18 octobre 2007

C'est quoi ce travail ?


Solysombra a, dans sa Mise au point, opportunément publié un extrait de la réponse que Ludo m’avait adressée à la rubrique "commentaires" de Pour au moins s'en faire un semblant d'idée... Quand je lui ai répondu, le message sus-cité était déjà archivé. N’étant pas certain qu’il ait lu ma réponse, je me permets de la reprendre, certes très tardivement, en la développant :

J’avais, jusque-là je crois, résisté à la tentation du commentaire à chaud désobligeant ; à l'avenir, je tâcherais de me contenir ! Cela étant dit, je souscris globalement aux réflexions sur l’utilisation abusive de l’outil vidéo (montages et autres tripatouillages). Pour autant, je persiste à croire que ce dernier peut être utile et éclairant. Pourquoi ne pourrions-nous pas nous fier aux images s’agissant de toreo ? Le torero n’utiliserait pas la vidéo pour analyser le sien et, éventuellement, lui apporter quelques corrections ? Je reste sceptique sur une exception taurine en la matière, même si je concède sans peine que ces images (vidéos et télévisuelles) ne sauraient nous transmettre toute la palette d’émotions ressenties autour du cercle, nous informer sur la foule de détails permettant d’apprécier une lidia.

C’est un fait, en ouverture d'une série, Juan Bautista s’efforce de donner de la distance au toro, de se positionner à peu près entre les cornes et d’avancer la jambe. Mais après ? Eh bien tout de suite après, je le vois reculer la jambe contraire, être hors cadre, céder finalement le terrain conquis valeureusement et commencer, tout en piétinant 2 m² de sable, à se mettre la bête sur le râble. Pardon, à lier, parce que ce serait cela le toreo, lier et lier encore de (trop) nombreuses passes profilées ; un travail qui émotionne, parce qu’il aurait la vertu d'être rythmé, artistique et/ou templé ? Mais toutes ces passes, qui seraient soi-disant profondes parce qu’étirées, sont superficielles car livrées sur le voyage ; le toro n’étant pour ainsi dire jamais provoqué sur la corne contraire, jamais "obligé", jamais inquiété sur son terrain. Alors qu'il me semble que c’est précisément au troisième tiers et non avant, au cœur de la passe et non à la toute fin*, qu’un toro devrait "dérailler" et être tordu ! In fine, de combat à proprement parlé, il n’y a guère, de domination guère plus ; le toro finissant « aussi fort pour sa dernière charge que pour la première » (cf. ici). Ainsi, cette faena con arte y temple aurait été sans effet sur le cornu ?

Deux oreilles qui tombent à Las Ventas, monsieur le Président ? Deux oreilles de troisième tiers ? Non ! Juan Bautista aurait, entre autres, brillamment rivalisé aux quites et la cuadrilla sous ses ordres correctement mené la lidia lors du premier tercio : des mises en suerte dignes de ce nom, des piques dosées dans le morrillo et non carioquées, des quites en temps voulu ? Vraiment, aucune voix venteña et discordante n’est venue effleurer les oreilles de ceux rangés sur les gradins ou restés à la maison ? Comme lassée depuis tout ce temps, l'afición aurait fini par accepter les canons dévalués de ce toreo kitsch et inefficace ?

Loin de moi l’idée de faire la leçon à qui que ce soit ou de remettre en cause la sincérité de l’émotion (plurielle comme on dit) vécue ce jour à Madrid. Par ces lignes, que d’aucuns jugeront chagrines, anachroniques, prétentieuses et/ou délirantes (que sais-je encore !), je souhaiterais seulement, tenez-vous bien, protester contre la manière avec laquelle les toreros instrumentent leur toreo et, par la même occasion, m’élever contre la logique artistico-commerciale avec laquelle le mundillo organise ses spectacles : des combats qui n’en sont pas, car arrangés, déloyaux et/ou inégaux.

* Sur ce point et à ce moment précis, la photographie (un instantané par définition), elle, peut tromper en laissant penser que le torero a "chargé la suerte".

Image Charlotte Yonnet au travail avec ses toros (fer des Héritiers de Christophe Yonnet) © Camposyruedos