16 mars 2009

Ida y vuelta, correspondance flamenca (IV)


Ludo, tu trouveras en pièce jointe une nouvelle série de photographies. Ce coup-ci c'est Antonio Rey. L’autre fois, j'ai oublié de te dire, Diego Carrasco a rendu hommage à Ramón de Algeciras (frère aîné de Paco de Lucia) décédé le jour même. Antonio Rey en a fait de même.
Lorsqu'ils ont annoncé la disparition d'un grand de la famille du flamenco j'ai d'abord pensé à Chano Lobato qui est, parait-il, très malade. Je l'avais vu l'an passé à Nîmes et ça avait été très émouvant. J'ai pensé à lui car je venais d'en discuter avec
Paco Sánchez un photographe espagnol habitué du festival de Nîmes. Je ne sais pas si tu le connais. Il est très gentil. Nous avons pas mal discuté. Il est de Séville mais il n'aime pas les corridas figure-toi. Par contre, lorsque je lui ai dit que nous allions peut-être avoir la possibilité de photographier Agujetas, alors là son visage s'est éclairé et il m'a sorti un truc dans le genre : «Ah oui, mais là, Agujetas, c'est un peu comme si on parlait d'Antoñete tu vois.».
Je ne sais pas trop si on peut établir un parallèle entre Antoñete et Agujetas. Tu me diras. D'ailleurs, il n'a peut-être pas voulu établir un véritable parallèle, simplement évoquer deux personnalités hors du commun.
Un abrazo.

François,
Je connaissais le travail de Paco Sánchez et je me suis déjà servi de photos tirées de son site (en le citant bien sûr) pour los pinchos. Ce qui est extraordinaire c'est la galerie de portraits qu'il a mise en ligne. Je ne parle pas de la qualité, je ne suis pas assez calé en photo, mais il a cadré des visages qui sont les incarnations de "personnages" du mundillo flamenco dont tu lis les noms dans les pochettes d'albums depuis ou qui circulent dans les cercles de "cabales", et ce depuis mille ans, des sortes de familiers sans visage, mais dont personnellement, je ne n'avais aucune idée pour te dire s'ils étaient borgnes ou barbichus, replètes ou élancées. Je me souviens qu'avant Internet, pendant très longtemps, je fus obligé d'imaginer la tête qu'avait Joaquín Vidal et figure-toi qu'une nuit je rêvais qu'il était... noir. Sa condition de critique passée à la moulinette de la vindicte des taurinos, son statut de paria flamboyant et puis cette écriture extraordinaire en avaient fait dans mon imagination l'égal d'un Edouard Glissant (pas Césaire, je savais qu'il ne pouvait y avoir corrélation d'âge, même dans mon subconscient !).
Sinon, Antonio Rey, de lui je sais peu. Alors je vais te parler d'un autre guitariste, cher au coeur des aficionados al flamenco, cher à leur coeur blessé, puisque celui dont j'évoque la mémoire a disparu, brutalement, sur une route en rentrant d'un récital. Je veux parler de Pedro Bacán. Bacán c'est Lebrija. Lebrija c'est un des tirants du triangle fondamental : Séville, Jerez y los puertos. Lebrija c'est un chant qui oscille entre l'envoûtement monocorde et l'improvisation festive sans éviter et sans oublier, voire revendiquer, les écueils de la non modernité. A savoir du figé, du "pringao", et de la personnalité. De l'identitaire et de l'ampleur, Bacán avait ressenti cela. Le carcan et ce qu'il devait à la tradition. Il était né sous l'étoile de l'émotion qui se nourrit des rencontres et des affects. Il tenait à clamer sa "lebrijanité" et en même temps il ne cessait, les doigts sur la guitare, d'en appeler aux bienfaits et aux respirations de l'ouverture, de la connaissance de l'altérité. Un homme de sagesse et de savoir, de certitude entouré de doutes, et inversement. Mais le dieu de bonté et d'amour du prochain n'existe que dans les évangiles, les tartuferies et les letras. La béance laissée par la disparition de Pedro Bacán n'est pas aisée à combler, à perpétuer et encore moins à fructifier. Reste son toque subtil de robe blanche ajourée pour laisser la chaleur, la lumière et les larmes des autres se faufiler entre ses doigts de corne de gazelle. Reste l'héritage à travers le flambeau de la voix de sa soeur, Ines. Penser à Pedro Bacán c'est mouiller l'arbre du chant. Parce que son influence devient empreinte liquide aujourd'hui. Sans crier gare, son album "Aluricán" laisse un frisson. C’est un testament novateur, un canevas pour écouter et sursauter de plaisir. Te hecho de menos Pedro. Va por ti.
Ludo