12 octobre 2009

Ida y vuelta, correspondance flamenca y madrileña...


Avant de partir pour Madrid j’ai écrit au Ciego pour une Ida y Vuelta madrilène. Je lui annonçais que nous allions y voir danser Juan Ramírez. Je ne savais pas encore que nous allions être à ce point subjugués par la puissance de Paloma Fantoba. Yannick nous en a parlé dans son ¡Viva la casta y el flamenco!. Et moi j’ai perdu mon texte, périmé sans doute. Nous sommes allés à Madrid et Ludo nous y a suivis, par la pensée. Inutile de toute façon de s’étendre… inutilement. Laissons plutôt la parole à Ludo.

« Cher François,

J’ai pris un peu de retard pour te répondre.
Le samedi 3 octobre j’ai allumé l’ordi, j’ai acheté la course de Núñez del Cuvillo en « tu paies-pour-voir » et j’ai cliqué sur le lien vers 17 h et des miettes.
A l’apparition venteña dans l’écran, comme à chaque fois j’ai pris un coup dans les bas morceaux : la foule jusqu’aux drapeaux, ce ciel sans égal, la précision du soleil et de l’ombre, le run run de Madrid… J’ai fermé les yeux…
J’étais au bar de Tony à manger des mollejas et des zarajos. Je pensais : loin le temps où ensuite on partait en métro Barrio de Legazpi, calle Canarias. Là, dans un sotano qui sentait la ducados dès le trottoir on venait écouter les plus grands et les plus humbles du cante.
Deux chaises canées, pas de micro. Ton voisin au bar qui laissait précipitamment sa bière, qui s’approchait et qui s’installait à côté d’« El Mami », le tocaor de la casa. Ce type en pantalon de toile et en bottines, avec sa chemise ouverte et ses mains pleines de cals, il se mettait à dire la solea. Ou la taranta. Deux, trois chants, pas plus. Un filet de voix, des aptitudes vocales réduites, mais un savoir, une profondeur et la grandeur dans sa sécheresse. Puis le même revenait finir sa San Miguel un peu tiède.
Ensuite passaient les plus grands. Qui venait à Madrid pour enregistrer ou donner un concert ne pouvait faillir à la peña Chaquetón. Tout ça c’est bien fini. Mais les socios sont toujours là, disséminés mais parvenant à faire perdurer l’esprit de cette époque en organisant des noches de cante à la sala El Juglar , calle del Olmo, à Lavapiés. Je t’en reparlerai.
Lavapiés, calle del Olmo… Tiens, c’est justement là où on finissait ensuite. Au bar Candela, du nom de son proprio, Miguel Candela, décédé il y un an et demi, dans des circonstances un peu mystérieuses, son corps retrouvé sans vie au petit matin, lui, le granadino, ami d’enrique Morente et de tant d’autres, qui accueillit toute une génération d’artistes quand la movida de Tierno Galván offrait un vrai souffle , un appel d’air (mais j’avais déjà parlé du Candela dans un post des pinchos) .
En ce temps-là les « fundas » des guitaristes occupaient plus de place le long du bar que les consommateurs de bibine.
Miguel, qui fermait la place sans jamais oublier de lancer à la cantonade « Señores, vamos a acostarnos, que nada es eterno », jouissait de l’amitié des plus grands et des plus humbles. Parce qu’ils les a tous, un jour ou l’autre, réconfortés, nourris et fait rire un bon coup : de Camarón au Cigala en passant par les sœurs d’Utrera, La Fernanda y La Bernarda.
Il faisait partie des « catalyseurs invisibles » du flamenco comme le rappelait Miguel Mora dans la nécro d'El País

J’ouvre les yeux.
Aparicio tente un quite sur le sixième taureau, le dernier, le second de Castella. Aparicio, le fils de Malena Loreto, gitana y bailaora, est conspué. Madrid ! Es-tu devenue folle, ou pire, idiote ?
La retransmission s’achève. J’imagine que vous vous préparez pour aller à Casa Patas.
C’était quoi le « patas » avant d’être ce lieu où se mélangent avec élégance et bonhomie, les sabios et les guiris ?
C'était il y a plus de 30 ans, je crois, une bodega qui avait tout du vieux rafiot se préparant à partir à la casse avec à sa tête un galicien, El Rufo, plus dangereux que la mer elle-même. Ceci expliquant certainement cela.
Mais il sut prendre le virage du « cante ». Les premiers artistes qui investirent le local furent ceux de la famille Carbonell avec dans leur besace Zaira, jeune, belle et prometteuse chanteuse mais qui a malheureusement fini sous les sabots du « cheval » des excès.
Puis ce furent « los Pelaos », grande famille originaire de Jerez et installée à Madrid depuis plus d’un siècle et qui a donné ses lettres de noblesse au baile por farruca jusqu’à Antonio Gades. Au milieu de tout cela, un cantaor , plus connu pour ses dons de négociations avec le monde si libre et si compliqué de la « flamencura andante » : Antonio Benamargo.
Et puis aujourd’hui… Eh bien aujourd’hui tu connais mieux que moi « el personal » !

Mais je ne dirais pas la vérité si à travers ce petit, tout petit balayage, de la tradition jonda dans la villa y corte, je ne mentionnais pas une des sources de toutes ces histoires parce qu’elle a participé à l’émergence de ce haut lieu. C’est mon amie Carmen Esteban, celle-là même qui a écrit ce si beau livre sur Lupe Sino l’amante de Manolete, proche de José Tomás et de Sabina, qui m’a dernièrement raconté, justement, cette anecdote sur « los Pelaos » : Un matin , Plaza Tirso De Molina, elle et Juan Verdu rencontrent El Fati, un des fils de « Pelao el viejo » qui fut guitariste de l’incommensurable danseuse Carmen Amaya (c’est elle qui lui donna son apodo de Pelao parce qu’il avait… beaucoup de cheveux !). El Fati avait un penchant pour la bouteille et, ce jour-là, en sortant un flacon de dessous le manteau qui prouvait qu’il avait passé « la noche en vela » en faisant la ronda de juergas nocturnes de la capitale, il leur dit, superbement et avec l’air de celui qui a la formule définitive : « Sobrinos, el baile se ha 'acabao', ahora los gitanos bailan que parecen máquinas de cosé ». (« les amis, el baile c’est "foutu", maintenant les gitans dansent d’une telle façon qu’on dirait des machines à coudre. »)

Allez, je vais aller chercher un verre et brindar à Madrid, Chaquetón, Candela, los Carbonell, Aparicio y su madre, Morante de la Puebla Del Río, Carmen, Benamargo, Verdu, los Pelaos et à vous qui devaient faire, veinards !, de même à La Venencia avec une petite douche de manzanilla.

Bien à toi,
Ludo »

PS Une galerie est consacrée à Paloma Fantoba sur la page Flickr de ma pomme. Je vous parlerai du reste une autre fois.