18 septembre 2012

Pour Mario


Mon cher Mario,

Que s’est-il réellement passé à Nîmes ce dimanche matin 16 septembre ? C’est curieux, tu vois, cette question quasi existentielle que se posent ceux qui n’y étaient pas.

On sent bien que personne n’y croit. Ceux qui n’y étaient pas, je veux dire. Ben ouais, c’est logique, Nîchmes est tellement habituée à se vautrer dans le triomphe facile et pornographique depuis déjà si longtemps que lorsqu’il en arrive un, pour de vrai, ceux qui n’y étaient pas ne le croient pas.
Que s’est-il donc passé à Nîmes ce matin-là ? J’y étais, moi. Le problème c’est que je ne suis pas Joaquín Vidal et qu’en dehors de lui je ne vois absolument aucune plume susceptible de se hisser au niveau, rendre compte de ce matin-là de manière concise et pertinente, sauf évidemment à tomber dans les poncifs et dégouliner de superlatifs.  Et comme nous n’allons pas ressusciter le Maître, c’est sans issue.
Je ne comptais donc pas en faire un compte rendu, ni écrire quoi que ce soit de particulier là-dessus, mais tes interrogations sont là.

Je vais donc faire bref, tomber dans la facilité, en te renvoyant à notre nouvel ami commun, André Viard :  « … on peut comprendre ce qui s'est passé à Nîmes, grâce à un José Tomás plus solennel et éthique que jamais, ce qui permit au public de mesurer la différence existant entre le toreo pur et ses succédanés aujourd'hui à la mode… Ce que fit José Tomás à Nîmes fut ni plus ni moins que de montrer une nouvelle fois ce qu'est le toreo le plus pur, construit sur des muletazos respectant la règle de trois — enganchar, llevar, rematar — et liés entre eux de manière naturelle, avec beaucoup de verticalité et de mesure, sans jamais abuser des distances courtes. Le toreo éternel, posé de manière naturelle et à base de courage, mais sans en faire état. »

C’est ça, c’est exactement ça. Je suis d’accord ! D’ailleurs, je suis tellement d’accord avec Viard ces temps-ci que ça m’inquièterait presque… Nous parlons là de conception du toreo, ce qui n’est pas une nouveauté concernant Tomás pour ceux qui le suivent depuis si longtemps. À ce concept très classique il faut ajouter une exécution parfaite, sans la moindre scorie ; ça peut te donner une idée.
Donc Tomás a été Tomás, pur comme on l’aime, mais aussi varié, très varié, pas le Tomás suicidaire, l’autre, celui du toreo profond et véritable, si loin, à des années-lumière de tous ses contemporains. Tout s’est enchaîné, sans anicroche, sans le moindre doute, comme dans un rêve. Ça glissait tout seul — du velours. Ah, j’allais oublier : cinq estocades cinq, dans les règles, corto y derecho.

Ça c’est pour Tomás. Et le bétail me diras-tu. Je recite notre nouvel ami commun dans son édito de la veille : « Jusqu'où peut-on aller dans la recherche du confort maximum pour les figuras, sans passer en dessous de la ligne de flottaison à partir de laquelle le spectacle perd toute éthique ? »

Eh bien, mon cher Mario, disons que ce fut le minimum du minimum. Nous avons eu droit à une présentation de seconde catégorie, tendance troisième pour les trois premiers de la course, brochitos, et à des animaux sans l’étincelle de la caste, le piquant ou la charge vive — l’émotion du toro quoi, même commercial, comme la veille avec le troisième de Manzanares. Ils se déplaçaient, c'est tout.
L’émotion du toro, il n’y en a pas eu, jamais, et l’émotion c’est le seul Tomás qui la porta, certes très haut, mais sans toros.
L’ensemble reçut grosso modo une pique et un picotazo, et aucun ne s’affala ni ne tomba. La belle affaire. Tout le monde se félicite donc. Les toros ne sont pas… tombés…

Celui gracié, dont personne ne se souviendra du nom, fut à peine piqué, ce qui explique, peut-être, pourquoi il garda plus d’allant que les autres. Mais de cela tout le monde se moquait bien.
Donc, question bétail, c’était très bien puisque aucun toro n'est tombé. C’est ce qu’il faut dire aujourd’hui lorsqu’on est bien élevé. Aucun n’est tombé. Tout va bien.

Tu vois, Mario, tout dépend du niveau où l'on met la ligne de flottaison. Pour le toreo elle était haute très haute, pour le bétail…