06 octobre 2009

Madrid-plage


Take me down, Little Susie, Take me down,
I know you think you're the queen of the underground
1

Connaissez vous l'histoire du gars de L'Estaque qui va à Pékin en train ? Je vous la fais courte... Aux guichets des différentes gares, personne ne sachant vraiment où est Pékin, on l'envoie de Marseille à Lyon, de Lyon à Paris, de Paris à Berlin, et ainsi de suite suivant votre inspiration et votre talent pour raconter les histoires : les étapes finissent par le mener à Pékin. Après avoir visité la ville, notre héros se rend à la gare de Pékin pour acheter un billet retour : "L'Estaque s'il vous plaît !" et l'employé Pékinois de lui répondre du tac au tac : "L'Estaque-ville ou L'Estaque-plage ?" (c'est là que vous riez).

En forme de comédie aigre-douce, de farce à l'italienne (hilarante mais glauque), la Plaza la plus importante du Monde, celle de Las Ventas, fut le théâtre d'une feria surprenante en ce chaud week-end d'automne. Un genre de corrida-bouffe pour beignets, enveloppée de gros noeuds roses. Broadway sur Alcalá. Samedi, les Núñez del Cuvillo, anovillados, sont livrés sans mauvaises intentions apparentes, les deux "artistes" du cartel ont le génie d'en voir suffisamment pour finir sous une tendre bronca : je te siffle pour la forme, "Va je ne te hais point." Pour les détails Apariciens et Morantistas, Las Ventas eut les yeux de Chimène et la mansuétude de Raimu pour Ginette Leclerc.
Ginette Leclerc...

Moins salopes, plus ingénues : "Ah ouais elle est trop belle celle-là !" s'exclamait un groupe de jeunes filles ce soir au Zenith dans un enthousiasme sincère et juvénile aux premiers accords de quelques chansons de Pete Doherty. La lycéenne était de sortie, la moiteur de saison.
"Trroooop bien !" : 2 "r" et 4 "o", pas moins. Allez savoir pourquoi, j'imaginais les mêmes ou leurs cousines à Madrid, égrenant passes après passes le rosaire du répertoire Castellien, samedi soir. J'ai décidément l'esprit tordu.
Madrid s'offrait un été indien, le 3è Núñez del Cuvillo une alegría dans la charge, Castella sa science de la rentabilisation, à faire pâlir un fonds de pension, et un résumé extensif de sa tauromachie technique et assurée : débuts par cambio dans le dos, naturelles templées, muleta intacte, verticalité décroisée sur deux séries de la gauche. Puis chariot de remates entre les cornes dès la 4e série en guise de sucre. Tourbillons de pendules à complication (ou l'inverse), redondos inversés ajustés à faire se pâmer Nîmes et délirer Arles, estocade efficace dans le rincón. Exit Chimène, la retenue toute castillane, à bas les mantilles, Las Ventas sentait la pisse au sens groupie du terme2. Deux oreilles tombent du palco, on demande un rappel pour le toro gentil. Tout était offert : la tauromachie moderne, la noblesse en sirop de maïs, la foule en délire, le deuxième trophée, là même où l'on consentait encore à les compter. En marketing, ça se dit BOGOF (Buy one get one free), deux pour le prix d'une, offre spéciale.

De Lima, on m'avait donc directement expédié à Madrid-plage, ces Péruviens sont forts comme des Pékinois ! Ahuri et jet-laggé, j'étais le père de famille largué face à la grande qui sort du concert en transes. "Mais tu peux pas comprendre !"
Chienne de vie, je n'ai même pas 30 ans.

1 Dead Flowers - The Rolling Stones
2 A ne pas confondre avec le sens Jean-Pierre Marielle du mot : "Aaaah, toi tu sens la pisse, pas l'eau bénite !" (in les Galettes de Pont-Aven - Dialogue allongé avec Andréa Ferréol).