyazos. De toute façon, les compañeros de Sandoval furent majoritairement à l'unisson de ces pratiques devenues des habitudes (piques traseras, caídas, carioquées...). Il n'y a guère que le toro de Fuente Ymbro qui profita à peu près correctement de deux premières piques bien situées (picador : Manuel Molina de la cuadrilla de Serafín Marín) à la base du morrillo. Rome ne s'est pas faite en un jour disaient les anciens...
C'est justement ce Fuente Ymbro, 'Lanudo', negro de 606 kgs, qui pouvait seul se prévaloir de recevoir ce jour un quelconque prix. Des six toros envoyés dans la capitale aragonaise, lui seul a démontré les qualités exigées actuellement chez un taureau de combat. Pour autant, il ne s'agissait pas non plus d'un grand brave au cheval car il ne poussa fixement, tête basse et avec une certaine durée que lors du second puyazo. Mais 'Lanudo' possédait ce qui fait aujourd'hui le renom des toros de Ricardo Gallardo : mobilité, fixité, promptitude dans la réponse aux cites et ce soupçon de piquant qui interdit de les qualifier de "collaborateurs". Selon tous ces critères, c'est ce toro qui émergea de la moyenne et le jury de ne pas le voir... C'est ainsi. Peut-être que l'accident de fin de faena subi par Serafín Marín coûta cher à ce bon toro de Fuente Ymbro. L'émotion et l'inquiétude vive ne font pas souvent bon ménage avec l'analyse et l'esprit de justice.
En observant la Marquesa rouler une pelle à la Virgen del Pilar, sur le trottoir de la calle Ramón Pignatelli, je repensais aux lunettes si noires de son fils et aux yeux si obscurs du superbe toro de Cuadri. C'était le tío de la course, compliqué, poderoso. Un regard de requin en chasse, sans expression, sombre, profond, inquiétant... Un taureau de combat et d'effroi. Il en faut aussi de ceux-là pour se souvenir que derrière les lumières de l'or se planquent souvent les noirs de l'angoisse.
Dans son inachèvement, cette corrida concours de ganaderías aura au moins permis de voir un public se lever d'émotion lors d'un tercio de piques que les organisateurs ont voulu cajoler et magnifier, et ce, avec l'assentiment des matadors qui, sauf l'agaçant Jesús Millán, ont accepté de jouer le jeu. C'est assez rare pour être noté.
Le chemin est long... Samedi à Saragosse, nous avons presque pu imaginer la ligne de départ...


>>> Retrouvez la galerie de cette corrida sur le site : www.camposyruedos.com.

Photographies 'Farolero', toro de Tomás Prieto de la Cal (Veragua) & 'Lanudo', toro de Fuente Ymbro (Domecq-Jandilla).